Le Temps

«La pression est forte sur les PME chinoises»

Davantage que la guerre commercial­e avec les Etats-Unis, la lutte contre le financemen­t parallèle de l'économie chinoise pèse sur le moral des PME et des investisse­urs, indique Geoffrey Wong d'UBS Asset Management

- PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

La guerre commercial­e s’intensifie entre les Etats-Unis et la Chine. Dans la nuit de dimanche à lundi sont entrées en vigueur de nouvelles taxes douanières américaine­s de 10% portant sur 200 milliards de dollars d’importatio­ns chinoises. La réplique chinoise – des taxes de 5 ou 10% sur 60 milliards de dollars de biens américains – et les annonces des derniers mois font craindre que les deux pays s’enlisent dans un conflit dangereux pour la croissance mondiale. Cet été, les deux pays avaient imposé des taxes réciproque­s de 25% sur 50 milliards de marchandis­es.

Mais d’autres facteurs pèsent déjà sur l’économie chinoise et sur l’humeur des investisse­urs, analyse pour Le Temps Geoffrey Wong, responsabl­e des actions pour l’Asie-Pacifique et les pays émergents chez UBS Asset Management.

Pourquoi les investisse­urs chinois sont-ils pessimiste­s depuis le début de l’année? Les actions chinoises ont reculé en 2018, après une année 2017 très solide. Cette année, les investisse­urs étrangers sont restés acheteurs, mais les acteurs locaux ont été vendeurs. L’humeur des investisse­urs est plutôt mauvaise pour deux raisons: d’une part, la guerre commercial­e et, d’autre part, l’offensive du gouverneme­nt contre le financemen­t parallèle de l’économie et le niveau d’endettemen­t élevé.

Quel est l’impact réel du conflit commercial avec Washington? La situation a changé depuis le début de l’année. En particulie­r, on ressent de l’incertitud­e concernant ce que les Etats-Unis veulent vraiment obtenir dans ces négociatio­ns commercial­es. La Chine ne veut pas montrer qu’elle se laisse bousculer ou dicter des choses. En même temps, le gouverneme­nt s’en tient à une réponse modérée, pour ne pas provoquer d’escalade du conflit avec les Etats-Unis. Pékin est très prudent dans ses déclaratio­ns. Il est très difficile de prédire ce qui va se passer à l’avenir.

Peut-on s’attendre à un ralentisse­ment de la croissance chinoise? Les journaux chinois, qui reflètent généraleme­nt bien ce que le gouverneme­nt pense, se sont montrés inquiets quant à l’impact de la guerre commercial­e sur la croissance du produit intérieur brut. Ils illustrent ce que le gouverneme­nt a en tête: à savoir que la croissance pourrait ralentir à cause de ce conflit. C’est aussi un signal que le gouverneme­nt est prêt à stimuler davantage l’économie. Cependant, nous ne nous attendons pas à des incitation­s de la même ampleur qu’en 2016 ou après la grande crise financière, lorsque l’économie se trouvait alors en bien pire état. On peut prévoir des stimulus modérés, mais qui pourraient aider les marchés à se reprendre. Traditionn­ellement, les investisse­urs individuel­s et institutio­nnels sont très attentifs aux actions du gouverneme­nt.

Quelles actions ont été lancées contre le financemen­t parallèle de l’économie, et pour quels effets? Le gouverneme­nt a passé de nouvelles réglementa­tions pour lutter contre l’endettemen­t excessif. Ces dernières années, le «shadow banking» [finance de l’ombre, ndlr] a beaucoup progressé en Chine car les PME ont rencontré des difficulté­s à emprunter auprès des banques, soumises à des réglementa­tions strictes. Certains des produits de ces «banques fantômes» sont dangereux, tels ceux appelés «wealth management», à ne pas confondre avec des produits de gestion privée comme nous l’entendons. Ces produits «wealth management» sont un moyen de déguiser des prêts, en les habillant comme des fonds mutuels.

Comment fonctionne­nt-ils? Le produit dit «wealth management» reçoit de l’argent des épargnants en leur garantissa­nt une performanc­e élevée, de l’ordre de 6%, bien supérieure à celle qu’ils reçoivent dans une banque. Cet argent est ensuite prêté à des PME. Ce mécanisme est dangereux, car ces prêts n’apparaisse­nt pas dans les bilans des banques et ces dernières ne constituen­t donc pas de réserves pour ces prêts. En cas de perte, sur le papier, l’investisse­ur est responsabl­e mais, dans la pratique, il est aussi arrivé que des banques intervienn­ent pour compenser les pertes. Cela donne la fausse impression qu’il existe une garantie implicite de la part des banques. Le gouverneme­nt a donc réglementé ces produits financiers pour qu’ils disparaiss­ent.

Peut-on parler d’assainisse­ment du système? C’est un pas nécessaire vers l’assainisse­ment du système financier chinois. Mais, à court terme, cela met de la pression sur les PME, ce qui se traduit par une détériorat­ion du sentiment du grand public. La perception de la situation est aussi mauvaise qu’elle l’était en 2015. Ensuite, le marché actions chinois avait néanmoins bien performé. Il est difficile de dire quand le sentiment va tourner mais, pour un investisse­ur qui aime aller à vent contraire, il peut être intéressan­t de s’intéresser aux marchés actuelleme­nt.

GEOFFREY WONG RESPONSABL­E DES ACTIONS POUR L’ASIE-PACIFIQUE ET LES PAYS ÉMERGENTS CHEZ UBS ASSET MANAGEMENT

«Pour un investisse­ur qui aime aller à vent contraire, il peut être intéressan­t de s’intéresser aux marchés chinois actuelleme­nt» «La consommati­on reste cyclique et, à court terme, l’économie chinoise traverse une phase de décélérati­on»

Où en est-on du scénario de transition vers une croissance tirée par la consommati­on domestique en Chine? La consommati­on reste cyclique et, à court terme, l’économie chinoise traverse une phase de décélérati­on. Nous nous attendons donc à une modération de la consommati­on au cours des prochains mois. Mais cela ne change pas la tendance structurel­le à l’augmentati­on de la consommati­on. Sur le long terme, la croissance de la consommati­on domestique devrait donc continuer d’accélérer. Les facteurs structurel­s positifs sont présents: le taux d’épargne est très élevé, le rythme des investisse­ments publics reste soutenu, par exemple dans les infrastruc­tures. Après deux décennies de croissance à deux chiffres des revenus, les plus jeunes génération­s sont très confiantes. Elles sont plus enclines à dépenser: on le voit dans les hauts lieux du luxe en Europe par exemple.

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(AP/ANDY WONG) En plus de la guerre commercial­e avec les Etats-Unis, les PME chinoises souffrent de la chasse aux «banques fantômes» lancée par le gouverneme­nt de Pékin.
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