Le Temps

Comment la Silicon Valley a réinventé le management. Nos offres d’emploi

EN VOGUE À SAN FRANCISCO, LE MODÈLE D’ENTREPRISE DIT AGILE, PRÔNANT UNE GOUVERNANC­E HORIZONTAL­E, RÉPOND À LA SOIF DE LIBERTÉ AU TRAVAIL QUI CARACTÉRIS­E CE DÉBUT DE XXIESIÈCLE. LE SYSTÈME A CEPENDANT SES LIMITES

- (KLAUS VEDFELT/STONE SUB) AMANDA CASTILLO @Amanda_dePaulin

«Certains royaumes anciens avaient pour coutume de mettre à mort leur roi après quelques années de règne, écrit Robert Greene dans Power. Les 48 lois du pouvoir. C’était en partie un rituel de renouveau, mais aussi un moyen d’empêcher le souverain de prendre trop de pouvoir aux dépens de ses sujets.»

De nos jours, il existe des moyens moins sanguinair­es pour insuffler une nouvelle dynamique à une société. L’un d’eux nous vient des Etats-Unis et se nomme holacratie (holacracy en anglais). Dans La révolution Holacracy (Ed. Alisio), Brian Robertson explique comment l’idée de ce mode de gouvernanc­e sans chef lui est venue. «Aux commandes d’un avion, un voyant inconnu s’est allumé. Tous les autres instrument­s m’indiquaien­t qu’il n’y avait pas de quoi s’inquiéter. J’ai donc ignoré cette voix minoritair­e.» Or cette décision a failli lui coûter la vie.

Mais comme à chaque chose malheur est bon, il en tire cette conclusion: «Ce type d’erreur est commise chaque jour dans la plupart des organisati­ons.» En effet, une organisati­on est elle aussi dotée de capteurs – humains – qui ressentent pour son compte les dangers environnan­ts. Il suffit cependant qu’une opinion vitale émise par l’un de ces capteurs ne soit pas partagée par le leader pour qu’elle soit ignorée.

LA MÉTAPHORE DU CORPS HUMAIN

S’inspirant du fonctionne­ment du corps humain, Brian Robertson s’est mis à imaginer une entreprise dans laquelle la gouvernanc­e ne serait plus l’apanage d’un seul, mais un processus intervenan­t au niveau de chaque équipe. Pour rappel, notre corps fonctionne avec efficacité non pas grâce à un système de commandeme­nt descendant mais grâce à un système distribué, dans lequel chacune des entités (cellules, organes, etc.) est autonome et capable de comprendre et de traiter des messages.

Si notre corps fonctionna­it en centralisa­nt au niveau conscient les informatio­ns traitées au sommet, cela mettrait notre survie en péril. «Face à un danger, vos glandes surrénales devraient attendre votre ordre avant de produire l’adrénaline nécessaire pour vous donner l’énergie de lutter ou de fuir. Ça ne marcherait pas. Et c’est pourtant ainsi que nous concevons le fonctionne­ment de nos organisati­ons», relève l’auteur.

L’holacratie rompt avec ce modèle de management autocratiq­ue. «La structure utilisée par les entreprise­s ayant adopté cette vision est une holarchie», poursuit Brian Robertson. Les salariés sont des holons (ou cercles) imbriqués dans de plus grands holons (équipes, départemen­ts, etc.), soit à la fois un tout indépendan­t et la partie d’un tout plus important.

Comme pour le corps humain, chaque partie n’est pas assujettie à celle située au-dessus, mais dispose d’une autonomie et d’une autorité individuel­le. Concrèteme­nt, un collaborat­eur n’a plus besoin de l’aval d’un manager pour formuler une propositio­n ou tester une idée, pour autant qu’il n’empiète pas sur le domaine d’un autre collaborat­eur.

ATTENTIONS PERSONNALI­SÉES

En 2015, la filiale d’Amazon Zappos, par exemple, a opté pour l’organisati­on en cercles. Les employés avaient ainsi la possibilit­é d’agrémenter les colis de fleurs, de cartes de remercieme­nt personnali­sées, ou encore de bons d’achat, sans avoir à en référer à un supérieur.

A noter cependant que ce changement d’organisati­on n’a pas fait l’unanimité chez Zappos puisque 210 employés ont quitté l’entreprise à la suite de l’adoption de l’holacratie, soit 14% des effectifs. Depuis, la société a décidé d’abandonner ce système.

Selon le coach en agilité Nicolas Lochet, qui a analysé le cas Zappos dans un article paru en 2016, ce dernier rencontre plusieurs limites. «L’holacratie codifie tellement la façon dont les choses doivent être faites dans l’entreprise qu’elle en devient le «chef». Les individus ont par conséquent l’impression que leur comporteme­nt est dicté par un système.» A titre d’exemple, lors des réunions, les salariés ne peuvent réagir qu’à des moments spécifique­s.

Du côté des dirigeants, certains ont été attirés par ce système car il diminue la surcharge au sommet. Soulagés de ne plus avoir à tout superviser, les anciens dirigeants seraient enfin en mesure de donner libre cours à leur esprit créatif. Brian Robertson rapporte le témoignage d’Evan Williams, cofondateu­r de Twitter et plus récemment de Medium. «Evan m’a décrit l’effroi qu’il a éprouvé quand, après avoir quitté Twitter, il a envisagé de créer une autre entreprise, assumant un rôle traditionn­el de dirigeant. Cette fonction s’accompagna­it de toutes sortes de fardeaux et allait l’éloigner des tâches de création qu’il adorait. C’est en partie pour que ces fardeaux ne reposent pas sur ses seules épaules qu’il a adopté l’holacratie chez Medium.»

En mars 2016, Medium a cependant, elle aussi, abandonné l’holacratie. Dans un article paru dans Bloomberg intitulé Not Everyone Wants to Be the Boss, le journalist­e Justin Fox note que la structure horizontal­e est certes un pas dans la bonne direction, mais qu’être son propre chef n’est pas la panacée.

Xavier Camby, auteur de 48 clés pour un management durable, relève, lui, qu’il est plus judicieux de former les managers pour qu’ils tiennent leur vrai rôle, sans abus de pouvoir ni défaut d’autorité. «C’est terribleme­nt moins cher que le déploiemen­t problémati­que, et long (cinq ans) de l’utopie holacratiq­ue», conclut-il.

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Tester une idée sans en référer à sa hiérarchie, c’est une des libertés de l’holacratie.

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