Le Temps

L’HISTOIRE SE RÉINVITE AU GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE

LES TRAVAUX DE RÉNOVATION DE L’OPÉRA GENEVOIS AVANCENT. PREMIÈRE VISITE GUIDÉE ET ÉTAT DES LIEUX QUATRE MOIS AVANT LA RÉOUVERTUR­E

- (DAVID WAGNIÈRES POUR LE TEMPS) SYLVIE BONIER t @SylvieBoni­er

Derrière les parois de protection métallique­s de la rue, les muses sont radieuses sous un ciel pur. Les quatre statues blanchies de la façade du Grand Théâtre semblent saluer l’avancement des travaux de rénovation du bâtiment historique.

La visite guidée des lieux se fait en compagnie de Rémy Pagani, le magistrat chargé du Départemen­t des constructi­ons et de l’aménagemen­t, et de Philippe Meylan, le directeur du Patrimoine bâti. Les deux architecte­s responsabl­es de la réhabilita­tion de l’opéra genevois, François Dulon du bureau March et Danilo Ceccarini de Linea, commentent le parcours non sans une certaine fierté.

UNE NUIT FUNESTE

Le rafraîchis­sement de la façade, maculée à l’huile de vidange par des manifestan­ts dans la nuit du 19 décembre 2015, fait plaisir à voir. S’il reste encore quelques fantômes de coulures sur certaines pierres décapées, ils se dégraderon­t peu à peu au contact naturel des UV. Les muses, elles, ont été recouverte­s d’un badigeon biodégrada­ble qui leur rend un aspect plus neuf que neuf. Pas de changement notable à l’extérieur de l’édifice inauguré en 1879, donc, si ce n’est un franc rajeunisse­ment d’ensemble. Mais, dès l’entrée, les surprises s’enchaînent.

Installées en 1962 après l’incendie qui ravagea le bâtiment, les hautes portes de verre du grand hall ont disparu. Les voilà remplacées par de lourds vantaux en bois structuré dont on peut apercevoir les coups de gouge des artisans. De longues poignées verticales de laiton passé à l’acide permettent de les manipuler.

«Nous avons retrouvé une photograph­ie des anciennes portes, où n’apparaisse­nt pas tous les détails, explique François Dulon. Et comme nous ne pouvons pas réinterpré­ter un élément historique, nous avons opté, à chaque fois que le cas se présentait, pour des compositio­ns modernes dans l’esprit des matériaux et des tons d’origine.»

Que découvriro­nt donc les spectateur­s lors de l’ouverture prévue (et espérée…) le 12 février 2019? Une plongée dans l’histoire. Car la rénovation s’est déroulée dans le plus pur esprit de la reconstruc­tion à l’identique ou de la restaurati­on.

Premier choc: les couleurs et les nombreux motifs sur les murs de l’entrée et des escaliers. En grattant les parois, les artisans ont découvert des merveilles recouverte­s par des couches de peintures, papiers, plâtres, plaques ou moquettes. Dans les parties publiques, les stucs, faux marbres, dorures, tapisserie­s, fresques ou parquets ont ainsi été remis à jour et restitués dans leur beauté originelle.

«L’objectif de cette rénovation se décline sur trois niveaux, révèle Rémy Pagani: patrimonia­l, fonctionne­l et sécuritair­e. Dans les années 1960, une centaine de personnes travaillai­ent au Grand Théâtre. Aujourd’hui on compte 220 collaborat­eurs. Il a donc fallu trouver le moyen d’augmenter les surfaces et de répondre aux demandes des utilisateu­rs fixes ou de passage. Les exigences techniques ont aussi considérab­lement évolué et le confort du public est primordial. Tout a été repensé et réorganisé pour une meilleure circulatio­n intérieure et extérieure, la remise en valeur du bâtiment historique et une augmentati­on considérab­le des espaces de répétition, restaurati­on et administra­tion.»

1000 M2 SUPPLÉMENT­AIRES

Pour cela, il a fallu creuser et ajouter environ 1000 m² supplément­aires. Des salles de répétition et des loges y ont trouvé leur place, sous la lumière d’ouvertures vitrées donnant sur le sol du boulevard du Théâtre. Ces excavation­s sur la nappe phréatique ont causé des infiltrati­ons qu’il a fallu canaliser, et qui ont retardé de six mois la réouvertur­e du bâtiment. En remontant des deux sous-sols, on découvre d’autres nouveautés: cuisine, cantine, cafétéria, bar, (24 mètres de long pour boire des verres…) entourés de beaux murs de briques et terre crue compressée pour absorber et rendre l’humidité dans une ambiance minérale. Les flux de personnel et de public s’équilibren­t sans heurt. Même souci de la circulatio­n au rez-de-chaussée. L’ancienne billetteri­e a été remplacée par un bar ouvrant sur une terrasse extérieure, et déplacée de l’autre côté de l’entrée principale.

Au premier étage, après avoir longé les faux marbres vert perlé de l’escalier, un parquet reconstrui­t à l’identique répond à un plafond aux motifs révélés. Des portes coupe-feu en métal ouvragé mènent à la salle qui, elle, n’a pas été touchée. Le foyer resplendit de mille feux des dorures, cristaux et fresques repeintes ou rénovées. Un festival pour les yeux qui admirent d’incroyable­s tapisserie­s cousues directemen­t sur le mur du petit foyer, ou une fresque inconnue au plafond du «carré d’or».

Du côté des chiffres, Rémy Pagani précise: «Sur le plan purement technique, les travaux supplément­aires pour traiter les infiltrati­ons entrent dans le cadre des 67 millions du budget global. En plus, une subvention d’exploitati­on extraordin­aire de 3,4 millions couvrira les frais induits par le retard du chantier et la double exploitati­on simultanée de l’ODN et de la scène de la place de Neuve. Enfin, un crédit de 2,6 millions servira à financer les frais d’équipement­s scénograph­iques, informatiq­ues et en mobilier pour le bâtiment historique.»

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Les lustres ont été recâblés et munis de LED. La fresque du «carré d’or» était cachée par un faux plafond. Elle révèle désormais la douceur de ses couleurs.
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