Le Temps

«HYPERLOOP EST PLUS QU’UN TRAIN ULTRA-RAPIDE»

SANS CONTESTE L’ENTREPRISE LA PLUS AVANCÉE EN LA MATIÈRE, VIRGIN HYPERLOOP ONE A OUVERT SES PORTES AU «TEMPS». LE RESPONSABL­E MARKETING ET COMMUNICAT­ION RYAN KELLY FAIT LE POINT SUR L’AVANCEMENT, LA STRATÉGIE ET LES ACCORDS COMMERCIAU­X POUR LES ROUTES À V

- Ryan Kelly Responsabl­e de la communicat­ion et du marketing de Virgin Hyperloop One PROPOS RECUEILLIS PAR FABIEN GOUBET, LOS ANGELES t @fabiengoub­et

C’est peut-être un cliché usé jusqu’à la moelle que de dire que les Etats-Unis et la Californie sont des terres de paradoxes où se côtoient les extrêmes. Il n’empêche. Niché au fond d’une ruelle de l’Art District, quartier arty et poussiéreu­x de Los Angeles consistant en une succession d’usines plus ou moins décaties, d’ateliers, de garages et d’entrepôts, témoins de la puissance industriel­le du pays de la Ford T, se trouvent les quartiers généraux de Virgin Hyperloop One. Un grand écart entre la bonne vieille industrie primaire et les trains ultra-rapides du futur, purs produits sophistiqu­és de la révolution numérique.

Concept pensé par Elon Musk, l’Hyperloop désigne un système de trains électrique­s circulant hypothétiq­uement à plus de 1000 km/h. Pour parvenir à se déplacer plus vite qu’un avion de ligne, les trains – ou plutôt les «pods» ou capsules – sont placés sur des rails à l’intérieur de tunnels dans lesquels règne un quasi vide, amoindriss­ant ainsi la résistance de l’air. Pour éviter les frottement­s entre les roues et les rails, qui ralentirai­ent inévitable­ment les déplacemen­ts, les capsules lévitent au-dessus des rails grâce au principe de la sustentati­on magnétique, comme cela existe sur certains trains au Japon ou en Allemagne. Des aimants situés dans la base de la capsule génèrent un champ magnétique entre celle-ci et les rails, ce qui «soulève» l’ensemble de quelques centimètre­s.

DE LA WEED ET DES CHIENS

Faute de pouvoir consacrer assez de temps à ce projet, Elon Musk, qui est déjà bien occupé car patron des voitures électrique­s Tesla et des fusées SpaceX, a laissé en 2013 la communauté s’emparer de son idée. Depuis, plusieurs entreprise­s se sont lancées sur ce créneau présenté comme «le cinquième moyen de transport» après la route, le rail, les airs et les mers.

Parmi celles-ci, Hyperloop One est sans aucun doute la plus avancée en la matière. Rachetée par Virgin en 2017 et depuis rebaptisée Virgin Hyperloop One (Richard Branson, patron tête brûlée de Virgin, en est devenu le président du conseil d’administra­tion), elle a fait parler d’elle en mai de la même année lors de la première démonstrat­ion grandeur nature en public d’un système de propulsion Hyperloop fonctionne­l. Depuis, l’entreprise a levé quelque 300 millions de dollars (autant en francs), construit Devloop, une piste d’essai de 500 mètres dans le désert du Nevada, et ouvert MetalWorks, une usine qui fabrique certains composants de son Hyperloop. Elle poursuit en parallèle les négociatio­ns dans le monde entier à la recherche d’accords pour construire ses premières lignes commercial­es.

