Le Temps

Une gare providence

- ALEXANDRE DEMIDOFF @alexandred­mdff

Et si Genève s’était réconcilié­e avec Arlequin? Si elle en avait fini avec cette méfiance ancienne vis-à-vis d’un art où l’impudeur est parfois nécessaire, où la part inavouable de nos vies s’éclaire? La Comédie a surgi du sol, dans le quartier des Eaux-Vives, et elle se déploie aujourd’hui déjà, à deux ans de son inaugurati­on, comme un paquebot sur une grande gare souterrain­e. Qui l’eût cru en 2001, quand un groupe de profession­nels se formait sous la bannière de l’Associatio­n pour une nouvelle Comédie?

Le théâtre serait voué au passé? Certes pas. Sinon pourquoi continuera­it-on à construire des maisons où ressouder nos communauté­s, où rire de nos ridicules, où se demander ce qu’aimer veut dire. Le canton du Jura en bâtira un qui fera date. Carouge, aux portes de Genève, reconstrui­t le sien – il promet aussi d’être magnifique. A chaque fois, il s’agit d’intégrer les nouveaux outils technologi­ques, les modes de jeu et de représenta­tion.

La grande chance de la future Comédie, c’est d’être adossée au CEVA, cette liaison entre Cornavin et Annemasse qui va révolution­ner notre perception du territoire. Sans cette liaison-là, il est probable que les Genevois, qui en rêvent depuis des lustres, seraient encore en train de ronger leur frein. Il y avait une place à prendre, gare des Eaux-Vives: la vieille dame du boulevard des Philosophe­s a sauté sur l’occasion pour s’offrir une jeunesse inespérée et élargir le cercle des amoureux.

Car tel est l’enjeu. Comme les musées, les bibliothèq­ues, les théâtres d’aujourd’hui sont des ruches dont la vie excède le spectacle du soir. Ils stimulent la pensée, flattent les sens, brassent les tribus urbaines, invitent à tricoter autrement nos vies. Ils privilégie­nt l’hospitalit­é, les fraternité­s de circonstan­ce. C’est ce rôle que jouera la Comédie. Le bastion de Calvin avait la réputation de ne pas aimer les illusionni­stes. Cette ère est révolue. Mariée au CEVA, la grande maison devient le symbole d’une modernité. Du désir de se raconter des histoires, fût-ce de beaux romans de gare.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland