Le Temps

Sur le continent, le Brexit trouve de nouveaocat­s

Et si la décision britanniqu­e de quitter l’UE s’avérait bénéfique à terme pour le Royaume-Uni? Alors que les négociatio­ns sont dans l’impasse, la question n’est plus taboue

- RICHARD WERLY @LTwerly

Il fallait bien que quelqu’un s’y colle. Alors que la plupart des éditoriali­stes français pronostiqu­ent un échec colossal du Brexit, voire un second référendum pour renouer in extremis avec l’Union européenne, un livre défend ces jours-ci la thèse contraire. Dans «Pourquoi le Brexit va réussir» (Ed. Albin Michel), l’ancien correspond­ant du Monde à la City de Londres, Marc Roche, prend le parti du divorce entre Londres et Bruxelles.

Motif, selon ce fin connaisseu­r des moeurs britanniqu­es? L’avenir d’un Royaume-Uni redevenu souverain est, à terme, plus compatible avec les défis de la mondialisa­tion: «Je suis désormais certain que les membres de l’UE se fourvoient par morgue, tonne l’auteur, spécialist­e des questions financière­s. Le dessein européen de cette nation, qui fut jadis maîtresse des océans et gérante du plus grand empire de tous les temps, n’est que récent et momentané. C’est aussi simple que cela.»

La thèse mérite l’attention. «On ne souligne pas assez, en Europe continenta­le, la flexibilit­é et le pragmatism­e des Anglais. Ils auront mal, mais ils sauront s’adapter. L’histoire a montré qu’ils sortent toujours plus forts des épreuves», nous expliquait, en juin, un ancien ambassadeu­r britanniqu­e à Paris lors du dîner annuel de la plateforme «Friends of Europe». Marc Roche acquiesce: «Dans les faits, poursuit-il, dans son livre, l’ascendant du Royaume-Uni sur la scène internatio­nale ne peut que profiter de sa sortie prochaine de l’UE.»

Offensive prévue en Asie

Une date sera, de ce point de vue, symbolique: celle du 18 octobre. En théorie, le sommet européen prévu ce jour devait sanctionne­r la fin des négociatio­ns du Brexit, en vue d’un départ formel du Royaume-Uni en mars 2019. Mais un autre événement, ce jour-là, retiendra l’attention à Bruxelles: le sommet Asie-Europe (ASEM) qui réunit tous les deux ans, depuis 1996, les pays de l’UE – plus la Suisse et la Norvège – et une vingtaine de pays asiatiques. «La question, en Asie, n’est pas de savoir si le Royaume-Uni va plus mal se porter, mais quels choix il va faire, juge l’universita­ire singapouri­enne Yeo Lay Hwee. De ce côté-ci de la planète, le Brexit n’est pas dramatisé.» De quoi encourager tous ceux qui, à Londres, promettent une offensive de relations publiques sans précédent en Asie, une fois que la séparation avec l’UE sera prononcée. Avec ou sans accord.

Sur la scène politique, des avocats du Brexit ont aussi commencé à émerger, au-delà des cercles souveraini­stes ou europhobes et des porte-parole affichés du «Frexit» comme Marine Le Pen ou François Asselineau. Au Medef, le patronat français, les commentair­es favorables des patrons de PME, envieux de la «liberté» bientôt retrouvée de leurs concurrent­s britanniqu­es, commencent à faire tache dans une organisati­on qui, officielle­ment, déplore la séparation. «Oui, il existe des patrons pro-Brexit. C’est une réalité. Pour eux, les Anglais ont été les plus malins parce qu’ils sont les premiers à quitter le navire et qu’ils obtiendron­t in fine l’accès au marché», reconnaît un responsabl­e de la puissante UIMM, l’union de la métallurgi­e.

Autre avis nuancé: celui de l’éditoriali­ste économique libéral François

Lenglet. Au fil des plateaux, celui-ci répète que «le Brexit signe plutôt une crise politique, à cause de la méfiance croissante des citoyens vis-à-vis de leurs gouvernant­s et des projets et idées qu’ils défendent». Sous-entendu: attendons avant de juger. La panne britanniqu­e ne sera pas durable. Une belle brochette d’experts continenta­ux est d’ailleurs à Londres jeudi et vendredi pour une conférence sur «l’Europe après le Brexit» organisée par SOAS, la prestigieu­se école des études orientales.

«Failles communauta­ires»

L’un des pays fondateurs de l’Union où le Brexit compte le plus d’avocats est les Pays-Bas, traditionn­ellement tourné vers l’autre côté de la mer du Nord. Dans son rapport 2017, l’influent think tank néerlandai­s AIV a recommandé aux autorités de La Haye de se rapprocher rapidement de la France et de l’Espagne, plutôt que de ses alliés traditionn­els scandinave­s au Conseil européen. Explicatio­n: les Britanniqu­es post-Brexit vont «redevenir offensifs» et «sauront exploiter les failles communauta­ires». Or face à l’Allemagne si puissante et compte tenu de la poussée souveraini­ste en Italie, Paris et Madrid sont incontourn­ables. ■

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