Entre la Chine et les Etats-Unis, l’Europe n’a pas à choisir
Dans le bras de fer commercial entre les Etats-Unis et la Chine, un troisième acteur reste pour l’heure en retrait: l’Europe. Va-t-elle prendre parti dans cette bataille et si oui, lequel? Opposée à l’unilatéralisme et au protectionnisme de Donald Trump, l’Union pourrait faire front commun avec Pékin pour défendre le multilatéralisme. Confrontée aux mêmes obstacles que les Etats-Unis pour accéder au marché chinois, l’Europe pourrait tout aussi bien voir d’un bon oeil les assauts de Washington pour démanteler ces barrières – surtout si cela détourne l’attention de son propre marché d’exportation que Trump voudrait aussi taxer… Si l’Europe soutient l’un ou l’autre camp, elle fera la différence.
A ce stade, tout à sa croisade solitaire, Donald Trump ne cherche aucunement à rallier les Etats européens à sa cause (et encore moins l’UE qu’il tient en piètre estime). Il en va tout autrement de la Chine, qui occupe chaque espace abandonné par Washington et multiplie les missions pour faire passer son message. C’est ainsi qu’après un passage par Bruxelles, une délégation chinoise a été reçue à Genève, siège de l’OMC, dans un cadre universitaire, celui du Graduate Institute. Emmené par l’ancien président de la banque centrale de Chine Zhou Xiaochuan, longtemps l’un des hommes les plus influents à Pékin, le groupe d’experts (comprenant deux anciens vice-ministres sous la casquette du Centre d’échange économique international de Chine) s’est lui-même qualifié du «plus haut niveau» dans le cadre d’échanges entre think tanks.
Il est utile d’entendre leur message. Quel est-il? Premièrement, l’humilité: Pékin reconnaît que le chemin est encore long pour respecter pleinement les règles de l’OMC et que celles-ci doivent être renégociées. «Nous faisons de grands
Soutenir la Chine pour ne pas devenir une cible
efforts pour éliminer les distorsions de concurrence, explique Zhou Xiaochuan. La transition est longue, mais la direction est claire et les réformes s’accélèrent.» Deuxièmement, la preuve du changement. Longtemps, la Chine a conditionné l’accès de son marché à des transferts de technologie: la maind’oeuvre était bon marché, on pouvait polluer, on promettait des consommateurs par millions, en échange de quoi les entreprises étrangères devaient accepter un partenaire chinois (majoritaire) et un transfert de savoir-faire. C’est fini, promet-on, même si certains responsables locaux ne l’ont pas encore compris.
Troisièmement, l’attaque: non seulement Trump se trompe sur le diagnostic du déséquilibre commercial, mais il représente un danger pour l’économie mondiale. Inutile d’insister sur ce point, les Européens sont d’accord. On rappelle alors le discours de Xi Jinping à Davos et à Genève sur le multilatéralisme (commercial et onusien), seule voie possible pour le dialogue. Quatrièmement, enfin, la menace: «Pour l’heure, c’est la Chine qui est visée, explique Bai Chong’en, de l’Université Tsinghua à Pékin. Mais si elle capitule, l’Europe sera la cible suivante.» Pour ne pas devenir une cible, il faut soutenir la Chine. CQFD.
Les membres de la délégation chinoise ont souligné à quel point les esprits européens étaient embrouillés par de fausses conceptions sur leur pays. Pour y remédier, il faut plus d’échanges, faire venir plus d’experts chinois en Europe, et se rendre davantage en Chine pour y voir la réalité. La réalité est que l’Europe – Suisse comprise – n’a pas à choisir entre la Chine de Xi Jinping et les Etats-Unis de Trump mais doit suivre sa propre voie. Après tout, l’UE est la première économie mondiale. Non seulement elle peut faire la différence. Unie, elle pourrait aussi imposer ses choix à Washington et à Pékin. ■