Comment la Silicon Valley a réinventé le management. Nos offres d’emploi
EN VOGUE À SAN FRANCISCO, LE MODÈLE D’ENTREPRISE DIT AGILE, PRÔNANT UNE GOUVERNANCE HORIZONTALE, RÉPOND À LA SOIF DE LIBERTÉ AU TRAVAIL QUI CARACTÉRISE CE DÉBUT DE XXIESIÈCLE. LE SYSTÈME A CEPENDANT SES LIMITES
«Certains royaumes anciens avaient pour coutume de mettre à mort leur roi après quelques années de règne, écrit Robert Greene dans Power. Les 48 lois du pouvoir. C’était en partie un rituel de renouveau, mais aussi un moyen d’empêcher le souverain de prendre trop de pouvoir aux dépens de ses sujets.»
De nos jours, il existe des moyens moins sanguinaires pour insuffler une nouvelle dynamique à une société. L’un d’eux nous vient des Etats-Unis et se nomme holacratie (holacracy en anglais). Dans La révolution Holacracy (Ed. Alisio), Brian Robertson explique comment l’idée de ce mode de gouvernance sans chef lui est venue. «Aux commandes d’un avion, un voyant inconnu s’est allumé. Tous les autres instruments m’indiquaient qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter. J’ai donc ignoré cette voix minoritaire.» Or cette décision a failli lui coûter la vie.
Mais comme à chaque chose malheur est bon, il en tire cette conclusion: «Ce type d’erreur est commise chaque jour dans la plupart des organisations.» En effet, une organisation est elle aussi dotée de capteurs – humains – qui ressentent pour son compte les dangers environnants. Il suffit cependant qu’une opinion vitale émise par l’un de ces capteurs ne soit pas partagée par le leader pour qu’elle soit ignorée.
LA MÉTAPHORE DU CORPS HUMAIN
S’inspirant du fonctionnement du corps humain, Brian Robertson s’est mis à imaginer une entreprise dans laquelle la gouvernance ne serait plus l’apanage d’un seul, mais un processus intervenant au niveau de chaque équipe. Pour rappel, notre corps fonctionne avec efficacité non pas grâce à un système de commandement descendant mais grâce à un système distribué, dans lequel chacune des entités (cellules, organes, etc.) est autonome et capable de comprendre et de traiter des messages.
Si notre corps fonctionnait en centralisant au niveau conscient les informations traitées au sommet, cela mettrait notre survie en péril. «Face à un danger, vos glandes surrénales devraient attendre votre ordre avant de produire l’adrénaline nécessaire pour vous donner l’énergie de lutter ou de fuir. Ça ne marcherait pas. Et c’est pourtant ainsi que nous concevons le fonctionnement de nos organisations», relève l’auteur.
L’holacratie rompt avec ce modèle de management autocratique. «La structure utilisée par les entreprises ayant adopté cette vision est une holarchie», poursuit Brian Robertson. Les salariés sont des holons (ou cercles) imbriqués dans de plus grands holons (équipes, départements, etc.), soit à la fois un tout indépendant et la partie d’un tout plus important.
Comme pour le corps humain, chaque partie n’est pas assujettie à celle située au-dessus, mais dispose d’une autonomie et d’une autorité individuelle. Concrètement, un collaborateur n’a plus besoin de l’aval d’un manager pour formuler une proposition ou tester une idée, pour autant qu’il n’empiète pas sur le domaine d’un autre collaborateur.
ATTENTIONS PERSONNALISÉES
En 2015, la filiale d’Amazon Zappos, par exemple, a opté pour l’organisation en cercles. Les employés avaient ainsi la possibilité d’agrémenter les colis de fleurs, de cartes de remerciement personnalisées, ou encore de bons d’achat, sans avoir à en référer à un supérieur.
A noter cependant que ce changement d’organisation n’a pas fait l’unanimité chez Zappos puisque 210 employés ont quitté l’entreprise à la suite de l’adoption de l’holacratie, soit 14% des effectifs. Depuis, la société a décidé d’abandonner ce système.
Selon le coach en agilité Nicolas Lochet, qui a analysé le cas Zappos dans un article paru en 2016, ce dernier rencontre plusieurs limites. «L’holacratie codifie tellement la façon dont les choses doivent être faites dans l’entreprise qu’elle en devient le «chef». Les individus ont par conséquent l’impression que leur comportement est dicté par un système.» A titre d’exemple, lors des réunions, les salariés ne peuvent réagir qu’à des moments spécifiques.
Du côté des dirigeants, certains ont été attirés par ce système car il diminue la surcharge au sommet. Soulagés de ne plus avoir à tout superviser, les anciens dirigeants seraient enfin en mesure de donner libre cours à leur esprit créatif. Brian Robertson rapporte le témoignage d’Evan Williams, cofondateur de Twitter et plus récemment de Medium. «Evan m’a décrit l’effroi qu’il a éprouvé quand, après avoir quitté Twitter, il a envisagé de créer une autre entreprise, assumant un rôle traditionnel de dirigeant. Cette fonction s’accompagnait de toutes sortes de fardeaux et allait l’éloigner des tâches de création qu’il adorait. C’est en partie pour que ces fardeaux ne reposent pas sur ses seules épaules qu’il a adopté l’holacratie chez Medium.»
En mars 2016, Medium a cependant, elle aussi, abandonné l’holacratie. Dans un article paru dans Bloomberg intitulé Not Everyone Wants to Be the Boss, le journaliste Justin Fox note que la structure horizontale est certes un pas dans la bonne direction, mais qu’être son propre chef n’est pas la panacée.
Xavier Camby, auteur de 48 clés pour un management durable, relève, lui, qu’il est plus judicieux de former les managers pour qu’ils tiennent leur vrai rôle, sans abus de pouvoir ni défaut d’autorité. «C’est terriblement moins cher que le déploiement problématique, et long (cinq ans) de l’utopie holacratique», conclut-il.