«La pression est forte sur les PME chinoises»
Davantage que la guerre commerciale avec les Etats-Unis, la lutte contre le financement parallèle de l'économie chinoise pèse sur le moral des PME et des investisseurs, indique Geoffrey Wong d'UBS Asset Management
La guerre commerciale s’intensifie entre les Etats-Unis et la Chine. Dans la nuit de dimanche à lundi sont entrées en vigueur de nouvelles taxes douanières américaines de 10% portant sur 200 milliards de dollars d’importations chinoises. La réplique chinoise – des taxes de 5 ou 10% sur 60 milliards de dollars de biens américains – et les annonces des derniers mois font craindre que les deux pays s’enlisent dans un conflit dangereux pour la croissance mondiale. Cet été, les deux pays avaient imposé des taxes réciproques de 25% sur 50 milliards de marchandises.
Mais d’autres facteurs pèsent déjà sur l’économie chinoise et sur l’humeur des investisseurs, analyse pour Le Temps Geoffrey Wong, responsable des actions pour l’Asie-Pacifique et les pays émergents chez UBS Asset Management.
Pourquoi les investisseurs chinois sont-ils pessimistes depuis le début de l’année? Les actions chinoises ont reculé en 2018, après une année 2017 très solide. Cette année, les investisseurs étrangers sont restés acheteurs, mais les acteurs locaux ont été vendeurs. L’humeur des investisseurs est plutôt mauvaise pour deux raisons: d’une part, la guerre commerciale et, d’autre part, l’offensive du gouvernement contre le financement parallèle de l’économie et le niveau d’endettement élevé.
Quel est l’impact réel du conflit commercial avec Washington? La situation a changé depuis le début de l’année. En particulier, on ressent de l’incertitude concernant ce que les Etats-Unis veulent vraiment obtenir dans ces négociations commerciales. La Chine ne veut pas montrer qu’elle se laisse bousculer ou dicter des choses. En même temps, le gouvernement s’en tient à une réponse modérée, pour ne pas provoquer d’escalade du conflit avec les Etats-Unis. Pékin est très prudent dans ses déclarations. Il est très difficile de prédire ce qui va se passer à l’avenir.
Peut-on s’attendre à un ralentissement de la croissance chinoise? Les journaux chinois, qui reflètent généralement bien ce que le gouvernement pense, se sont montrés inquiets quant à l’impact de la guerre commerciale sur la croissance du produit intérieur brut. Ils illustrent ce que le gouvernement a en tête: à savoir que la croissance pourrait ralentir à cause de ce conflit. C’est aussi un signal que le gouvernement est prêt à stimuler davantage l’économie. Cependant, nous ne nous attendons pas à des incitations de la même ampleur qu’en 2016 ou après la grande crise financière, lorsque l’économie se trouvait alors en bien pire état. On peut prévoir des stimulus modérés, mais qui pourraient aider les marchés à se reprendre. Traditionnellement, les investisseurs individuels et institutionnels sont très attentifs aux actions du gouvernement.
Quelles actions ont été lancées contre le financement parallèle de l’économie, et pour quels effets? Le gouvernement a passé de nouvelles réglementations pour lutter contre l’endettement excessif. Ces dernières années, le «shadow banking» [finance de l’ombre, ndlr] a beaucoup progressé en Chine car les PME ont rencontré des difficultés à emprunter auprès des banques, soumises à des réglementations strictes. Certains des produits de ces «banques fantômes» sont dangereux, tels ceux appelés «wealth management», à ne pas confondre avec des produits de gestion privée comme nous l’entendons. Ces produits «wealth management» sont un moyen de déguiser des prêts, en les habillant comme des fonds mutuels.
Comment fonctionnent-ils? Le produit dit «wealth management» reçoit de l’argent des épargnants en leur garantissant une performance élevée, de l’ordre de 6%, bien supérieure à celle qu’ils reçoivent dans une banque. Cet argent est ensuite prêté à des PME. Ce mécanisme est dangereux, car ces prêts n’apparaissent pas dans les bilans des banques et ces dernières ne constituent donc pas de réserves pour ces prêts. En cas de perte, sur le papier, l’investisseur est responsable mais, dans la pratique, il est aussi arrivé que des banques interviennent pour compenser les pertes. Cela donne la fausse impression qu’il existe une garantie implicite de la part des banques. Le gouvernement a donc réglementé ces produits financiers pour qu’ils disparaissent.
Peut-on parler d’assainissement du système? C’est un pas nécessaire vers l’assainissement du système financier chinois. Mais, à court terme, cela met de la pression sur les PME, ce qui se traduit par une détérioration du sentiment du grand public. La perception de la situation est aussi mauvaise qu’elle l’était en 2015. Ensuite, le marché actions chinois avait néanmoins bien performé. Il est difficile de dire quand le sentiment va tourner mais, pour un investisseur qui aime aller à vent contraire, il peut être intéressant de s’intéresser aux marchés actuellement.
GEOFFREY WONG RESPONSABLE DES ACTIONS POUR L’ASIE-PACIFIQUE ET LES PAYS ÉMERGENTS CHEZ UBS ASSET MANAGEMENT
«Pour un investisseur qui aime aller à vent contraire, il peut être intéressant de s’intéresser aux marchés chinois actuellement» «La consommation reste cyclique et, à court terme, l’économie chinoise traverse une phase de décélération»
Où en est-on du scénario de transition vers une croissance tirée par la consommation domestique en Chine? La consommation reste cyclique et, à court terme, l’économie chinoise traverse une phase de décélération. Nous nous attendons donc à une modération de la consommation au cours des prochains mois. Mais cela ne change pas la tendance structurelle à l’augmentation de la consommation. Sur le long terme, la croissance de la consommation domestique devrait donc continuer d’accélérer. Les facteurs structurels positifs sont présents: le taux d’épargne est très élevé, le rythme des investissements publics reste soutenu, par exemple dans les infrastructures. Après deux décennies de croissance à deux chiffres des revenus, les plus jeunes générations sont très confiantes. Elles sont plus enclines à dépenser: on le voit dans les hauts lieux du luxe en Europe par exemple.
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