Cracovie s’attaque enfin à la pollution
Alors que la Pologne accueillera en fin d’année la COP 24 sur les changements climatiques, la lutte contre la pollution de l’air en est encore à ses débuts dans le pays, qui demeure très attaché au charbon
Chaque année, aux premiers frimas de l’hiver, un smog pernicieux envahit les rues des municipalités polonaises, de longs mois durant. La faute avant tout à la présence toujours massive dans l’habitat individuel des chaudières à charbon souvent vétustes, sans filtre, mais aussi à l’utilisation de combustibles bon marché de piètre qualité.
Schlamm, autrement dit «boue de charbon, bois, ordures, sacs en plastique, pneus usagés…» Rien ne se perd, tout se brûle, avec une cohorte de répercussions désastreuses. Selon l’Agence européenne de l’environnement, près de 50000 Polonais seraient ainsi victimes d’année en année de ce brouillard meurtrier, mélange de dioxines, de benzopyrène et de particules de suie, tandis que l’OMS décompte dans le pays 33 des 50 villes les plus polluées du continent.
Parmi ces mauvais élèves, Cracovie. Prisonniers d’une cuvette où l’air vicié stagne tout l’hiver, ses habitants sont devenus familiers des applications veillant à la qualité de l’air, les masques antipollution ont fait leur apparition sur les visages tandis que les ventes de purificateurs d’air, capables de filtrer en partie les particules fines dans les appartements, n’ont cessé d’augmenter.
Restreindre les sorties
Hôpitaux et médecins de ville ne cessent «d’inviter» les plus fragiles, enfants et personnes âgées en tête, à restreindre au maximum leurs sorties, s’inquiétant de voir les cas de pneumonie multipliés par deux les jours de smog, tandis qu’augmente vertigineusement le nombre des crises cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux. La cité médiévale compte deux fois plus d’enfants asthmatiques que le reste du pays, tandis qu’une étude signée par le professeur Wieslaw Jedrychowski, de l’Université Jagellonne, a établi une incidence sur les foetus, la pollution de l’air causant des carences en poids chez les nouveau-nés.
Irréversible? Pas pour le collectif citoyen Krakowski Alarm Smogowy (Alerte au smog pour Cracovie), lanceur d’alerte dès 2012 et bien décidé à secouer l’inertie des autorités publiques. Pétition appelant à renforcer la législation, campagne d’affichage publicitaire – «J’ai déjà de l’asthme, je n’ai pas besoin d’un cancer» –, manifestations de poussettes vides symboles des enfants cloîtrés à la maison, campagne de presse rappelant que chaque Cracovien inhale l’équivalent de 2500 cigarettes par an…
«Toutes nos actions ont fini par pousser la municipalité, réticente d’abord à écorner l’image de la ville auprès de ses millions de touristes, à se saisir du problème et à prendre soin – aussi – de la santé de ses citoyens. Aujourd’hui, plus personne ne nie le problème», rappelle Magda Kozlowska, l’une des cofondatrices de l’association.
Le vilain petit canard de suie serait-il en passe de devenir cygne? Du moins, pressée par ses concitoyens, la mairie a-t-elle pris les rênes de la lutte contre la pollution en Pologne. «Nous sommes la seule ville à avoir fixé pour le 1er septembre 2019 l’interdiction de l’utilisation des combustibles solides pour le chauffage domestique et entrepris à cette fin le remplacement de l’ensemble des chaudières à charbon par des systèmes à filtre, électriques, au gaz naturel ou par le raccordement à un système central», souligne l’édile, Jacek Majchrowski.
Pour tenir l’objectif, la municipalité soutient financièrement les travaux – 2900 francs suisses en moyenne, remboursés intégralement l’an dernier –, à 80% cette année puis 60% l’an prochain. Sur les 30000 chaudières incriminées au départ, il en resterait 4500 en fonctionnement. «Mais il ne suffit pas d’avoir une nouvelle chaudière si l’on y brûle des déchets ou des dérivés de charbon de mauvaise qualité. C’est pourquoi nous promettons de payer la différence de coût pour les foyers s’engageant à utiliser un combustible moins polluant, et ce les huit premières années», complète le maire. Volet répression, des drones doivent faire leur apparition dès l’hiver prochain afin de contrôler la qualité des fumées s’échappant des cheminées cracoviennes.
