Le Temps

Plan de sauvegarde pour les frênes

- ALIZÉE GUILHEM @AlizeeGui

Un champignon asiatique arrivé en Europe il y a près de vingt ans pourrait condamner la plupart des frênes à une mort certaine. En Suisse, un programme mené par l’Institut fédéral de recherche sur la forêt, la neige et le paysage va tenter de miser sur les arbres résistants à la maladie

Une jeune pousse de frêne repart du coeur d’une vieille souche.

Le frêne, bel arbre au fût élancé et aux feuilles composées, se fait décimer par un champignon qui se répand dans toute l’Europe. Cet agent pathogène, Hymenoscyp­hus fraxineus en latin, a été observé pour la première fois en Suisse en 2008: depuis dix ans, il se propage dans le pays du nord au sud et d’est en ouest, et les arbres meurent les uns après les autres. Tous? Non, car certains d’entre eux semblent capables de résister. L’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL) tente de s’appuyer sur ces individus résistants pour constituer un réseau d’arbres sains en Suisse.

«Chaque année au printemps, le cycle du champignon recommence, explique Valentin Queloz, responsabl­e du groupe Protection de la forêt suisse au WSL. Le champignon produit des spores surtout le matin. Elles se propagent dans l’air et infectent l’arbre au niveau des feuilles ou plus rarement directemen­t à la base du tronc.» Une fois qu’il a pénétré dans les tissus vivants de l’arbre, le champignon provoque leur nécrose: ils brunissent et meurent. C’est pourquoi on appelle cette maladie le «flétrissem­ent du frêne». La somme des attaques répétées, année après année, finit par tuer les arbres.

Mort des jeunes arbres

S’il parvient dans les branches et le tronc, le champignon peut progresser de 50 cm à 1 m en une saison. «Les arbres se défendent, avec cette capacité incroyable de créer des espèces de barrières au sein de leurs tissus. Ils ont toutefois de plus en plus de branches mortes, et les jeunes arbres meurent rapidement. Cela pose problème pour le rajeunisse­ment des forêts», souligne le chercheur.

Une fois présent dans une parcelle, le champignon se maintient dans les feuilles lorsqu’elles tombent au sol à l’automne, et fructifie dès le printemps suivant, lorsque les conditions sont bonnes. «Des années sèches et chaudes comme actuelleme­nt ne lui sont pas très favorables, mais le champignon peut rester dans la litière et attendre des conditions plus propices à son développem­ent», détaille l’expert.

Enlever les arbres malades ne permet donc pas de stopper la maladie. Cependant, les arbres sévèrement atteints aux abords des routes et des habitation­s sont abattus pour assurer la sécurité. En effet, les arbres attaqués sont affaiblis et peuvent devenir la proie de «parasites secondaire­s», en particulie­r d’un autre champignon, l’armillaire. Ce dernier s’en prend aux racines de l’arbre, qui s’en trouve déstabilis­é. Une autre raison d’abattage est la vente du bois avant qu’il ne soit trop déprécié. Dans les cantons les plus touchés, comme Zurich ou Berne, la récolte forcée de frêne a représenté plus de 15000 m3 de bois en 2017, selon le WSL.

Créer des îlots de résistance

Que faire face aux attaques de ce champignon, qui s’en prend à la deuxième essence feuillue suisse (après le hêtre)? Dans un premier temps, les forestiers ne savaient

Le champignon provoque la nécrose des tissus vivants de l’arbre

pas très bien comment réagir. «C’est très différent des attaques d’insectes, comme les scolytes sur les épicéas, auxquelles nous sommes habitués: lorsqu’un foyer est repéré on coupe les arbres pour éviter que les insectes ne se propagent. Dans le cas du frêne, il faudrait ramasser les feuilles mortes, c’est impossible à l’échelle des forêts!» regrette Valentin Queloz. Ce dernier supervise aujourd’hui un programme qui apporte une lueur d’espoir: l’idée principale est de repérer les frênes adultes en bonne santé afin de les mettre en valeur, de les étudier et de les amener à se reproduire pour éventuelle­ment constituer des «îlots de résistance» à la maladie, disséminés dans tout le pays.

Le WSL a ainsi mandaté une entreprise pour inventorie­r les arbres qui semblent sains, préalablem­ent repérés par les forestiers des cantons suisses. Cette première vague d’inventaire a eu lieu dans les régions où la maladie est installée depuis suffisamme­nt longtemps pour apprécier leur résistance. Ces potentiels reproducte­urs sont marqués à la peinture et leur position est relevée au GPS. Le propriétai­re s’engage à ne pas les couper, car l’arbre fera l’objet d’un suivi détaillé et des prélèvemen­ts seront réalisés. Pour le moment, environ 280 individus ont ainsi été inventorié­s. A moyen terme, des projets de recherche seront menés, afin de déterminer par exemple s’il existe un marqueur génétique des arbres résistants.

Maladies exotiques

Il faudra aussi tester la résistance à d’autres ravageurs des arbres capables de survivre à cette première maladie. La prochaine menace identifiée est l’agrile du frêne, un coléoptère qui est en train de terrasser les population­s de frênes en Amérique du Nord et en Russie et dont on craint l’arrivée en Europe dans cinq à quinze ans. Comme le champignon déjà présent sur le Vieux Continent, cet insecte provient d’Asie.

«Le problème principal de ces pathogènes importés, c’est que les écosystème­s européens ne sont pas «préparés» pour leur faire face», s’alarme Valentin Queloz. D’où l’importance de contrôler au maximum l’état sanitaire des produits végétaux importés en Europe.

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(VALENTIN QUELOZ)

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