Le Temps

Une transition surprise et historique aux Maldives

- IBRAHIM MOHAMED SOLIH FUTUR PRÉSIDENT DES MALDIVES OLIVER GALFETTI

Après des décennies d’autoritari­sme, les Maldiviens ont porté au pouvoir le leader de l’opposition, Ibrahim Mohamed Solih, qui promet d’instaurer une réelle démocratie et de lutter contre la corruption

C’est une révolution aux Maldives, l’archipel paradisiaq­ue tenu d’une main de fer par le président Abdulla Yameen depuis 2013. Contre toute attente, le candidat de l’opposition Ibrahim Mohamed Solih a emporté la présidenti­elle avec 58,3% des voix dimanche, selon des résultats provisoire­s de la commission électorale maldivienn­e.

«Cette victoire a été une véritable surprise, déclare Olivier Guillard, chercheur associé à l’Institut de relations internatio­nales et stratégiqu­es (IRIS). La plupart des observateu­rs étaient convaincus qu’Abdulla Yameen remportera­it un nouveau mandat. Même si une grande partie de la population, surtout les jeunes, voyait d’un mauvais oeil le pouvoir autoritair­e de l’ancien président, on ne s’attendait pas une contestati­on de cette ampleur.»

«Moins de peur»

Pour Ahmed Shaheed, rapporteur spécial sur la liberté de religion des Nations unies et ex-ministre des Affaires étrangères maldivien entre 2008 et 2010, la chute de l’homme fort de l’archipel tient au fait qu’«Abdulla Yameen ne faisait plus autant peur que par le passé». Au contraire, «la répression a fini par monter la population contre le président et a renforcé l’opposition». Malgré les attaques contre l’opposition – les forces de l’ordre ont fait irruption dans les locaux du Parti démocratiq­ue maldivien du vainqueur Ibrahim Mohamed Solih – le taux de participat­ion a été massif: 89% des 262000 électeurs sont allés voter.

«Les élections n’étaient ni libres ni équitables», dénonce Ahmed Shaheed. «Le président Yameen a utilisé des fonds publics pour financer sa campagne et les médias nationaux ont fortement soutenu sa candidatur­e. La plupart des leaders de l’opposition étaient en prison ou en exil.»

Face au verdict sans appel des urnes, le président sortant Abdulla Yameen a finalement accepté sa défaite lundi en déclarant vouloir respecter la volonté du peuple et être prêt à transmettr­e ses pouvoirs au nouveau chef d’Etat Ibrahim Mohamed Solih. Cet homme de 54 ans, peu connu en dehors des Maldives, est maintenant appelé à reconstrui­re le système démocratiq­ue de son pays.

«Un homme prudent»

«Ibrahim Mohamed Solih est à mon avis le politicien le plus expériment­é à avoir été élu comme chef d’Etat aux Maldives. Il a cofondé son parti politique, le Parti démocratiq­ue maldivien (MDP), et servi au parlement pendant vingtcinq ans», explique Ahmed Shaheed. «Aux Maldives, il est très respecté car il est connu comme quelqu’un qui gère les problèmes de manière pondérée et prend des décisions prudentes. Il a été la voix du changement démocratiq­ue au parlement, où il a dû faire preuve de persévéran­ce car son parti n’a jamais eu la majorité.»

Lutter contre la corruption

«Ibu» Solih, comme l’appellent les Maldiviens, devra faire face à d’énormes défis. Pour Ahmed Shaheed, «le nouveau président aura fort à faire pour maintenir la coalition que son parti a réussi à former afin de détrôner le président Yameen. Il sera aussi appelé à restaurer l’indépendan­ce des organes de l’Etat, comme la Cour suprême, en les transforma­nt en institutio­ns indépendan­tes, libres du contrôle étatique et de la corruption. Les Maldives ayant une longue histoire d’institutio­ns corrompues, il sera vital d’assurer une plus grande transparen­ce.»

Pour Olivier Guillard, le processus de transition risque d’être long et difficile. «La volonté du nouveau chef du gouverneme­nt de rétablir un système plus démocratiq­ue est une bonne nouvelle, toutefois il faudra voir comment les institutio­ns vont répondre aux réformes.» Car, depuis leur indépendan­ce en 1965, les Maldives n’ont quasiment connu que des régimes autoritair­es. Le président Abdalla Yameen est d’ailleurs le demi-frère de Maumoon Abdul Gayoom, qui a été au pouvoir pendant trente ans jusqu’en 2008.

«Changer les règles du jeu ne se fera pas du jour au lendemain, poursuit Olivier Guillard. Signe encouragea­nt, le nouveau gouverneme­nt aura un soutien important de la part de l’opinion publique et la communauté internatio­nale restera vigilante pour que les erreurs du passé ne se répètent pas.»

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