Le Temps

Manuel Valls, un pavé français à Barcelone

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

L’ancien premier ministre socialiste devrait officialis­er ce mardi sa candidatur­e à la mairie de Barcelone. Un départ de la politique française presque logique après son échec présidenti­el de 2017

Qui soutient encore Manuel Valls? Dans la salle des Quatre Colonnes de l’Assemblée nationale où le député d’Evry (apparenté majorité présidenti­elle) devrait logiquemen­t passer régulièrem­ent, les sourires sont vite accompagné­s de méchantes blagues. Et pour cause: l’élu de la banlieue sud de Paris, premier ministre d’avril 2014 à décembre 2016, a quasi disparu de l’hémicycle. Sa candidatur­e à la mairie de Barcelone, qu’il devrait officialis­er ce mardi soir en vue des municipale­s de mai 2019, l’a même éloigné de ses plus proches amis politiques: «Manuel est reparti à l’assaut de ses origines. Après la Catalogne, vous le croiserez peutêtre en Suisse italienne», raille un de ses anciens ministres, député de l’ouest de la France, en référence à ses liens avec le Tessin, dont sa mère, Luisangela Galfetti, est originaire.

Pour les électeurs français, la rupture annoncée de l’ancien chef du gouverneme­nt avec la politique hexagonale ne sera sûrement pas un séisme. Moins de 20% s’avouaient «satisfaits» de son passage à l’Hôtel Matignon fin 2016, au moment où son ministre de l’Economie, Emmanuel Macron, prenait, lui, un envol décisif vers l’Elysée. Suivirent, le 29 janvier 2017, sa défaite cinglante à la primaire du Parti socialiste face à Benoît Hamon (41% contre 59%), puis sa réélection ric-rac comme député d’Evry, la commune dont il fut le maire, où quelques centaines de voix le départagèr­ent en juin 2017 de son adversaire de la France insoumise. Bilan? Une descente aux enfers pour celui qui se voyait déjà chef de l’Etat, et qui a finalement dû faire allégeance au macronisme à l’Assemblée…

«Il raisonne en Français»

La rupture politique avec la France, qui sera sans doute consommée aujourd’hui, peut être juste une parenthèse. Même s’il est né en 1962 à Barcelone d’un père catalan et d’une mère suisse, Manuel Valls est seulement citoyen français, après sa naturalisa­tion survenue à l’âge de 20 ans et l’abandon consécutif de sa nationalit­é espagnole. Une autre variable d’importance est son manque d’implantati­on en Catalogne. «Il raisonne en Français typique, juge Sonia Galtié, une militante nationalis­te pro-indépendan­ce. Il débarque d’en haut, n’est pas connu de la base et croit que son discours anti-sécession va faire de lui un recours. C’est loin d’être aussi simple.» Un journalist­e de La Vanguardia, le quotidien catalan, complète: «On n’avait pas besoin de ce pavé dans notre jardin.» Avec, en plus, le même obstacle que dans l’Hexagone: son caractère: efficacité et intransige­ance. «Manuel est très bon dans la mise en oeuvre, poursuit son ancien ministre. Il sait commander. Mais il lui a toujours manqué ce charisme de rassembleu­r qui fait les vrais «patrons. Il a toujours été craint plus qu’aimé.»

Du côté de la macronie, son départ annoncé pour Barcelone fait à peine réagir. «S’il y va pour de bon, cela prouve au moins que l’Europe est une réalité», a juste commenté le porte-parole du gouverneme­nt, Benjamin Griveaux, engagé dans une autre bataille: celle pour la conquête municipale de Paris au printemps 2020. Une relative indifféren­ce nuancée, toutefois, par une inquiétude politique du côté de l’Elysée. A Barcelone, Manuel Valls va sans doute tenter de jouer le «ni droite ni gauche» en mettant en avant un agenda unique: celui du maintien de la Catalogne dans l’Espagne et du retour d’une gestion plus conservatr­ice dans cette métropole dirigée par Ada Colau, élue en 2015 avec le soutien de Podemos (gauche radicale). De quoi l’amener à tenter une synthèse entre le parti de centre droit anti-indépendan­ce Ciudadanos et le Parti socialiste du président du Conseil Pedro Sanchez, allié théorique d’Emmanuel Macron à Bruxelles face aux populistes et aux souveraini­stes. Or qu’adviendra-t-il s’il perturbe le jeu, puis échoue? Les rares sondages le créditent de moins de 15% des voix: «Le 26 mai 2019, c’est aussi la date des élections européenne­s, juge un diplomate espagnol. Valls, Macron et Sanchez devront obligatoir­ement se coordonner.»

S’imposer sans diviser

Sur ses motivation­s profondes, Manuel Valls est jusque-là resté discret. Des photos l’ont montré avec sa soi-disant nouvelle compagne, Susanna Gallardo, héritière de laboratoir­es pharmaceut­iques. Ses rencontres avec la presse espagnole, fréquentes, sont restées consensuel­les. Or l’on sait que sur les migrants, par exemple, l’ancien premier ministre est partisan d’une très grande fermeté, alors que la municipali­té sortante vantait l’accueil. Idem contre l’islamisme radical, dont les Barcelonai­s ont peur depuis l’attentat à la voiture-bélier du 17 août 2017 sur les Ramblas. La surenchère apparaît assurée. Comment s’imposer sans antagonise­r? A cette question, Manuel Valls n’a jamais su répondre à Paris. Y parvenir à Barcelone, s’il choisit de se lancer dans l’arène municipale, ne sera pas moins difficile.

 ??  ?? MANUEL VALLS DÉPUTÉ D’ÉVRY
MANUEL VALLS DÉPUTÉ D’ÉVRY

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland