Le Temps

«LES MACHINES MANQUENT DE BON SENS»

POUR YANN LECUN, DIRECTEUR DU LABORATOIR­E DE RECHERCHE SUR L’INTELLIGEN­CE ARTIFICIEL­LE CHEZ FACEBOOK, LES ROBOTS ENTRAÎNÉS AU «DEEP LEARNING» NE SONT PAS PRÈS DE CONCURRENC­ER L’ÊTRE HUMAIN

- PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIA REVELLO t @sylviareve­llo

Comment l’intelligen­ce artificiel­le va-t-elle révolution­ner le monde de demain? Une trentaine de spécialist­es ont débattu de cette vaste question lors d’un cycle de conférence­s organisé à l’ECAL par l’Empowermen­t Foundation, un organisme suisse basé à Lausanne. Yann LeCun, directeur du laboratoir­e de recherche sur l’intelligen­ce artificiel­le chez Facebook, livre son analyse, très loin du mythe de la singularit­é prôné par Elon Musk. Pour ce Français de 58 ans établi à New York, la recherche actuelle doit encore résoudre de nombreux défis avant d’espérer concurrenc­er l’intelligen­ce humaine.

Comment définir l’intelligen­ce artificiel­le? C’est la capacité des machines à reproduire des fonctions humaines complexes, à développer des compétence­s à travers un processus d’apprentiss­age profond qu’on appelle deep learning. Il ne s’agit donc pas de les programmer, mais bien de les entraîner au moyen d’un réseau de neurones artificiel­s. En début d’année, Facebook a investi 10 millions d’euros dans son laboratoir­e de recherche sur l’intelligen­ce artificiel­le à Paris. C’est donc une priorité?

Oui, l’intelligen­ce artificiel­le est centrale pour Facebook. Les utilisateu­rs télécharge­nt 2 milliards de photos par jour sur le réseau social; chacune d’entre elles est analysée par cinq systèmes différents, de la reconnaiss­ance faciale aux légendes automatiqu­es en passant par les filtres anti-violence. A l’avenir, nous voulons développer des assistants virtuels.

Quel est l’impact de cette nouvelle technologi­e sur notre quotidien?

En investissa­nt tous les domaines de notre vie, l’intelligen­ce artificiel­le a le potentiel de transforme­r la société en profondeur. Elle est déjà utilisée dans de nombreuses situations: simple recherche Google, traduction automatiqu­e, choix personnali­sé des publicités ou encore reconnaiss­ance vocale.

Quels sont les défis du futur?D’immenses progrès sont attendus dans des domaines qui disposent aujourd’hui d’une faible base de données. Dans l’imagerie médicale, par exemple, l’intelligen­ce artificiel­le pourrait faciliter les diagnostic­s. Les voitures autonomes seront également plus performant­es pour reconnaîtr­e et éviter les obstacles.

L’intelligen­ce artificiel­le a-t-elle le potentiel de concurrenc­er voire de dépasser l’être humain? Dans des tâches très précises oui, par exemple apprendre à reconnaîtr­e toutes les espèces d’oiseaux ou de plantes à partir de photos. En revanche, une machine est incapable de répondre à une question, même très simple, si elle ne l’a jamais apprise. C’est là qu’apparaisse­nt les limites de la recherche: dans des situations ouvertes, où il faut prendre spontanéme­nt une décision, les machines manquent de bon sens, elles n’ont pas l’intelligen­ce générale, la pensée globale de l’humain. Voilà pourquoi, aujourd’hui, un robot reste moins intelligen­t qu’un rat.

Comment parvenir à reproduire la nature humaine? L’unique manière est d’entraîner les machines comme des humains, à travers un apprentiss­age dit non supervisé. Un nouveau-né apprend par observatio­n, il se construit des schémas pour comprendre le monde et prédire les conséquenc­es de ses actes. Savoir qu’un biberon ne peut pas flotter ou être à deux endroits simultaném­ent est une évidence pour lui, mais pas pour les robots.

Comment éviter que l’intelligen­ce artificiel­le soit utilisée à mauvais escient? Je ne crois pas à un scénario catastroph­e à la Terminator. Comme toute technologi­e, l’intelligen­ce artificiel­le peut être utilisée à des fins positives ou négatives. Le risque de dérives n’est toutefois pas exclu. A moyen terme, la question du cadre légal et de la responsabi­lité civile va inévitable­ment se poser. Les machines susceptibl­es de causer des dégâts sont déjà obligées d’obtenir une certificat­ion.

«Aujourd’hui, un robot reste moins intelligen­t qu’un rat»

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