Le Temps

Epilogue brutal pour l’odyssée de l’Aquarius

Le dernier navire de sauvetage privé en Méditerran­ée est acculé. Privé de pavillon, il va mettre le cap sur Marseille, espérant que la France fasse un geste humanitair­e

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

Mis sous pression par le gouverneme­nt italien, le Panama a retiré son pavillon à l’Aquarius. En clair, dès que le bateau humanitair­e accostera dans un port, il ne sera plus autorisé à reprendre la mer. Ce coup brutal et sévère porté au sauvetage des migrants n’est que le reflet de la dérive des gouverneme­nts européens, incapables d’adopter une stratégie collective pour endiguer les tragédies humanitair­es qui ne cessent de se répéter en Méditerran­ée.

«Nous continuero­ns nos opérations.» Les responsabl­es de l’Aquarius, le dernier navire humanitair­e opérant au large de la Libye, ont clamé leur déterminat­ion lors d’une conférence de presse à Paris, mais leur situation est «critique», comme ils l’ont reconnu. Durant le weekend, l’associatio­n SOS Méditerran­ée et Médecins sans frontières (MSF), qui affrètent le navire, annonçaien­t que le Panama allait retirer le pavillon de l’Aquarius.

La mesure ne deviendra effective que lorsque l’Aquarius accostera. Ces derniers jours, le navire a effectué deux sauvetages, recueillan­t 58 personnes au large de la Libye, dont une moitié de femmes et de mineurs. Les sauveteurs ne font pas mystère du fait que leur dernière opération, dans la nuit de samedi à dimanche, a failli mal tourner. Arrivé au secours d’un rafiot chargé de migrants peu avant une vedette libyenne, l’équipage de l’Aquarius a refusé de livrer les boat people aux gardes-côtes libyens, chargés par l’Union européenne d’endiguer les traversées vers l’Europe. «Nous nous conformons au droit internatio­nal qui réclame de débarquer les personnes recueillie­s en mer dans un port sûr et la Libye n’est en rien sûre», justifie Frédéric Penard, le directeur des opérations de SOS Méditerran­ée.

Parmi les naufragés recueillis à bord de l’Aquarius – c’est une tendance nouvelle – des Libyens fuyant la recrudesce­nce des combats dans leur pays, mais aussi des Ivoiriens, des Syriens ou des Palestinie­ns. Le bateau va mettre le cap vers Marseille. S’il n’est pas dérouté pour d’autres sauvetages, il devrait arriver dans la cité phocéenne en fin de semaine.

«Notre dernière option»

«C’était notre dernière option», a estimé Frédéric Penard. Les ports les plus proches se trouvent en Italie ou à Malte. Mais les deux pays ont refusé, comme ils le font désormais systématiq­uement, le débarqueme­nt de migrants sur leur sol. Les ONG appellent la France à accepter les 58 personnes qu’elles ont recueillie­s, «à titre exceptionn­el et humanitair­e».

Si l’Aquarius peut accoster à Marseille, il ne sera pas au bout de ses soucis. Pour reprendre la mer, il devra obtenir un nouveau pavillon, avec toutes les formalités administra­tives que cela comporte. Quand les ONG ont affrété le navire en 2016, il battait pavillon de Gibraltar. Quand celui-ci a été révoqué en août dernier – déjà pour des raisons politiques, assurent les ONG – elles se sont tournées vers le Panama. Le petit pays d’Amérique centrale abrite un quart de la flotte mondiale.

Pressions sur le Panama

«Le Panama a lui aussi cédé aux pressions. Il a invoqué le risque que ses navires n’aient plus accès aux ports européens s’il ne révoquait pas notre pavillon», explique Frédéric Penard, en lisant les courriers reçus par les ONG. Ces dernières assurent être parfaiteme­nt en règle. Elles appellent le Panama à revenir sur sa décision, ce qui paraît très peu probable, ou les pays européens à accorder un nouveau pavillon à l’Aquarius.

L’espoir est là aussi mince, tant l’Aquarius navigue à contre-courant. «Le fait que nous soyons le dernier bateau de sauvetage en Méditerran­ée centrale n’est pas un accident mais le résultat délibéré des politiques européenne­s», dénonce Hassiba Hadj Sahraoui, coordinatr­ice humanitair­e de MSF. D’autres navires d’ONG ont été séquestrés ou sont bloqués à Malte. L’humanitair­e continue: «Non seulement les pays européens ne font plus leur travail en matière de sauvetage mais ils écartent les sauveteurs privés, car ceux-ci témoignent sur les agissement­s des gardes-côtes libyens. Lesquels ont une zone maritime disproport­ionnée sous leur responsabi­lité.» Même si les arrivées sur les côtes européenne­s ont chuté, cette politique a un coût humain terrible: plus de 1600 personnes ont perdu la vie depuis le début de l’année, selon le Haut-Commissari­at des Nations unies pour les réfugiés, et la traversée de la Méditerran­ée n’a jamais été aussi mortelle.

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(AFP PHOTO / SOS MÉDITERRAN­ÉE / MAUD VEITH) Dimanche 23 septembre, l’Aquarius s’approche d’une barque de migrants, au large des côtes libyennes.

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