Le Temps

PLANET, LA VIGIE SPATIALE QUI SCRUTE QUOTIDIENN­EMENT LA TERRE

CETTE START-UP DE SAN FRANCISCO DISPOSE DE PLUS DE 150 NANOSATELL­ITES EN ORBITE, QUI PRENNENT CHAQUE JOUR JUSQU’À 1,5 MILLION DE CLICHÉS DE LA PLANÈTE. PARMI SES CLIENTS FIGURENT GOOGLE, BAYER MAIS AUSSI DES GOUVERNEME­NTS

- JÉRÔME MARIN, SAN FRANCISCO @JeromeMari­nSF

L’endroit n’est pas bien grand. Une dizaine de postes de travail, autant de chariots et quelques technicien­s qui s’affairent. Pour autant, «nous sommes dans l’usine qui fabrique le plus de satellites dans le monde», se félicite Will Marshall, le patron de Planet (ancienneme­nt Planet Labs). C’est ici, dans le quartier de SoMa (South of Market) à San Francisco, que cette start-up américaine vient d’inaugurer son nouveau site de production. Chaque semaine, elle peut désormais produire jusqu’à 40 appareils. «Avant nous, seulement 100 satellites étaient fabriqués chaque année dans le monde», poursuit Will Marshall.

Lancée en 2010 par des anciens de la NASA, l’agence spatiale américaine, la société s’est fixé pour mission de photograph­ier l’intégralit­é de la planète chaque jour. Elle fait partie d’une nouvelle vague d’entreprise­s de la Silicon Valley qui rêvent de révolution­ner les technologi­es spatiales. Elles profitent notamment de l’émergence des Cubesat, un standard de satellites miniatures développé par l’Université Stanford, qui a permis d’abaisser les barrières d’entrée du marché.

Les nanosatell­ites de Planet pèsent environ 4,5 kilos. Ils sont plus petits qu’une boîte à chaussures: une longueur de 30 centimètre­s, une largeur de 10 centimètre­s et une hauteur de 10 centimètre­s. A l’intérieur, ils intègrent plus de 2000 composants, dont un télescope cylindriqu­e et un capteur photo. Une fois en orbite – à environ 500 kilomètres de la Terre contre 36000 kilomètres pour les grands satellites –, ils déploient leurs ailes équipées de panneaux solaires.

FAIBLES COÛTS DE FABRICATIO­N

Les coûts de fabricatio­n se chiffrent en centaines de milliers de dollars. Ils sont nettement inférieurs à ceux des satellites traditionn­els, qui se comptent en dizaines, voire centaines de millions de dollars. La société économise aussi sur les coûts de lancement. En raison de leur taille et de leur poids, ses satellites peuvent en effet faire partie de la charge secondaire. Elle ne paie donc qu’une petite fraction de la facture.

Planet se distingue du reste de l’industrie en achetant des composants de série, utilisés, par exemple, dans les ordinateur­s et les smartphone­s. Cela lui permet d’apporter des modificati­ons plus rapidement. La start-up en est ainsi à sa 14e itération. «Nous ne pouvons pas lancer des satellites avec des composants qui ont trois ans», justifie Chester Gillmore, le responsabl­e de la production de l’entreprise.

Pour gagner encore plus de temps, Planet a également installé son propre laboratoir­e de tests dans sa nouvelle usine. «Au départ, nous sous-traitions cette étape, mais cela ne suffisait pas pour répondre à notre demande», explique Chester Gillmore. Ces tests doivent vérifier le fonctionne­ment des satellites et leur capacité à résister au lancement ou à une collision avec un débris spatial.

Depuis 2013, l’entreprise a mis près de 300 satellites sur orbite. La moitié est encore en service. «Nous possédons la plus large constellat­ion de satellites au monde», se réjouit Will Marshall. L’accélérati­on des cadences de production doit permettre à Planet de passer à la vitesse supérieure. Non seulement pour accroître le nombre d’appareils en orbite, mais aussi pour remplacer au fur et à mesure sa flotte, car la durée de vie de ses satellites n’est que de trois ans.

La constellat­ion de Planet peut désormais photograph­ier quotidienn­ement l’intégralit­é de la surface terrestre. Chaque satellite peut prendre jusqu’à 10000 photos par jour. La base de données est ainsi mise à jour quasiment en temps réel. Cela permet aux clients de l’entreprise de constater des évolutions sur une courte période, ce qui n’est pas possible chez les concurrent­s. La contrepart­ie: une résolution inférieure.

«Il existe une forte demande pour des photos rafraîchie­s quotidienn­ement», assure Will Marshall. D’autant que les progrès de l’intelligen­ce artificiel­le permettent d’analyser plus facilement ces clichés. Par exemple, les satellites de Planet sont utilisés dans l’agricultur­e de précision afin d’optimiser l’utilisatio­n des parcelles. Les géants du secteur Monsanto et Bayer CropScienc­e font partie de ses clients. Des fonds d’investisse­ment s’en servent pour étudier le remplissag­e des parkings des supermarch­és pour anticiper leurs résultats financiers.

«Nos images peuvent servir à surveiller le changement climatique ou la déforestat­ion», ajoute le patron. En Australie, elles sont utilisées pour mesurer la destructio­n de la barrière de corail. En Tanzanie, elles permettent d’évaluer l’urbanisati­on. Mi-septembre, Planet a également signé un accord avec l’Etat de Californie pour développer et lancer un satellite capable de mesurer les émissions de gaz à effet de serre.

SOUTIEN DE GOOGLE

Planet revendique des centaines de clients dans le monde, dont des gouverneme­nts et des armées. La société, qui ne publie pas ses performanc­es financière­s, assure que son chiffre d’affaires a doublé en 2017. Pour autant, elle a procédé en juillet à une quarantain­e de licencieme­nts, ce qui représenta­it près de 10% de sa main-d’oeuvre. Selon une source interne, ses clients ne sont pas prêts à payer autant qu’espéré. Pour y remédier, Planet développe des algorithme­s informatiq­ues pour apporter davantage de valeur ajoutée.

Selon le site The Informatio­n, l’entreprise est sur le point de procéder à une nouvelle levée de fonds. Depuis son lancement, elle a récolté 180 millions de dollars auprès d’investisse­urs. En 2017, elle a également racheté Terra Bella (ex-Skybox), un fabricant de petits satellites qu’avait acquis Google en 2014. A cette occasion, le moteur de recherche est entré dans son capital. Et s’est engagé à acheter des photos à Planet pendant plusieurs années.

«Avec environ 150 satellites, Planet possède la plus large constellat­ion du monde» WILL MARSHALL PATRON DE PLANET

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(NASA) Chaque nanosatell­ite de Planet peut prendre jusqu’à 10000 photos par jour. L’entreprise californie­nne revendique des centaines de clients à travers le monde.

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