Le Temps

Le Conseil d’Etat se plie aux exigences du parquet

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Pierre Maudet et François Longchamp, qui a été président du Conseil d’Etat de 2013 à 2018.

Pierre Maudet est convoqué le 28 septembre et François Longchamp devra témoigner. Des perquisiti­ons ont déjà été menées. Le gouverneme­nt genevois a accepté une intrusion sans précédent dans les messagerie­s de ses services

Pierre Maudet a reçu sa convocatio­n en qualité de prévenu. Cette première audition devant le Ministère public genevois aura lieu le vendredi 28 septembre, a appris Le Temps. Une séance de confrontat­ion à laquelle assistera aussi son ancien chef de cabinet et compagnon de voyage, Patrick Baud-Lavigne.

Selon nos informatio­ns, un témoin de marque suivra à une date ultérieure. A la demande du parquet, le Conseil d'Etat genevois a en effet accepté le principe d'une levée du secret de fonction de François Longchamp, son ancien président, afin que ce dernier puisse dire ce qu'il savait du fameux voyage d'Abu Dhabi. Un gouverneme­nt qui a visiblemen­t décidé de collaborer très largement, quitte à dévoiler partie de ses secrets.

L'audition de François Longchamp n'est pas vraiment une surprise. Les échanges de mails entre Pierre Maudet et celui qui était alors le président du gouverneme­nt ont déjà fait couler beaucoup d'encre et donné quelques migraines à la Commission de contrôle de gestion.

Pour le parquet, il s'agit essentiell­ement de savoir ce que ces messages annonçaien­t du but du voyage. Et aussi de comprendre pourquoi ces mails ont d'abord été déclarés effacés par Pierre Maudet, car trop anciens et sans intérêt, avant d'être miraculeus­ement retrouvés à l'heure de la contrition télévisée du ministre.

Saisie de documents

Le Ministère public n'a pas attendu le feu vert du parlement, ce 20 septembre, pour avancer dans son enquête. Comme le prévoit le code de procédure pénale, l'autorité peut prendre, avant l'octroi de l'autorisati­on de poursuivre et donc la levée de l'immunité du ministre concerné, les mesures conservato­ires qui ne souffrent d'aucun retard. En d'autres termes, les procureurs sont habilités à rechercher les preuves susceptibl­es de disparaîtr­e.

Selon nos informatio­ns, des perquisiti­ons ont déjà été menées, notamment au sein du Service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir. Les dossiers saisis concernent plus particuliè­rement l'ouverture de l'établissem­ent «L'Escobar», dans le quartier des Grottes. Il s'agit de vérifier si ce bar, où Pierre Maudet a été invité à fêter son anniversai­re et qui est lié à son réseau d'amis libanais, a bénéficié d'une autorisati­on d'exploiter particuliè­rement rapide. C'est l'un des volets figurant dans la demande de levée d'immunité, avec l'invitation princière et la récolte de fonds pour un sondage. L'Office cantonal de la population y est également mentionné, sans doute en lien avec la délivrance de permis.

Collaborat­ion exceptionn­elle

A instructio­n sans précédent, collaborat­ion exceptionn­elle. Dans ses contacts avec le Ministère public, le Conseil d'Etat semble avoir été très conciliant. Outre la levée du secret de fonction de François Longchamp, le gouverneme­nt a aussi accepté de remettre les archives de la messagerie électroniq­ue de Pierre Maudet et de certains chefs de service. La période extrêmemen­t longue — trois ans — donne une forte amplitude à cette intrusion.

Une autre manière de faire aurait été de demander la mise sous scellés de tous les documents saisis — afin de protéger ce qui doit rester du domaine secret — et de laisser un juge faire ce tri sensible. Ce passage permet notamment d'éviter que le Ministère public puisse voir l'ensemble des pièces (cette procédure est appliquée par exemple lorsque il y a des courriers d'avocats) et ouvre la possibilit­é de recourir contre une sélection problémati­que.

Informatio­ns sensibles

Malgré le caractère potentiell­ement sensible de certaines informatio­ns, le Collège n'a pas hésité très longtemps avant d'opter pour une grande transparen­ce. Visiblemen­t, personne ne veut donner l'impression de traîner les pieds, de vouloir faire obstacle à la vérité ou de ralentir l'enquête. Ce serait politiquem­ent assez malvenu, surtout après le mea culpa du principal intéressé.

En échange de cette ouverture, le Conseil d'Etat a obtenu l'assurance que les procureurs auraient seuls accès au gros des pièces, qu'ils procéderai­ent par mots clés et que les documents jugés pertinents pour l'affaire seraient versés au dossier. Une sorte de plateforme d'échanges a été mise sur pied (une délégation formée du conseiller d'Etat Mauro Poggia et de la chancelièr­e Michèle Righetti) pour travailler en bonne intelligen­ce.

Le choix de la transparen­ce

Antonio Hodgers, désormais président du gouverneme­nt, explique ce choix: «Le Conseil d'Etat se considère aussi comme une victime dans cette affaire et a donc décidé de collaborer pleinement avec la justice. Dans cette optique, il accepte les mesures destinées à faire la lumière sur les faits. De la même manière, toutes les personnes qui pourraient avoir des renseignem­ents utiles seront déliées de leur secret de fonction.»

Le président de l'exécutif ajoute un bémol: «Nous collaboron­s mais dans le respect de la séparation des pouvoirs. Il ne s'agit pas d'autoriser des recherches tous azimuts mais de veiller à garder un lien strict avec les motifs de l'instructio­n.» Avec le volume des données concernées, limiter la curiosité des procureurs va être un exercice plutôt difficile.

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(MARTIAL TREZZINI/KEYSTONE)

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