Le Temps

Les hauts et les bas de Senderos

Philippe Senderos, qui dispute mercredi la finale de l’US Open Cup avec Houston Dynamo, a alterné le pire et le meilleur au long d’une carrière riche en transferts, en exploits et en boulettes. Il a tout surmonté avec une force de caractère impression­nant

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Curieux destin que celui de Philippe Senderos: il a porté les maillots les plus prestigieu­x mais a en même temps aligné les matchs assis sur le banc des remplaçant­s. Un mélange d’exploits et de boulettes qui n’entame pas sa déterminat­ion. Radiograph­ie d’un fort caractère.

«Lorsqu’on fait un métier public, les critiques font partie du jeu. Moi, ça ne me change pas la vie» PHILIPPE SENDEROS Philippe Senderos en 2017, lors d’un match de son équipe, le Dynamo de Houston, contre les Timbers de Portland. Le défenseur se dit heureux aux Etats-Unis et fier de son parcours.

Il y a deux manières de raconter la carrière de Philippe Senderos, qui dispute le 26 septembre la finale de l’US Open Cup avec Houston Dynamo contre Philadelph­ie Union. L’une, admirative, recense les grands clubs dont il a porté le maillot (Arsenal, AC Milan, Everton, Valence, Aston Villa, Glasgow Rangers) au long d’une carrière longue de 16 saisons, émaillée de trois participat­ions à la Coupe du monde (2006, 2010, 2014) avec l’équipe de Suisse (57 sélections, 5 buts). L’autre, mordante, ironise sur la trajectoir­e descendant­e d’un joueur pas si vieux (33 ans) mais remplaçant plus souvent que titulaire depuis maintenant dix ans.

Le monde du football est impitoyabl­e, plus encore depuis l’invention des réseaux sociaux. Philippe Senderos y est l’un des joueurs les plus moqués: «Arsenal flop», «erreur de casting» à Milan, «l’un des pires joueurs des Rangers», pour ne citer que les commentair­es les plus polis. Objectivem­ent, son parcours est admirable, surtout vu de Suisse. Les joueurs romands au bénéfice d’un pareil CV se comptent sur les doigts d’une seule main: Stéphane Chapuisat, Johann Vogel, Stéphane Henchoz, Patrick Müller, Johan Djourou. Plus que Djourou, avec qui il débuta très jeune à Arsenal, c’est à Vogel, autre phénomène de précocité, qu’il ressemble finalement le plus: des débuts fulgurants, puis une seconde partie de carrière en demi-teinte.

Philippe Senderos est contempora­in de Stan Wawrinka, à un mois près. Alors que «Stan the Man» remporta trois titres en Grand Chelem entre 2014 et 2016, «Big Phil» a vécu son apogée entre 2006 et 2007. Il avait alors 22 ans et valait 9,7 millions d’euros selon le site Transferma­rkt. Le seul transfert payant de sa carrière fut pourtant le premier, de Servette à Arsenal. Ses huit mouvements suivants furent tous des prêts ou des transferts gratuits, parfois pour une durée de six mois ou d’un an seulement.

Nez ouvert, visage fermé

Toutes les carrières sont faites de hauts et de bas. Mais la sienne se distingue par des hauts parfois himalayens et des bas souvent abyssaux. Pour le meilleur comme pour le pire, les images fortes abondent à son sujet. Senderos, c’est le gamin qui affole les recruteurs anglais en muselant Wayne Rooney à l’Euro M17 en 2002 et devient le capitaine de la première équipe de Suisse championne d’Europe. C’est ensuite le buteur du barrage aller contre la Turquie en 2005. Le héros ensanglant­é, nez ouvert et visage fermé, contre la Corée du Sud lors de la Coupe du monde 2006.

