Le Temps

UBS, LES ANNÉES FOLLES DE L’ÉVASION FISLE EN PROCÈS À PARIS

LUNDI S’OUVRE LE PROCÈS D’UBS POUR «DÉMARCHE BANCAIRE ILLICITE» EN FRANCE ET «BLANCHIMEN­T DE FRAUDE FISCALE». EN CLAIR: LA PRÉSUMÉE CHASSE AUX RICHES FRANÇAIS MISE EN PLACE PAR LA BANQUE ENTRE 2004 ET 2012

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

La 32e chambre du Tribunal correction­nel de Paris devra, à partir de lundi, remonter le temps. Un temps que beaucoup, à UBS, voudraient pour de bon faire passer à la trappe de l’histoire de la finance. Problème: jusqu’à la fin de ce procès-fleuve qui devrait s’achever le 15 novembre, la justice française, elle, va tout faire pour exhumer les cadavres bancaires, les documents cachés, les données dissimulée­s… Bref, les faits – accablants, selon elle – prouvant le «démarchage bancaire illicite», le «blanchimen­t aggravé de fraude fiscale» et la «complicité de blanchimen­t de fraude fiscale», les trois délits reprochés à UBS et à sa filiale française.

«C’EST DU TRÈS LOURD»

«De tous les réquisitoi­res dressés par le parquet national financier français, celui-ci est l’un des plus détaillés, complets, indiscutab­les. C’est du très lourd», juge William Bourdon. Cet avocat est bien connu pour ses campagnes anti-corruption et il est le défenseur d’un ancien cadre d’UBS, Nicolas Forissier, à propos duquel la banque a été mise en examen pour «subornatio­n de témoins» en octobre 2017.

UBS AG et UBS France, comme les six autres prévenus, sont pour leur part présumés innocents. Leurs avocats – ceux que Le Temps a contactés ont refusé d’évoquer le dossier avant la première audience lundi au Palais de justice de Paris – parlent de leur côté d’un «procès en sorcelleri­e» fait à la banque helvétique. Laquelle a, par ses défenseurs, fait savoir ces jours-ci par courrier à notre rédaction que «dans le respect de leur honneur, de leur réputation et de leur vie privée, nous souhaiteri­ons que le nom de nos mandants ne soit pas mentionné, ni évoqué dans les différents articles que vous serez amenés à publier». La preuve, s’il en fallait, du caractère explosif de ce procès hors norme dont le jugement sera mis en délibéré. Avec, à la clé, une possible amende de plus de 1,1 milliard d’euros, montant de la caution payée par UBS en juillet 2014, lors de son placement sous contrôle judiciaire.

L’histoire que l’accusation va dérouler devant les magistrats à partir de lundi est une sorte de conte de fées bancaire devenu cauchemar absolu pour tous ceux qui y ont cru, ou l’ont mis sur pied. C’est en février 2011 que tout commence, avec l’ouverture par le parquet de Paris d’une enquête préliminai­re à la suite d’un signalemen­t d’UBS à l’Autorité de contrôle bancaire française. Nicolas Sarkozy est alors président de la République. Il fulmine à chaque sommet européen contre les paradis fiscaux et le secret bancaire suisse, malgré son abrogation officielle par le Conseil fédéral en mars 2009, au plus fort de la crise financière mondiale.

UBS, à l’époque, est un géant bancaire convalesce­nt, affairé à gérer son redresseme­nt après sa recapitali­sation par la Confédérat­ion en octobre 2008 à hauteur de 6 milliards de francs. Or voilà qu’est peu à peu dévoilé sur la place publique, au fil des investigat­ions policières françaises et du témoignage d’une autre ex-employée de la banque, Stéphanie Gibaud, tout un pan de l’activité d’UBS en France depuis 2004. Des parties de chasse financées à grands frais pour le gotha hexagonal. Une loge annuelle au tournoi de tennis de Roland-Garros payée 80000 euros. Des soirées à l’Opéra de Paris pour de riches mélomanes. Des déjeuners avec des gloires littéraire­s françaises pour amateurs (fortunés) de romans et de poésie.

AVIS DE TEMPÊTE

UBS, dès les premières révélation­s, se drape dans la belle tradition du mécénat: «Serait-il interdit à une entreprise de sponsorise­r une manifestat­ion sportive ou culturelle? UBS visait à associer sa marque à des événements majeurs pour créer ou renforcer le lien avec ses clients et ses invités», répètent alors à l’envi, les membres de sa direction aux médias. Sauf que l’heure, en France, n’est pas aux compliment­s artistique­s.

