Le défi d’une migration qui ne maîtrise pas nos codes
Nos pays vieillissants sont confrontés à des migrations de grande ampleur. Ethniquement, culturellement et religieusement différentes, ces migrations sont mal préparées à affronter les difficultés que leur réservent des sociétés en pleine mutation technologique et morale.
Les gouvernements sont désemparés face aux défis qui leur sont posés; ils peinent à les aborder de façon rationnelle. Soumis à une énorme pression faite de culpabilisation, de mauvaise conscience et d’images poignantes, ils ont du mal à développer des politiques cohérentes. D’autant plus que la diversité des situations complexifie les décisions à prendre. Enfin, ils se heurtent à l’hostilité, aux frustrations et aux ressentiments de ceux qui sont le plus en contact, voire en concurrence, avec ces nouveaux arrivants.
Il faut donc formuler correctement les problèmes pour y répondre adéquatement. Prenons deux exemples (qui sont d’ailleurs liés). Si l’on ne distingue pas migrants et réfugiés, on rencontre d’insurmontables contradictions quant au traitement de leurs cas. Pareillement, dans notre relation à l’islam – religion d’une grande partie des immigrants –, nous devons distinguer trois niveaux: spirituel, culturel, politico-idéologique. Le premier appartient à la sphère privée et doit permettre aux musulmans, à l’instar des fidèles d’autres religions, de vivre librement leur foi. L’aspect culturel est plus problématique. Toute civilisation, a écrit Toynbee, est une réponse apportée par un groupe humain aux problèmes de son environnement; l’islam développé dans des conditions et des circonstances données n’est, en raison de son contexte et, souvent, de la rigidité de son interprétation, que difficilement «soluble» dans nos sociétés postmodernes. S’il heurte frontalement nos modes de vie et nos valeurs, il risque également de marginaliser les musulmans; la cohabitation devient compliquée. Au troisième niveau, la fusion du spirituel et du culturel dans le politique confère à l’islam, qui se veut totalité, sa cohérence globale. Mais elle renforce aussi la tentation communautariste de ses franges extrémistes – qui sont les plus audibles – et leur volonté de le substituer à nos modes de vie et à nos institutions. Notre degré de tolérance doit alors être élevé sur le plan spirituel, restreint au niveau culturel, inexistant dans le domaine politique.
En synthèse, le défi auquel nos pays font face est celui d’accueillir dignement et d’aider des personnes recherchant une protection ou une vie meilleure mais ne maîtrisant majoritairement ni les codes ni les connaissances indispensables pour réussir leur intégration. Deux types de frustrations peuvent découler de cet état de choses: chez les arrivants qui se sentent rejetés; chez certains autochtones fragilisés, persuadés d’être défavorisés par rapport aux nouveaux venus.
L’Etat doit à la fois aider à l’intégration et, parallèlement, rassurer ceux qui pensent être laissés pour compte. Leurs frustrations et leurs ressentiments ne seront réduits qu’à trois conditions. Premièrement qu’ils soient convaincus que l’Etat les protège, c’est-à-dire qu’il prend des mesures efficaces pour contrôler les arrivées et fixer des exigences claires. Deuxièmement, que des contreparties soient imposées à ceux qui s’installent dans nos sociétés: s’il est nécessaire de les aider au début, ils doivent ensuite être responsabilisés et pour cela ils doivent pouvoir travailler ou fournir une contribution sous une autre forme. L’aide de départ qui leur est accordée ne saurait se transformer en un revenu universel déguisé.
Enfin, comme le suggérait récemment The Economist, il serait équitable que les migrants compensent une partie des investissements faits à leur profit en s’acquittant d’un impôt spécifique prélevé sur leurs revenus pendant une certaine période. Ces montants seraient affectés à des fins profitables à tous. De telles exigences peuvent paraître sévères, mais elles contribueraient à clarifier et à dépassionner les enjeux et faciliteraient une mutation inéluctable.
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L’islam n’est que difficilement «soluble» dans nos sociétés postmodernes