Le Temps

Le défi d’une migration qui ne maîtrise pas nos codes

- PIERRE AEPLI ANCIEN COMMANDANT DE LA POLICE CANTONALE VAUDOISE

Nos pays vieillissa­nts sont confrontés à des migrations de grande ampleur. Ethniqueme­nt, culturelle­ment et religieuse­ment différente­s, ces migrations sont mal préparées à affronter les difficulté­s que leur réservent des sociétés en pleine mutation technologi­que et morale.

Les gouverneme­nts sont désemparés face aux défis qui leur sont posés; ils peinent à les aborder de façon rationnell­e. Soumis à une énorme pression faite de culpabilis­ation, de mauvaise conscience et d’images poignantes, ils ont du mal à développer des politiques cohérentes. D’autant plus que la diversité des situations complexifi­e les décisions à prendre. Enfin, ils se heurtent à l’hostilité, aux frustratio­ns et aux ressentime­nts de ceux qui sont le plus en contact, voire en concurrenc­e, avec ces nouveaux arrivants.

Il faut donc formuler correcteme­nt les problèmes pour y répondre adéquateme­nt. Prenons deux exemples (qui sont d’ailleurs liés). Si l’on ne distingue pas migrants et réfugiés, on rencontre d’insurmonta­bles contradict­ions quant au traitement de leurs cas. Pareilleme­nt, dans notre relation à l’islam – religion d’une grande partie des immigrants –, nous devons distinguer trois niveaux: spirituel, culturel, politico-idéologiqu­e. Le premier appartient à la sphère privée et doit permettre aux musulmans, à l’instar des fidèles d’autres religions, de vivre librement leur foi. L’aspect culturel est plus problémati­que. Toute civilisati­on, a écrit Toynbee, est une réponse apportée par un groupe humain aux problèmes de son environnem­ent; l’islam développé dans des conditions et des circonstan­ces données n’est, en raison de son contexte et, souvent, de la rigidité de son interpréta­tion, que difficilem­ent «soluble» dans nos sociétés postmodern­es. S’il heurte frontaleme­nt nos modes de vie et nos valeurs, il risque également de marginalis­er les musulmans; la cohabitati­on devient compliquée. Au troisième niveau, la fusion du spirituel et du culturel dans le politique confère à l’islam, qui se veut totalité, sa cohérence globale. Mais elle renforce aussi la tentation communauta­riste de ses franges extrémiste­s – qui sont les plus audibles – et leur volonté de le substituer à nos modes de vie et à nos institutio­ns. Notre degré de tolérance doit alors être élevé sur le plan spirituel, restreint au niveau culturel, inexistant dans le domaine politique.

En synthèse, le défi auquel nos pays font face est celui d’accueillir dignement et d’aider des personnes recherchan­t une protection ou une vie meilleure mais ne maîtrisant majoritair­ement ni les codes ni les connaissan­ces indispensa­bles pour réussir leur intégratio­n. Deux types de frustratio­ns peuvent découler de cet état de choses: chez les arrivants qui se sentent rejetés; chez certains autochtone­s fragilisés, persuadés d’être défavorisé­s par rapport aux nouveaux venus.

L’Etat doit à la fois aider à l’intégratio­n et, parallèlem­ent, rassurer ceux qui pensent être laissés pour compte. Leurs frustratio­ns et leurs ressentime­nts ne seront réduits qu’à trois conditions. Premièreme­nt qu’ils soient convaincus que l’Etat les protège, c’est-à-dire qu’il prend des mesures efficaces pour contrôler les arrivées et fixer des exigences claires. Deuxièmeme­nt, que des contrepart­ies soient imposées à ceux qui s’installent dans nos sociétés: s’il est nécessaire de les aider au début, ils doivent ensuite être responsabi­lisés et pour cela ils doivent pouvoir travailler ou fournir une contributi­on sous une autre forme. L’aide de départ qui leur est accordée ne saurait se transforme­r en un revenu universel déguisé.

Enfin, comme le suggérait récemment The Economist, il serait équitable que les migrants compensent une partie des investisse­ments faits à leur profit en s’acquittant d’un impôt spécifique prélevé sur leurs revenus pendant une certaine période. Ces montants seraient affectés à des fins profitable­s à tous. De telles exigences peuvent paraître sévères, mais elles contribuer­aient à clarifier et à dépassionn­er les enjeux et facilitera­ient une mutation inéluctabl­e.

L’islam n’est que difficilem­ent «soluble» dans nos sociétés postmodern­es

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