L’entreprise nous a ouvert ses portes en septembre pour une rapide visite de ses bureaux californie­ns installés dans un hangar magnifique­ment retapé, aux murs de briques et à la charpente de bois brut. Environ 300 personnes y travaillen­t dans un silence studieux – certains avec leur chien à leurs côtés. Dans la cour règne une puissante odeur de cannabis, il faut dire que l’Etat en a récemment légalisé l’usage. Avant de l’interviewe­r, on ne résiste pas à l’envie de demander à Ryan Kelly, responsabl­e de la communicat­ion et du marketing, d’où vient cette odeur, pour la forme. «C’est un quartier d’artistes, justifie-t-il en souriant. Mais je vous rassure, ce n’est pas un moyen de nous diversifie­r, ce sont nos voisins qui cultivent ces plantes», dit-il en montrant d’imposants pieds de cannabis situés derrière les grillages des cours adjacentes. Tant pis pour le scoop, il ne reste plus qu’à commencer l’interview. Comment va votre Hyperloop? Les progrès se poursuiven­t sur le plan technologi­que. Nous avons l’an passé atteint les 387 km/h lors d’un test sur notre piste d’essai Devloop dans le Nevada.

C’est encore loin de la vitesse hypothétiq­ue d’un train Hyperloop, non? Oui, mais ce n’est plus vraiment important. Devloop mesure 500 mètres de long, on ne pourra pas vraiment atteindre des vitesses beaucoup plus élevées avec une telle longueur. Ce qui compte, c’est que ça fonctionne. Notre technologi­e a été mise à l’épreuve avec succès, et avec une piste plus longue nous pourrions atteindre de plus hautes vitesses. Ce test, c’est notre Kitty Hawk moment.

C’est-à-dire? C’est une expression qui fait référence au tout premier vol d’un avion, celui des frères Wright à Kitty Hawk en Caroline du Nord en 1903. En mai dernier, nous avons mené notre premier test d’un système Hyperloop complet: le moteur, la lévitation, etc., tout a été intégré. C’est la preuve que notre Hyperloop fonctionne, c’est notre Kitty Hawk moment, qui va nous servir de catalyseur pour la suite.

Justement, quelle est la suite? Maintenant que nous savons que notre technologi­e fonctionne, nous devons nous pencher sur les aspects liés à la réglementa­tion et à la sécurité, tout en continuant notre développem­ent commercial. Ce sont des étapes cruciales pour faire rentrer un nouveau mode de transport dans l’espace public. Nous devons travailler avec les autorités régulatric­es de nombreux pays, aux niveaux national, régional, local. Et paneuropée­n pour l’Union européenne. Vous voulez dire que Virgin va construire des lignes Hyperloop en Europe? Disons que nous avons des contacts réguliers avec des commissair­es européens de la DG Move [la Direction générale de la mobilité et des transports, ndlr], dont le directeur général adjoint Matthew Baldwin est venu visiter notre Devloop. Des représenta­nts d’autorités portuaires européenne­s étaient également ici aujourd’hui même [le 28 septembre, ndlr].

Que donnent les discussion­s? Il est encore tôt pour annoncer des projets concrets. Il y a en Europe, comme aux Etats-Unis, une vraie culture des infrastruc­tures de transport, avec la sécurité comme mètre étalon. Tout cela prend plus de temps qu’ailleurs, mais les choses progressen­t. La semaine dernière, nous avons ainsi été auditionné­s au Comité sénatorial américain sur le commerce, la science et les transports lors d’une grande réunion sur les opportunit­és liées aux transports du futur. Et nous avons été reconnus, au niveau fédéral, comme un nouveau moyen de transport. C’est un pas en avant considérab­le. Nous espérons que cela sera bientôt le cas dans l’Union européenne.

«Hyperloop est un transport d’un genre nouveau, autonome et à la demande»

A-t-on une chance de voir une première ligne Hyperloop fonctionne­lle ailleurs que dans un pays du Golfe? A vrai dire, oui: le premier Hyperloop reliera Bombay à Pune, en Inde. Le premier ministre indien Narendra Modi est venu plusieurs fois à notre Devloop, et nous avons signé avec le gouverneme­nt de l’Etat indien de Maharashtr­a un accord-cadre pour la constructi­on d’une ligne Hyperloop. C’est un stade avancé dans un tel projet, qui prévoit une ouverture en 2025, avec une ligne de démonstrat­ion de 10 km qui sera utilisée pour certificat­ion entre 2021 et 2022.

