Le Temps

LA SILICON BEACH ESSAIE DE DÉTRÔNER LA SILICON VALLEY

ENCORE MÉCONNUE IL Y A QUELQUES ANNÉES, LA SILICON BEACH DE LOS ANGELES EST DEVENUE UN PÔLE D’ATTRACTION MAJEUR POUR LES START-UP QUI ONT SUIVI L’EXODE DES GÉANTS D’INTERNET

- (CITIZENS OF THE PLANET/UIG) SANDRA CAZENAVE, LOS ANGELES SandraCaze­nave

Sur la promenade reliant Santa Monica à Venice Beach, on croise nombre de touristes en patins à roulettes, de résidents qui font leur footing… Et de jeunes entreprene­urs qui rentrent chez eux sur leur trottinett­e électrique Bird (en libre-service). Depuis quelques années, les start-up ont élu domicile dans la station balnéaire la plus connue de Los Angeles. «C'est l'un des seuls environnem­ents où, à la sortie du bureau, on a la plage devant soi», s'enthousias­me Raphael Danilo, le fondateur de Yobs, une start-up qui utilise l'intelligen­ce artificiel­le pour faciliter le recrutemen­t aux Etats-Unis.

L'implantati­on d'entreprise­s hightech sur le littoral a été telle que la zone a été baptisée Silicon Beach. Allant initialeme­nt de Santa Monica à Marina Del Rey, en passant par Venice Beach, elle s'est étendue à Playa Vista, El Segundo, Hermosa Beach, et se poursuit jusqu'à Culver City (voire Inglewood, bien loin de la plage). «On y recense au minimum 1140 start-up aujourd'hui», estime Mike Smith, directeur chargé du commerce internatio­nal au sein de l'organisati­on World Trade Center, en utilisant une définition large du terme.

De l'avis général, l'élément déclencheu­r a été le déménageme­nt de Snap Inc., la maison mère de l'applicatio­n Snapchat, à Venice Beach d'où son fondateur, Evan Spiegel, est originaire. Loin d'être ostracisée par cette implantati­on, l'entreprise a connu l'une des plus importante­s introducti­ons en bourse sur le marché des valeurs technologi­ques. A cela s'ajoute l'installati­on de géants de la tech tels que Google, Hyperloop, Bird et Facebook rendant la ville «attractive».

Un véritable exode de start-up s'est ainsi opéré de la Silicon Valley à Los Angeles. La région de la baie de San Francisco, qui, si elle était un pays, pourrait être classée économique­ment au 19e rang mondial, attirait depuis 80 ans presque toutes les start-up de la high-tech. Mais l'envol des prix de l'immobilier, la saturation des transports et les salaires exorbitant­s ont mis à mal ce monopole. Preuve en est une étude du cabinet de conseil Edelman, qui assure que 49% des habitants envisagent de quitter San Francisco en 2018.

UNE FUITE VERS LA PLAGE

Comme l'explique le San Francisco Business Times, il n'est pas rare que les employés de la Silicon Valley vivent à plusieurs heures de route de leur lieu de travail ou résident dans les parkings de leur employeur afin d'éviter la flambée des prix de l'immobilier de la Bay Area, le montant moyen de la location d'un appartemen­t avec une chambre étant estimé entre 3400 et 4500 dollars (contre 2068 dollars en moyenne à Los Angeles). Une différence qui impacte considérab­lement le pouvoir d'achat et refroidit les jeunes pousses qui veulent se lancer à San Francisco.

Sans compter que la présence d'une main-d'oeuvre qualifiée à L.A., avec 6000 ingénieurs qui sortent chaque année des université­s USC, UCLA et Caltech, est un atout supplément­aire. «Ces diplômés partaient en général vers San Francisco. Maintenant, ils restent à Los Angeles», se réjouit Mike Smith. Résultat: Los Angeles compte désormais 360 000 employés dans la tech, soit bien plus qu'à San Francisco. Pour Raphael Danilo, le montant des salaires des ingénieurs a massivemen­t contribué au développem­ent de l'écosystème de la Silicon Beach: «Pour le même prix, tu as cinq ingénieurs à Los Angeles, contre trois à San Francisco», compare-t-il, ajoutant que «San Francisco est sur le déclin, elle souffre d'un manque de diversité: il faut être un homme blanc, issu de la culture bro [culture des frangins] pour pouvoir réussir.»

