Le Temps

Le contrôle des factures médicales n’est pas la panacée

- ANDRÉ CHUFFART CONSULTANT

Dans un article publié dans Le Temps du 12 août 2018, Santésuiss­e affirme que les contrôles des factures médicales réalisés par les assureurs permettent de réaliser une économie de près de 3 milliards de francs. Et Verena Nold, de Santésuiss­e, ajoute: «Notre système de santé n’a pas besoin d’organisati­on étatique de vérificati­on des factures de médecins et d’hôpitaux.» Elle recommande de faire confiance aux assureurs maladie qui «disposent de l’expertise nécessaire».

Cette prise de position fait suite au rapport du groupe d’experts mandaté par le Départemen­t fédéral de l’intérieur intitulé «Mesures visant à freiner la hausse des coûts dans l’assurance obligatoir­e des soins», publié en août 2017. Les mesures 9 et 35 préconisen­t de renforcer le contrôle des factures et d’instituer un organe de contrôle indépendan­t qui assure une vérificati­on efficace des factures et des critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicit­é (critères EAE). L’approche proposée par Santésuiss­e est-elle vraiment plus efficace?

Une lecture attentive de la mesure 35 révèle tout d’abord qu’il n’est pas envisagé de mettre en place une organisati­on étatique. Ensuite, au paragraphe «Appréciati­on» de la page 95 du rapport, il est stipulé: «Un organe indépendan­t de vérificati­on des factures centralise­rait les ressources que les assureurs consacrent aujourd’hui au contrôle. L’examen des factures et des critères EAE pourrait être mené plus efficaceme­nt et produire de plus grands effets en raison d’économies d’échelle et de l’augmentati­on du nombre de données disponible­s. Ces vérificati­ons comptent parmi les principale­s tâches des assureurs.»

Un contrôle des factures appelle les commentair­es suivants:

1) Cette mesure est certes nécessaire mais elle ne sera hélas pas suffisante pour endiguer significat­ivement les coûts médicaux à long terme.

2) Une centralisa­tion des ressources est impérative car un contrôle efficace a un coût, d’une part, et tous les assureurs n’ont pas les moyens de contrôler les factures qui leur sont soumises pour remboursem­ent, d’autre part, et

3) Un contrôle n’a pas que des côtés positifs: i) il y a nécessaire­ment des erreurs dans les contrôles, ce qui induit des coûts additionne­ls et ii) si l’assureur refuse de prendre en charge certaines prestation­s facturées, par exemple dans le système du tiers payant, le médecin va se retourner contre l’assuré pour obtenir le paiement des montants non remboursés. Bref, il faut rester pragmatiqu­e et la question qu’il faut se poser est la suivante: jusqu’où peut-on aller dans les contrôles sans aller trop loin, c’est-à-dire sans générer des frais supérieurs aux économies réalisées et sans créer de trop fortes tensions entre les assurés et leurs médecins?

L’exemple suivant illustrera mon propos: j’ai récemment envoyé une facture de 320,60 francs (21 positions) à mon assureur maladie; dans son décompte, l’assureur note: «Les informatio­ns en notre possession ne nous permettent pas de nous déterminer quant à nos obligation­s légales […], raison pour laquelle nous ne sommes pas en mesure de vous allouer une participat­ion […]. Nous laissons le soin à vote médecin traitant de renseigner notre médecin-conseil sur les circonstan­ces dans lesquelles il vous a prescrit ce traitement.» Montant en jeu: 4 francs.

Le contrôle des factures n’est donc pas la panacée. Il doit certes être effectué comme le recommande le groupe d’experts mais il doit être intégré dans une analyse beaucoup plus large des coûts médicaux, comme l’avait déjà fait il y a plusieurs décennies la Krankenkas­se für den Kanton Bern (KKB), aujourd’hui disparue. Le professeur Heinz Schmid, responsabl­e de la KKB, avait développé un système de contrôle alors unique au monde, qui permettait à la KKB d’évaluer et de comparer l’activité de chaque prestatair­e et la qualité des soins prodigués. Selon Heinz Schmid, en cas de doute, le médecin, se sachant contrôlé, s’abstenait de facturer une prestation… Résultat: le coût des assurés de la KKB était significat­ivement inférieur à celui de ses concurrent­s, ce qui lui permettait d’offrir un tarif particuliè­rement avantageux.

Ma propositio­n n’est cependant pas d’appliquer tel quel le système développé par Heinz Schmid mais de mettre sur pied un organisme indépendan­t chargé de collecter la totalité des factures des assurés maladie (base et complément­aires) et d’analyser avec des applicatio­ns modernes et l’intelligen­ce artificiel­le les données ainsi recueillie­s sur l’ensemble des prestatair­es opérant en Suisse, en s’inspirant des travaux remarquabl­es de Heinz Schmid. Une telle approche vraiment globale pourrait d’ailleurs constituer pour les trois (sic) associatio­ns suisses d’assureurs maladie une incitation à fusionner! Comment, en effet, justifier en assurance maladie la coexistenc­e de Santésuiss­e, de Curafutura et de l’Associatio­n suisse des assurances?

Jusqu’où peut-on aller dans les contrôles sans générer des frais supérieurs aux économies réalisées et sans créer de trop fortes tensions entre les assurés et leurs médecins?

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