La mobilisation municipale porte aussi sur les transports, avec la multiplication des lignes de bus ou de tramway électrique. Sur les axes routiers de l’agglomération, les policiers ne contrôlent plus seulement vitesse et taux d’alcoolémie, traquant également les gaz d’échappement des véhicules. «S’ils dépassent les niveaux de pollution
Entourée de mines et cernée de collines, Cracovie figure parmi les villes les plus polluées d’Europe.
tolérés, les contrevenants ont alors quelques jours pour se rendre chez le garagiste puis présenter au commissariat un relevé des travaux de mise aux normes, effectués par ce dernier», résume un policier en faction.
Une leçon d’environnement qui porterait davantage ses fruits si le moteur du fourgon ne tournait pas continuellement pour profiter de la climatisation… La mairie aspire désormais à aller plus loin. «Il faudrait que l’Etat nous autorise à fermer l’accès à la ville les jours de pic de pollution, ou du moins à interdire l’accès aux voitures les plus polluantes», plaide Jacek Majchrowski.
Et l’édile, comme de nombreux élus locaux et des ONG, d’appeler désormais le gouvernement à se doter d’outils législatifs plus efficients. «La ville ne pourra pas seule éliminer le smog, la pollution provenant aussi des alentours et notamment du bassin minier de Silésie. A moins que l’on ne puisse fermer le ciel?» feint-il de s’interroger.
Le refus de l’exécutif de baisser les seuils d’alerte, lui, n’a pas fini d’irriter Magda Kozlowska, de Krakowski Alarm Smogowy: «La pollution aux PM 10 est considérée comme dangereuse à partir de 300 microgrammes par mètre carré, soit trois fois plus qu’en Slovaquie ou en Hongrie [ou qu’en Suisse, ndlr], les moins sévères de l’Union européenne après la Pologne! Et quand on demande à s’en rapprocher, le Ministère de l’environnement répond que les organismes polonais y sont habitués, qu’ils peuvent donc subir davantage d’exposition!»
Néanmoins, à l’approche de la COP 24 qui se tiendra en décembre à Katowice, au coeur du bassin houiller silésien, le premier ministre polonais s’est engagé à mettre sur pied un programme «anti-smog» d’ici à la fin de l’année. A l’instar du projet pilote mis en place à Skawina, dans la banlieue de Cracovie, 22 autres municipalités polonaises bénéficieront d’un soutien financier pour prendre en charge la réhabilitation énergétique des logements les plus modestes, travaux d’isolation et remplacement des chaudières les plus polluantes en tête. En outre, des normes sur la qualité du charbon devraient enfin émerger, comme l’avait réclamé une pétition lancée par Greenpeace Pologne et des élus locaux. Mais pas avant 2025 comme échéance.
Un poids symbolique
Pourquoi les autorités tardentelles tant à se saisir de la question? Le poids économique, social et symbolique du charbon n’y est sans doute pas pour rien. Le combustible fournit encore près de 80% de l’électricité produite en Pologne – contre 10% seulement d’origine renouvelable – et garantit une relative indépendance énergétique visà-vis du pétrole et du gaz russe.
«Surtout, quel gouvernement voudrait être celui des fermetures des mines, qui représentent encore près de 100000 emplois? complète Aleksander Sniegocki, du think tank varsovien WiseEuropa. Reste que le déclin des ressources – la production est passée de 180 à 70 millions de tonnes entre 1989 et 2016 – rend le développement des alternatives indispensables. Et puis le débat sur la pollution de l’air depuis quelques années en témoigne, il n’est plus question de faire fi des préoccupations environnementales.» En attendant, le smog, lui, n’a pas fini de faire tousser.
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«Quel gouvernement voudrait fermer des mines qui représentent encore près de 100000 emplois?» ALEKSANDER SNIEGOCKI, DU THINK TANK VARSOVIEN WISEEUROPA