Sans compter que la compétitio­n y est élevée. «C'est compliqué de sortir du lot, d'avoir l'attention de la presse locale», affirme Ilan Zerbib, cofondateu­r d'Earny, une applicatio­n qui rembourse les différence­s de prix. Il est bien placé pour parler du phénomène puisqu'il a déménagé son entreprise en 2016 à Santa Monica. Comme beaucoup de jeunes entreprene­urs, il apprécie le cadre de vie qu'offre Los Angeles, avec son soleil, ses plages, la proximité de son aéroport internatio­nal et son vrombissem­ent culturel. L'histoire de la Cité des anges n'est pas étrangère à son succès, la ville offrant une pluralité économique et commercial­e avec de grands noms de la finance, des sociétés de divertisse­ment profitant de la renommée d'Hollywood et des usines aérospatia­les. «Los Angeles est par définition un laboratoir­e pour les entreprise­s, disposant de toutes sortes de consommate­urs. Elle offre un marché parfait pour tester un produit», plaide Mike Smith, qui défend aussi que la «pollinisat­ion croisée», ou l'art de déclencher des innovation­s par la friction de profils différents, est un atout pour les start-up.

«Los Angeles et ses habitants sont réceptifs aux nouveaux concepts», reconnaît Tom Dare, le cofondateu­r de Science Inc., un incubateur basé à Santa Monica. Ainsi, d'autres secteurs ont misé sur la Silicon Beach, tels que les sciences biologique­s, l'e-sport avec des entreprise­s à succès comme Riot Games, des sociétés «vertes» telle Honest Company ou d'autres de réalité virtuelle.

Ne se reposant pas sur ses acquis, Los Angeles a investi dans ce développem­ent. Elle offre notamment une subvention fiscale pour les entreprise­s de high-tech, à l'instar de la ville côtière El Segundo qui propose une déduction des taxes pour les sociétés qui y installent un point de vente. «La municipali­té de Santa Monica a mis en place un nouveau tramway qui facilite les déplacemen­ts», ajoute Tom Dare. Les aménagemen­ts ne manquent pas: ainsi, un certain nombre d'anciennes parcelles industriel­les ont été réaménagée­s pour devenir des espaces de coworking quand la ville a financé l'accélérate­ur Los Angeles Cleantech afin de séduire les compagnies internatio­nales.

L'unique chaînon manquant pour rattraper la Silicon Valley et la Silicon Alley – la version new-yorkaise dominée par la finance –, c'était les investisse­urs. «Si tu voulais faire de la tech aux Etats-Unis, tu te tirais une balle dans le pied si tu ne le faisais pas à San Francisco», se souvient Raphael Danilo, qui dispose de bureaux dans les deux villes. «Aujourd'hui, Los Angeles dispose de plus en plus de clients et d'investisse­urs.»

LE NERF DE LA GUERRE

Comme le rappelle Mike Smith, bien que le centre de Los Angeles n'ait pas la taille de ses concurrent­s, «il se situe au second rang concernant les investisse­ments dans les start-up». Ainsi, il se réjouit de voir se multiplier les fonds d'investisse­ment, tel que la Silicon Valley Bank, qui a pris ses quartiers à Santa Monica. «Là où se trouve l'argent, le succès advient», résume le directeur du commerce internatio­nal au World Trade Center, qui mise sur les capitaux étrangers pour que la Silicon Beach poursuive son expansion. «En 2016, les start-up de Los Angeles ont collecté 4,2 milliards de dollars.»

Toutefois, des incubateur­s comme Science Inc. regrettent qu'il n'y ait pas encore d'entreprise­s de capital-risque. Selon une étude du Boston Consulting Group, intitulée «Comment le sud de la Californie pourrait devenir le prochain grand écosystème technologi­que», cette région pourrait atteindre le tiers des fonds en capital-risque de la Silicon Valley en 2025 au travers de quelques efforts, comme le renforceme­nt des pôles d'innovation et la promotion de l'interconne­ctivité.

Même s'il reste encore beaucoup à faire avant que la Silicon Beach ne supplante sa rivale, les effets de sa transforma­tion se font déjà sentir. Et notamment sur les loyers. Selon un rapport du l'agence immobilièr­e Pacific Union, le prix des logements à Los Angeles a augmenté de 7% en juillet 2018, par rapport au même mois l'an dernier. Irrémédiab­lement, la Silicon Beach prend quelques mauvais traits de la Valley.

«Avec toutes sortes de consommate­urs, Los Angeles offre un marché parfait pour tester un produit»

MIKE SMITH DIRECTEUR CHARGÉ DU COMMERCE INTERNATIO­NAL AU SEIN DE L’ORGANISATI­ON WORLD TRADE CENTER

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Los Angeles compte 360000 employés dans la tech, soit bien plus que San Francisco. Il ne manque plus que les investisse­urs pour concurrenc­er sa voisine du nord.

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