Mais Senderos, c’est aussi le souvenir cuisant d’une entrée en jeu compliquée en 2014 au Brésil contre la France, des débuts désastreux avec les Rangers dans le derby de Glasgow, un comeback raté en Suisse avec Grasshoppe­r, un marquage fantomatiq­ue sur Lukaku à Genève qui enterre quasi instantané­ment ses espoirs d’Euro 2016 et scelle son destin avec l’équipe nationale. L’an dernier, le site SportBible, 10 millions d’amis Facebook, a ressorti une photo de la période milanaise, sur le thème «cherchez l’erreur». Philippe y pose avant un match de Serie A aux côtés de Ronaldinho, Kaka, Chevtchenk­o (tous trois Ballon d’or), Seedorf, Beckham, Thiago Silva. «Ce gars-là a le meilleur agent du monde», gloussent les uns. «Houston, vous allez avoir un problème», ricanent les autres lorsqu’il signe en MLS en août 2017.

«Ça va», toujours

Au Texas, il enchaîne là encore problèmes musculaire­s et coups de plot héroïques, indifféren­t au buzz et aux likes. «Le football, c’est 20000 à 80000 personnes dans un stade, des millions devant la télévision et maintenant des milliers ou des dizaines de milliers sur les réseaux sociaux. Tout le monde a son avis, tout le monde commente; c’est le foot, c’est comme ça, nous explique-t-il par téléphone. Lorsqu’on fait un métier public, les critiques font partie du jeu. Moi, ça ne me change pas la vie, ni en bien ni en mal. On ne tient pas seize ans à ce niveau si l’on écoute l’opinion de tout le monde.»

La ligne directrice dans ce tumulte, c’est sa force de caractère. Christian Lanza, recruteur et ancien entraîneur à Servette, en fut le premier témoin: «Philippe avait des capacités de leader que je n’ai jamais vues avant lui et que je n’ai jamais retrouvées ensuite. Je me souviens de la première fois où je l’ai pris avec les juniors C pour un match à Sion. Dans le vestiaire, il haranguait les autres alors qu’il était encore junior D.»

Michel Pont l’a connu à peu près au même âge, d’abord en sélection de jeunes à Genève («il était déjà capitaine») puis durant huit ans en équipe de Suisse. «Philippe, c’est un étonnant mélange: père espagnol, mère serbe, éducation suisse. Il est à la fois très doux et très fort mentalemen­t, modeste et très ambitieux, calme et bouillant à l’intérieur. C’est quelqu’un d’authentiqu­e, qui ne triche pas et qui ne sait pas faire les choses à moitié. Ce qui m’a marqué avec lui, c’était qu’il répondait tout le temps «ça va», même quand ça n’allait pas. Il n’a sans doute pas toujours évalué sa condition physique à sa juste valeur et peut-être que ça l’a parfois exposé parce que son jeu, c’est d’être à 100%.» «C’est possible, admet l’intéressé. Je mets la tête là où d’autres n’osent pas mettre le pied. C’est ma force, ça a pu être ma faiblesse, peutêtre, mais c’est ma mentalité, j’ai été éduqué comme ça et je ne changerai pas.»

Lancé en défense centrale de Servette à 17 ans par Lucien Favre au printemps 2002, Philippe Senderos est six mois plus tard la cible des plus grands clubs: Real Madrid, Manchester United, Liverpool l’invitent ou le solliciten­t. La saison suivante, après 23 matchs de Super League, dont 21 titularisa­tions, il choisit Arsenal. Une saison pour apprendre, une autre pour s’installer. A 20 ans, il est titulaire, débute en Ligue des champions contre le Bayern et remporte la Cup contre United. La saison suivante (20052006), il contribue grandement à la série record des Gunners de dix clean sheets en Ligue des champions

«Il est à la fois très doux et très fort mentalemen­t, modeste et très ambitieux, calme et bouillant à l’intérieur»

MICHEL PONT

mais se blesse et rate la finale (perdue 2-1 contre le Barça), peut-être sur pression de certains joueurs qui lui préfèrent Sol Campbell.

«Blunderos»

Senderos se distingue ensuite à la Coupe du monde en Allemagne mais se blesse à l’épaule. Arsène Wenger fait signer William Gallas. Le Genevois commence à jouer moins, puis plus du tout après le 8 avril 2008 et un quart de finale retour de Ligue des champions à Anfield où son marquage défaillant sur Hyypiä puis Torres le condamne définitive­ment aux yeux de Wenger.

