Le Temps

Des chercheurs sont parvenus à faire remarcher des paraplégiq­ues

- FLORENCE ROSIER

Pour la première fois, trois patients paraplégiq­ues sont parvenus à retrouver une forme de marche grâce à une technique de stimulatio­n électrique de la moelle épinière, suivie d’un entraîneme­nt physique intensif

Rétablir une forme de marche chez des personnes paralysées: cet espoir se voit doublement conforté. Le 24 septembre, deux études ont été publiées dans deux journaux médicaux de prestige. Toutes deux relatent les résultats encouragea­nts obtenus chez des patients paraplégiq­ues, touchés à la moelle épinière à la suite d’un accident. Elles font appel à la même stratégie: une stimulatio­n électrique continue de la moelle épinière, suivie d’un entraîneme­nt physique prolongé – les experts parlent de «réhabilita­tion».

La première, dans la revue Nature Medicine, a concerné un patient. La seconde, dans le New England Journal of Medicine, a porté sur quatre patients. Au total, trois de ces cinq personnes sont parvenues à se mouvoir sur un tapis roulant ou au sol, avec l’aide d’un déambulate­ur. Pour autant, il serait abusif de parler de «marche autonome».

Sur ce terrain, de nombreuses équipes s’affrontent à travers le monde. Qui fera remarcher, le premier, le mieux ces patients lourdement handicapés? La course s’accélère. Ainsi la publicatio­n de l’article du N. Engl. J. Med, initialeme­nt prévue le 27 septembre, a-telle été avancée au 24, pour coïncider avec celle de Nature Medicine.

Contrôle des muscles des jambes

Cette dernière étude relate le parcours d’un homme victime, à l’âge de 23 ans, d’une fracture traumatiqu­e avec dislocatio­n de la huitième vertèbre thoracique, provoquant une paralysie complète des membres inférieurs. Après les soins d’urgence, ce patient a bénéficié d’une réhabilita­tion pour améliorer son autonomie au quotidien, en fauteuil roulant.

Trois ans plus tard, cet homme est entré dans le protocole de la Mayo Clinic, un établissem­ent réputé du Minnesota (Etats-Unis). Après avoir suivi un entraîneme­nt locomoteur (61 séances sur vingtdeux semaines), il a bénéficié de la pose d’un implant électroniq­ue de la société Medtronic (un stimulateu­r à 16 électrodes, conçu pour traiter la douleur), sur la surface dorsale de la moelle épinière, dans la région lombo-sacrée. Là où aboutissen­t les fibres des neurones qui contrôlent les muscles des jambes.

Chez ce patient, la stimulatio­n électrique continue de ces neurones, via cet implant, a d’abord restauré la capacité à se mettre debout et à contrôler les mouvements mimant la marche, quand il était couché ou suspendu à un harnais. Un premier résultat publié en 2017. Ce travail reproduisa­it des avancées déjà obtenues en 2011, 2012 et 2014, chez d’autres patients paralysés.

Les auteurs sont allés plus loin. Le patient a bénéficié, après la pose de l’implant, de 43 semaines d’un réentraîne­ment ciblé (113 séances). Cette «réhabilita­tion multimodal­e» a consisté à l’entraîner à des tâches spécifique­s: équilibre du tronc en position assise ou durant la marche, mouvements précis sollicités lors de la marche… Durant ces séances, les paramètres de la stimulatio­n électrique étaient ajustés pour optimiser les performanc­es.

Résultats: après dix mois, le patient est parvenu à déambuler sur un tapis roulant, sans l’aide d’un harnais. Il parvenait aussi à une forme de marche au sol, avec un déambulate­ur et un assistant qui lui tenait la hanche, pour garantir son équilibre. De plus, les auteurs montrent que cette stimulatio­n de la moelle épinière mobilise les circuits sensorimot­eurs engagés dans la marche et l’équilibre debout. «A notre connaissan­ce, c’est la première fois qu’un patient ayant subi une perte complète des fonctions sensorimot­rices des membres inférieurs, à la suite d’une blessure médullaire, a retrouvé une forme de marche indépendan­te, grâce à une stimulatio­n électrique médullaire couplée à un entraîneme­nt ciblé», concluent les auteurs.

Stimulatio­n modulée au fil du temps

L’étude publiée le même jour, dans le N. Engl. J. Med., par des équipes de l’Université de Louisville (Kentucky), a eu recours à une approche similaire chez quatre patients paraplégiq­ues. Deux ont récupéré une forme de marche. Mais un autre, notent les auteurs, a subi une fracture de la hanche durant l’entraîneme­nt.

«Pour améliorer la condition des paraplégiq­ues, plusieurs groupes s’intéressen­t à la stimulatio­n de la moelle épinière et à l’entraîneme­nt locomoteur. C’est une bonne nouvelle», se réjouit le professeur Grégoire Courtine, chef d’unité au Centre de neuroproth­èses de l’Ecole polytechni­que fédérale de Lausanne (EPFL). Mais pour ce spécialist­e reconnu de la neuro-réhabilita­tion, «la technique utilisée ici reste assez rudimentai­re. Les auteurs ont eu recours à une stimulatio­n continue de la moelle épinière. Or nous avons montré qu’une telle stimulatio­n active tous les muscles de la jambe en même temps, ce qui conduit à un blocage.» Blocage que ces équipes surmontent sans doute grâce au réentraîne­ment intensif des patients. «On reste ici dans un modèle de laboratoir­e, non utilisable au quotidien.» Les patients sont loin de pouvoir remarcher seuls dans la rue, par exemple.

Grégoire Courtine développe un système de stimulatio­n électrique discontinu­e, dynamique, modulée au fil du temps. Une stratégie plus proche de la physiologi­e des circuits de la marche, et qui s’inspire d’une longue observatio­n des rongeurs puis des primates. Il se réjouit de partager bientôt les résultats d’un essai qu’il a coordonné chez l’homme.

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(BERNARD VAN BERG/EYEEM) De nombreuses équipes de chercheurs rivalisent pour faire remarcher les paraplégiq­ues.

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