Une diplomatie cafouilleuse
A la diplomatie taiseuse de Didier Burkhalter a succédé la diplomatie bavarde et cafouilleuse d’Ignazio Cassis. On parle, on s’agite beaucoup puis on se justifie longuement. Trop longuement. Tout à sa conviction que «la politique étrangère, c’est de la politique intérieure», le ministre tessinois consacre certes beaucoup d’efforts et de temps à communiquer avec la population. C’est à saluer. Là où Didier Burkhalter semblait timoré, il fonce. Hélas tête baissée. Il oublie parfois d’informer le Conseil fédéral de sa dernière idée.
Il y a eu le bouton «reset», celui qui a fait pschitt dans le dossier européen. Puis le lâchage des mesures d’accompagnement à la libre circulation, aussitôt réaffirmées par le gouvernement. Ou la remise en cause du soutien suisse à l’UNRWA, l’agence onusienne qui s’occupe des réfugiés palestiniens, suivie d’un rappel à l’ordre du président Alain Berset. Sous cet angle, la semaine qui s’achève ne nous aura pas déçus. Ainsi, en juin, Ignazio Cassis a-t-il joué un rôle décisif, malgré les dégâts d’image pour le rôle humanitaire de la Suisse, dans l’intention du Conseil fédéral d’assouplir l’ordonnance sur les exportations d’armes. Puis le gouvernement, ébranlé par la vague d’émotion dans l’opinion, a décidé d’attendre le sort que réservera le parlement à une motion du PBD à ce sujet. Ce qui, au passage, revient à abandonner une fois de plus aux Chambres fédérales une part des prérogatives du gouvernement. Ce fut déjà le cas avec la mise en oeuvre de l’article «contre l’immigration de masse».
Après ses critiques contre l’UNRWA, le ministre a remis cela sur une rare percée onusienne, le Pacte mondial sur les réfugiés. Ce texte adopté à mi-juillet par les 192 Etats membres – à l’exception des Etats-Unis et de la Hongrie – est d’abord un succès de la diplomatie suisse. En particulier du représentant suisse à l’ONU, l’ambassadeur Jürg Lauber, qui a joué le rôle clé de cofacilitateur avec le Mexicain Juan José Gomez Camacho. Grâce à cet accord, qui n’a rien de contraignant juridiquement, les Etats s’engagent à mieux coopérer pour réduire le chaos de la migration irrégulière et à combattre les trafics d’êtres humains. Or, dans un premier temps, Ignazio Cassis a recommandé au Conseil fédéral de ne pas le ratifier. Avant de préciser, dans une longue interview à la NZZ, qu’il s’agissait auparavant de se livrer à une profonde analyse des conséquences pour la politique intérieure et extérieure de la Suisse. Certes, à l’issue de sa séance vendredi de la semaine dernière, le Conseil fédéral a tenu à préciser «qu’il estime important qu’un document ambitieux avec des mécanismes de mise en oeuvre et de contrôle efficace soit adopté». Le contraire aurait été stupéfiant. Pourtant le doute demeure. Car, dit le Conseil fédéral, «il déterminera sa position finale d’ici à la Conférence de Marrakech en décembre». On croirait un ballet de dindons.
Ces scrupules soudains du chef de la diplomatie suisse ne manquent pas de surprendre. Soit le chef du DFAE ignorait le contenu et les implications de l’accord que négociait l’ambassadeur Jürg Lauber au nom de la Suisse, ce qui révélerait une grave lacune de direction politique. Soit Ignazio Cassis tente de ménager l’UDC qui, la même semaine, tenait conférence de presse pour demander le renvoi de la ratification du pacte. Mais bien qu’il s’en défende, Ignazio Cassis ne peut plus guère cacher que l’un de ses objectifs est d’en finir avec l’héritage humaniste de Didier Burkhalter.■