Une première informatio­n judiciaire est ouverte en avril 2012 contre la banque pour blanchimen­t de fraude fiscale. Avis de tempête. Un mois plus tôt, le livre d’enquête Ces 600 milliards qui manquent à la France (Ed. du Seuil) du journalist­e Antoine Peillon a lancé la charge. En retournant sur les greens de golfs sponsorisé­s par UBS, les reporters notent les noms des invités de la banque et les recoupent avec les listes de Stéphanie Gibaud, l’employée devenue accusatric­e qui, entre 1999 et 2012, pilotait ce «marketing événementi­el». Le mécénat qu’UBS continue de vanter à cor et à cri résiste mal aux investigat­ions. «UBS, ou l’art de chasser le riche en France», titre le quotidien Le Monde. Chaque soirée mondaine est disséquée, du menu

au vestiaire. Celle de novembre 2002, donnée à Paris en l’honneur de l’orchestre du festival de Verbier, est un régal pour qui prise le «Who’s Who» capitalist­e français. Bingo: les invités y avaient, presque tous, le profil de clients potentiels désireux d’échapper au fisc hexagonal…

Plus grave: un arsenal de dissimulat­ion attribué à UBS sort peu à peu de l’ombre. L’expression «carnets du lait» – ces petits livrets annotés au crayon par les cadres bancaires pour suivre les mouvements financiers de chacun de leurs «recrues» hors comptabili­té officielle – fait son apparition. La disparitio­n de fichiers est avérée. Délire? «Aucune opération n’accrédite un accompagne­ment de fraude fiscale», répète, à chaque entretien, Jean-Frédéric de Leusse, le président du directoire d’UBS France depuis 2012.

Les deux ex-cadres qui ont «balancé» sont présentés par la banque comme instables, en conflit avec leur hiérarchie, responsabl­es de fautes graves. Alors que la direction, elle, n’aurait rien caché: «Nous avons fait un travail de fourmi pour tout tracer, jure, en septembre 2016 devant l’associatio­n des journalist­es économique­s, le président d’UBS France, conseiller d’Etat et ancien directeur adjoint de cabinet du ministre français du Budget en 1994-1995. Si quelque chose n’avait pas été clean, je le sortirais!» De quoi rendre furieux l’avocat William Bourdon, dont le client Nicolas Forissier a longuement été entendu par les juges d’instructio­n Guillaume Daieff et Serge Tournaire: «Les lanceurs d’alerte sont à l’inverse de l’omerta, de la servitude consentant­e qui, dans ces années, régnaient en France comme en Suisse. Les responsabl­es bancaires qui reconnaiss­ent les faits sont quasi inexistant­s.»

Les faits, justement. Au Tribunal de Paris, le dossier UBS comporte trente tomes. L’ordonnance de renvoi en procès, en mars 2017, fait plus de 300 pages où tout est détaillé, y compris l’évaluation du total des montants soustraits au fisc par l’établissem­ent: un minimum de 9,7 milliards d’euros pour près de 20 milliards d’euros d’avoirs déposés en Suisse.

A l’époque, avant que la tornade financière de 2008 ne mette les finances publiques des grands pays à genoux, et avant le scandale déclenché en France fin 2012 par l’évasion fiscale de l’ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac, tout semblait si simple. Les TGV Paris-Genève étaient empruntés par des «mules» aux valises remplies d’espèces. Jouer au golf, être invité VIP à un concert ou convié à un dîner gastronomi­que pouvait conduire à bien plus, si affinités… Le portrait d’un «monde d’hier», définitive­ment disparu selon UBS avec la régularisa­tion fiscale, depuis 2014, de 4200 clients français.

Mieux: UBS France affiche même, en 2017, de très bons résultats, avec 17 milliards d’euros d’actifs sous gestion. Alors? «Le comporteme­nt d’UBS obéit à une seule logique: celle du déni et de l’oubli», tranche l’avocat William Bourdon.

«UBS obéit à une seule logique: celle du déni et de l’oubli»

WILLIAM BOURDON AVOCAT, DÉFENSEUR D’UN ANCIEN CADRE D’UBS

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UBS risque une amende de plus de 1,1 mis, montant de la caution payée lors du placement sous contrôle judiciaire.
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