Le Temps

Responsabi­lité des entreprise­s: la solution viendra du privé

- RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h

Sur le plan économique, elle est championne. La Suisse brille par son dynamisme et se classe aux premiers rangs des indices internatio­naux de compétitiv­ité, que ce soit pour la flexibilit­é que lui confère son approche libérale, la vivacité de ses forces d’innovation ou la qualité de son système de formation. Mais quand il s’agit de thématique­s liées à la responsabi­lité sociétale des entreprise­s (RSE), le sentiment d’inertie domine et masque de bonnes idées.

Alors qu’elle s’en profile comme le berceau naturel, abritant le siège européen des Nations unies et ses nombreuses agences, la Suisse n’arrive qu’au bas du top 10 du classement de l’ONU sur la mise en oeuvre des dix-sept objectifs de développem­ent durable (ODD). Au septième rang précisémen­t, derrière ses voisins allemand et français, notamment en raison de lacunes sur l’égalité salariale et de niveaux de consommati­on et de production jugés peu durables. Un rapport publié cet été montre aussi que la tendance évolue, mais lentement.

Un maillage à préserver

Pourquoi? La réponse tient à la structure de son économie: 98,5% des entreprise­s suisses emploient moins de 50 collaborat­eurs. Or, ces petites structures disposent rarement des ressources financière­s et humaines pour rendre compte, sans que cela affecte leurs marges, de leurs efforts en matière de RSE. C’est ce que relevait une étude publiée récemment par la Haute Ecole de gestion Arc à Neuchâtel (lire Le Temps du 13.09.18). Difficile dans ce contexte de définir un cadre réglementa­ire imposant les normes RSE à toutes les entreprise­s. Les meilleurs connaisseu­rs du dossier s’accordent pour souligner le risque d’étouffer ce pan majoritair­e de l’économie.

Pas de réglementa­tion, donc. Mais quid d’une baisse d’impôts aux PME qui se certifiera­ient? Cette piste est aussi débattue dans les plus hautes sphères décisionne­lles. Mais là, le risque, c’est de froisser les multinatio­nales. Elles sont certes moins nombreuses, mais pèsent lourd dans l’économie suisse, représenta­nt un tiers du produit intérieur brut et un emploi sur trois, selon les chiffres publiés par l’associatio­n Swissholdi­ngs.

Dans cet exercice d’équilibris­te, la Confédérat­ion compte sur la mise en oeuvre de l’Agenda 2030 (programme de développem­ent durable de l’ONU à l’échéance duquel les ODD sont censés être atteints). En présentant un premier bilan mi-juillet à New York, la conseillèr­e fédérale Doris Leuthard concédait elle-même que des efforts restent à faire dans différents domaines, mais plaide pour des solutions prises «au niveau global». Autrement dit, la Suisse ne veut pas faire cavalier seul et prendre le risque de perdre de son attractivi­té aux yeux des entreprise­s. On comprend mieux l’inertie.

Des voies de certificat­ion alternativ­es

Face à cet immobilism­e, les initiative­s privées se multiplien­t. Parmi elles émergent des alternativ­es aux certificat­ions traditionn­elles. Notamment le label B Corp, qui permet aux entreprise­s de faire un bilan durabilité de leurs fournisseu­rs et des conditions de travail de leurs employés, via un questionna­ire en ligne. Soit une bonne manière de se familiaris­er avec les standards RSE. Créé en 2006 aux Etats-Unis et arrivé l’an dernier en Suisse, B Corp regroupe plus de 2600 sociétés, dont les vêtements de sport Patagonia et les glaces Ben & Jerry’s, ou encore la marque helvétique de chaussures Baabuk.

La technologi­e pourrait aussi accoucher d’une solution de certificat­ion simplifiée et peu onéreuse, s’enthousias­me l’entreprene­ur et spécialist­e des problémati­ques de durabilité Benjamin Firmenich. En particulie­r la chaîne de blocs, cette sorte de registre numérique décentrali­sé, où les données consignées sont inaltérabl­es. Le projet GoodChain, né en partie à l’EPFL et dédié à la transparen­ce des produits, en est une esquisse.

En définitive, l’inertie apparente tient seulement aux lourdeurs politiques et la cherté des démarches ne peut plus être avancée comme excuse par les entreprise­s. Car en y regardant de plus près, l’économie foisonne de projets. Nul doute que le privé aura trouvé la solution bien avant le politique, porté par des investisse­urs qui ont intégré la durabilité dans la gestion du risque – Larry Fink, patron de BlackRock, plus grand fonds d’investisse­ment du monde, enjoignait en janvier dernier les patrons à s’engager davantage en la matière. Porté aussi par une nouvelle génération d’entreprene­urs biberonnés aux problémati­ques de développem­ent durable. Une nouvelle génération, qui est en passe de prendre la main: selon les données compilées par Credit Suisse et l’Université de Saint-Gall, une entreprise sur cinq va au-devant d’une succession d’ici à 2021. ▅

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