Il est prêté à Milan (contre qui il a fait deux bons matchs en Ligue des champions) en août 2008 et découvre un vestiaire rempli de stars. «Il y avait Pirlo, Seedorf, Inzaghi, Kaka… Plus Ronaldinho, le retour de Chevtchenk­o, celui de Borriello, sans oublier Pato. […] Le reste du recrutemen­t, c’était surtout pour boucher les trous. Je pense par exemple à un Senderos qui n’était même pas titulaire à Arsenal», dira des années plus tard l’ancien défenseur Luca Antonini pour décrire ce Milan décadent. Arrivé blessé, Senderos entre dans la rotation au bout de six mois et termine honorablem­ent (14 matchs, dont 8 titularisa­tions) mais l’option d’achat n’est pas levée et il retourne à Arsenal en juin 2009. Il ne joue jamais, est prêté à Everton le 23 janvier 2010, y est titulaire le 30, ne rejoue plus de la saison en Premier League.

Fulham l’embauche néanmoins pour trois saisons. C’est clairement un ton en dessous d’Arsenal et Milan mais le titre du Telegraph du 10 juin 2010 résume bien la situation: «Philippe Senderos ends Arsenal nightmare with free transfer to Fulham». Après Arsenal (114 présences), Fulham est le second club où il joue le plus (68 matchs). Il prolonge d’ailleurs d’une année en mars 2013 mais retourne au placard à partir de septembre 2013. Lorsqu’il part (février 2014), les supporters fêtent son départ «comme une victoire». «Il a signé à Fulham après s’être fait expulser contre nous avec Arsenal. Nous étions prévenus, rigole Matt Walker, écrivain et fan des Cottagers. C’était un gars avec une très bonne mentalité qui se donnait vraiment beaucoup de peine. On l’a surnommé assez vite Blunderos.» De blunder: «bévue, boulette».

Ne jamais renoncer

Suivront six mois honorables à Valence (8 matchs de Liga, 3 d’Europa League), un contrat de deux ans avec Aston Villa rompu par consenteme­nt mutuel après dixneuf mois, dont six où il n’est pas contingent­é dans l’effectif de Premier League. Grasshoppe­r, en janvier 2016, doit le relancer. Il dispute 14 matchs, presque toujours titulaire (1177 minutes), mais presque toujours à la limite. «Il voulait s’approprier le jeu, faire les relances depuis derrière, mais cela aboutissai­t à des longs ballons rendus à l’adversaire et des contres dangereux, se souvient Silvan Kämpfen, du magazine Zwölf. Peut-être voulait-il trop bien faire. Il était souvent mal placé en défense, ce qui coûtait cher vu son manque de vitesse.»

Senderos rate l’Euro 2016 mais signe en août aux Glasgow Rangers. Le 10 septembre, il débute dans le Old Firm, le derby contre Celtic. Son équipe est battue 5-1, il est pris en défaut sur deux buts et se fait expulser pour avoir ceinturé un attaquant après s’être fait lober par le rebond. Il ne jouera que trois fois de la saison, sera désigné «plus mauvaise recrue de l’histoire des Rangers». «C’est peut-être l’un des pires joueurs de tous les temps», dira la chanteuse Amy Macdonald dans une interview à Coopératio­n.

Philippe Senderos a enduré tout cela sans jamais se plaindre ni renoncer. Même en équipe de Suisse. «Pourquoi renoncer? Si l’équipe de Suisse n’a pas besoin de moi, OK, mais je serai toujours disponible si l’on fait appel à moi. Après, je suis conscient que je ne suis peut-être pas au niveau actuel de cette équipe. J’ai vu de très bons nouveaux joueurs à mon poste durant la Coupe du monde et dans les rencontres qui ont suivies, et j’en suis très heureux.

Philippe Senderos a enduré tout cela sans jamais se plaindre ni renoncer. A Houston, il se dit heureux, reconnaiss­ant et fier de son parcours. «J’ai eu la chance de jouer dans de très grands clubs. J’ai moins joué, j’ai été blessé, mais je me suis toujours accroché et j’ai toujours fini par avoir des opportunit­és. Je suis très content de mon chemin: tout ce que j’ai vécu dans le foot, ça n’arrive pas normalemen­t dans une vie entière.»

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(JAIME VALDEZ/USA TODAY SPORTS)

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