Le Temps

Hommage à Dominique Catton, créateur du Théâtre Am Stram Gram

L’acteur Dominique Catton, qui a donné ses lettres de noblesse à la scène jeune public, s’est éteint ce week-end. En 1974, il fondait le Théâtre Am Stram Gram à Genève. Depuis, il n’a cessé de transmettr­e son feu sacré

- ALEXANDRE DEMIDOFF @alexandred­mdff

Il était le portier des songes. Le Genevois Dominique Catton vous attendait dans le hall de son Théâtre Am Stram Gram, devant l’escalier qui plonge vers le foyer. Il avait une bedaine de misaine, une autorité de capitaine Haddock, une mine de loup de mer à qui on ne la fait pas, un air grognon qui était le masque de la tendresse.

A Genève, il a accueilli ainsi des milliers de jeunes, bambins aux oreilles laiteuses, ados goguenards, adultes emmitouflé­s soudain dans l’enfance. Sa place était là, en lisière de croisière, dans ce théâtre dont il avait obtenu la constructi­on au mitan des années 1990. Devant l’escalier, il préparait les troupes à la navigation, au spectacle de l’après-midi ou du soir. Il donnait les clés, deux, trois phrases pour que l’odyssée soit heureuse.

Un artiste bâtisseur

Dominique Catton, 76 ans, s’en est allé ce week-end. On le savait malade. On l’avait eu au bout du fil il y a une dizaine de jours. On voulait parler de la nouvelle Comédie, celle du quartier de la gare des Eaux-Vives, celle dont il a porté l’idée et le projet avec d’autres profession­nels romands réunis sous la bannière de l’ANC – Associatio­n pour une nouvelle Comédie. Il avait été la courtoisie même, comme toujours, mais avait décliné. Pas la force de s’exprimer.

L’acteur et metteur en scène était un constructe­ur. Ils sont rares à avoir, comme lui, écrit le roman de leur art et bâti une maison pour l’abriter. C’est ce que fit ce Lyonnais débarqué à Genève pour étudier au Technicum. Des compas, des équerres et des calculette­s, c’est ce qu’il imaginait devoir maîtriser. Mais le théâtre le détourne du bureau d’ingénieur. Il joue au Théâtre de l’Atelier – à la Maison des jeunes de Saint-Gervais – sous la direction de François Rochaix. On imagine sa haute taille ébaubie, sa double face ténébreuse et candide, sa voix de Gitane déjà. On devine que ses silences étaient tonitruant­s, qu’il avait des emportemen­ts à la Jacques Brel, qu’il défiait les moulins comme Don Quichotte de la Mancha, qu’il pouvait être aussi Sancho Panza quand minuit sonnait.

Don Quichotte au bord du Léman

Il était Don Quichotte au fond, dans le quartier des Eaux-Vives, à deux pas du lac. C’est dans ces parages qu’il crée avec Nathalie Nath le Théâtre Am Stram Gram en 1974. «Am», à cause d’«âme». Le duo avait une ligne que très peu partageaie­nt à l’époque. Il voulait monter des pièces pour les moins de 15 ans, des spectacles croquants comme les goûters du dimanche, des élixirs qui tournent dans les têtes comme des comptines. Les collègues acteurs ont de petits sourires en coin: adresser ses tirades à des bataillons de têtes distraites, c’était faire le métier au rabais. Dominique Catton n’avait que faire de ce préjugé. L’enfance était pour lui l’âge des abordages.

Avec sa bande, il porte haut l’étendard de la fiction jeune public. Son talent est si grand, ses succès si probants que la ville décide de construire le théâtre qu’il réclame. Un lambeau de ciel par le patio du bâtiment, une scène équipée comme les plus beaux plateaux européens, une salle de 350 places: Dominique Catton avait la fierté de ceux qui ont conquis leur toit de haute lutte. Avec sa compagne, Christiane Suter, son administra­teur, Pierre-André Bauer, il y cultive de formidable­s ambitions.

Son credo? Les jeunes ont droit à la crème du répertoire, à ses sortilèges, à ses envolées, à sa boîte à surprises. C’est ainsi qu’il monte La nuit des rois de Shakespear­e, Arlequin poli par l’amour de Marivaux. C’est ainsi surtout qu’il obtient, après de patientes négociatio­ns, les droits des Bijoux de la Castafiore, l’album le plus raffiné d’Hergé.

Le triomphe des «Bijoux de la Castafiore»

Ce spectacle-là, réglé avec le soin qu’on met à Broadway pour les production­s au long cours, est un triomphe. Dominique Catton et Christiane Suter ont réuni autour de leur Castafiore des comédiens qui sont des maîtres de la contrefaço­n poétique, dont Jean Liermier dans le rôle de Tintin. Le décorateur Gilles Lambert, complice de toujours aussi, ressuscite les fameuses marches de Moulinsart sur lesquelles trébuche Haddock. Et chaque soir, Am Stram Gram refuse du monde. Demandé partout, ce Tintin s’offre une tournée de diva en Suisse et en France – il sera repris en 2012 au Théâtre de Carouge.

De son athanor, Dominique Catton va bientôt sortir un autre trésor: il monte Albatros, puis Blanche, deux textes de Fabrice Melquiot, jeune écrivain surdoué qui aborde avec le panache de Peter Pan les douleurs de notre condition, qui jette une lumière de fée Clochette partout où il passe. C’est à cet auteur qu’il transmet le gouvernail d’Am Stram Gram en 2012.

Un inoubliabl­e père fouettard

Depuis, on l’a vu incarner un extraordin­aire père fouettard, moustachu comme un grognard austro-hongrois, dans Lettre au père de Franz Kafka, adapté par Daniel Wolf à la Comédie. On a surtout applaudi Les séparables, passion d’enfants, une fille d’origine arabe, un garçon de la ville, sur lesquels plane le spectre d’un racisme de palier. C’était en janvier à Am Stram Gram. Dominique et Christiane étaient de retour, au service d’un texte de Melquiot. Sur scène, deux mousses inconnus au bataillon, Nasma Moutaouaki­l et Antoine Courvoisie­r. Il fallait entendre Dominique Catton s’emballer pour ces jeunes qui étaient des révélation­s. Il aimait ça, ouvrir des portes.

En 2012, seul en scène à Am Stram Gram, il incarnait Sir Archibald Léopold Ruthmore, explorateu­r sorti de la tête du dessinateu­r François Place. La bande dessinée s’appelait Les derniers géants. Dominique Catton était de cette tribu: un géant tempétueux parfois qui n’avait qu’une ambition, transmettr­e le feu, pourvu qu’il soit sacré.

Dominique Catton avait de quoi être fier de son oeuvre, le théâtre qu’il a créé avec Nathalie Nath dans le quartier des Eaux-Vives, à Genève. Le credo de ce havre de culture: offrir aux plus jeunes la crème du répertoire. Il voulait monter des spectacles croquants comme les goûters du dimanche, des élixirs qui tournent dans les têtes comme des comptines

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(MARTIAL TREZZINI/KEYSTONE)

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