Sur le continent, le Brexit trouve de nouveaocats
Et si la décision britannique de quitter l’UE s’avérait bénéfique à terme pour le Royaume-Uni? Alors que les négociations sont dans l’impasse, la question n’est plus taboue
Il fallait bien que quelqu’un s’y colle. Alors que la plupart des éditorialistes français pronostiquent un échec colossal du Brexit, voire un second référendum pour renouer in extremis avec l’Union européenne, un livre défend ces jours-ci la thèse contraire. Dans «Pourquoi le Brexit va réussir» (Ed. Albin Michel), l’ancien correspondant du Monde à la City de Londres, Marc Roche, prend le parti du divorce entre Londres et Bruxelles.
Motif, selon ce fin connaisseur des moeurs britanniques? L’avenir d’un Royaume-Uni redevenu souverain est, à terme, plus compatible avec les défis de la mondialisation: «Je suis désormais certain que les membres de l’UE se fourvoient par morgue, tonne l’auteur, spécialiste des questions financières. Le dessein européen de cette nation, qui fut jadis maîtresse des océans et gérante du plus grand empire de tous les temps, n’est que récent et momentané. C’est aussi simple que cela.»
La thèse mérite l’attention. «On ne souligne pas assez, en Europe continentale, la flexibilité et le pragmatisme des Anglais. Ils auront mal, mais ils sauront s’adapter. L’histoire a montré qu’ils sortent toujours plus forts des épreuves», nous expliquait, en juin, un ancien ambassadeur britannique à Paris lors du dîner annuel de la plateforme «Friends of Europe». Marc Roche acquiesce: «Dans les faits, poursuit-il, dans son livre, l’ascendant du Royaume-Uni sur la scène internationale ne peut que profiter de sa sortie prochaine de l’UE.»
Offensive prévue en Asie
Une date sera, de ce point de vue, symbolique: celle du 18 octobre. En théorie, le sommet européen prévu ce jour devait sanctionner la fin des négociations du Brexit, en vue d’un départ formel du Royaume-Uni en mars 2019. Mais un autre événement, ce jour-là, retiendra l’attention à Bruxelles: le sommet Asie-Europe (ASEM) qui réunit tous les deux ans, depuis 1996, les pays de l’UE – plus la Suisse et la Norvège – et une vingtaine de pays asiatiques. «La question, en Asie, n’est pas de savoir si le Royaume-Uni va plus mal se porter, mais quels choix il va faire, juge l’universitaire singapourienne Yeo Lay Hwee. De ce côté-ci de la planète, le Brexit n’est pas dramatisé.» De quoi encourager tous ceux qui, à Londres, promettent une offensive de relations publiques sans précédent en Asie, une fois que la séparation avec l’UE sera prononcée. Avec ou sans accord.
Sur la scène politique, des avocats du Brexit ont aussi commencé à émerger, au-delà des cercles souverainistes ou europhobes et des porte-parole affichés du «Frexit» comme Marine Le Pen ou François Asselineau. Au Medef, le patronat français, les commentaires favorables des patrons de PME, envieux de la «liberté» bientôt retrouvée de leurs concurrents britanniques, commencent à faire tache dans une organisation qui, officiellement, déplore la séparation. «Oui, il existe des patrons pro-Brexit. C’est une réalité. Pour eux, les Anglais ont été les plus malins parce qu’ils sont les premiers à quitter le navire et qu’ils obtiendront in fine l’accès au marché», reconnaît un responsable de la puissante UIMM, l’union de la métallurgie.
Autre avis nuancé: celui de l’éditorialiste économique libéral François
Lenglet. Au fil des plateaux, celui-ci répète que «le Brexit signe plutôt une crise politique, à cause de la méfiance croissante des citoyens vis-à-vis de leurs gouvernants et des projets et idées qu’ils défendent». Sous-entendu: attendons avant de juger. La panne britannique ne sera pas durable. Une belle brochette d’experts continentaux est d’ailleurs à Londres jeudi et vendredi pour une conférence sur «l’Europe après le Brexit» organisée par SOAS, la prestigieuse école des études orientales.
«Failles communautaires»
L’un des pays fondateurs de l’Union où le Brexit compte le plus d’avocats est les Pays-Bas, traditionnellement tourné vers l’autre côté de la mer du Nord. Dans son rapport 2017, l’influent think tank néerlandais AIV a recommandé aux autorités de La Haye de se rapprocher rapidement de la France et de l’Espagne, plutôt que de ses alliés traditionnels scandinaves au Conseil européen. Explication: les Britanniques post-Brexit vont «redevenir offensifs» et «sauront exploiter les failles communautaires». Or face à l’Allemagne si puissante et compte tenu de la poussée souverainiste en Italie, Paris et Madrid sont incontournables. ■