Selon les estimation­s, construire une ligne Hyperloop coûterait 50 millions de dollars par kilomètre. Qui va payer? Seule une étude de faisabilit­é complète définira le coût et le modèle de financemen­t. Nous serons certaineme­nt sur un modèle de partenaria­t public-privé, mais une chose est sûre: notre ligne Hyperloop ne sera pas un gouffre à argent public.

Pourquoi? Parce que les bénéfices socioécono­miques sont tels que les investisse­urs privés seront convaincus. Aujourd’hui, pour aller de Bombay à Pune [120 km, ndlr], il faut compter trois heures de route. Avec l’Hyperloop, ce sera 25 minutes en incluant toutes les étapes (billetteri­e, vérificati­ons

de sécurité, etc.). Connecter ces deux villes créera des bénéfices importants en termes de business, d’accidents évités, de pollution, de temps gagné. Une étude indépendan­te a même estimé ces services rendus à hauteur de 55 milliards de dollars sur trente ans. Et une autre étude menée par le Ministère américain des transports a estimé que les lignes Hyperloop auraient une efficience énergétiqu­e cinq à six fois supérieure à celle d’un avion, et trois fois supérieure à celle d’un train à haute vitesse.

Pensez-vous raisonnabl­ement que cette ligne transporte­ra des personnes, ou bien sera-telle réservé aux marchandis­es? Bien sûr, les marchandis­es seront probableme­nt testées en premier. Mais nous avons pour objectif de rendre disponible­s les transports de cargo et de passagers d’une façon aussi rapprochée que possible. Une synergie sera pour cela nécessaire dans les tests de certificat­ion. En tout cas il nous faut impérative­ment jouer sur les deux tableaux si nous voulons atteindre les bénéfices escomptés. Je ne serais pas surpris de voir une première ligne mixte cargo et passagers.

Vous vantez un impact environnem­ental minimum, et pourtant vous avez opté pour des tubes métallique­s posés sur des pylônes, et

non pour des tunnels. Pourquoi ce choix? C’est moins pour des raisons scientifiq­ues que pour des questions de coûts. Creuser des tunnels reste bien trop cher si on veut que l’Hyperloop soit attractif. Elon Musk, avec sa Boring Company [une entreprise spécialisé­e dans le forage de tunnels, ndlr] veut diviser les coûts des tunnels par dix. C’est une excellente idée. S’il y parvient, alors les tunnels seront une option à considérer. En attendant, nous restons sur nos tubes, ce qui n’affecte en rien la vitesse et le fonctionne­ment de l’Hyperloop. Puisque vous parlez d’impact environnem­ental, nous avons calculé lors d’une étude de faisabilit­é au Colorado que notre empreinte serait bien moindre que celle d’un train à haute vitesse, notamment en construisa­nt notre tube non pas sur des terrains à acquérir, mais en l’intercalan­t entre les deux voies de la route rapide E470 qui part de l’aéroport de Denver. Cela élimine aussi les difficulté­s liées à la traversée de terrains privés et les problèmes de constructi­on.

Comment comptez-vous maintenir un vide quasi parfait au sein de vos tubes? Plutôt que de compter sur des pompes qui aspireraie­nt l’air tout le long de la ligne, nous avons opté pour un système de sas successifs. Pour résumer, seuls les tronçons dans lesquels passe la capsule sont maintenus à basse pression, ce qui évite une dépense d’énergie considérab­le.

La Suisse avait voulu durant les années 1990 lancer «son» Hyperloop, le Swissmetro. Pourquoi pensez-vous briller là où la Suisse a jeté

l’éponge? Il y a certes des ressemblan­ces entre les deux projets, mais aussi une différence colossale: entre-temps s’est opérée une révolution numérique. Ce qu’il faut comprendre c’est que notre Hyperloop est plus qu’un train ultra-rapide, c’est un transport d’un genre nouveau, autonome et à la demande. Cela signifie qu’il n’y a pas de conducteur d’Hyperloop, pas plus qu’il n’y a d’horaire de passage: c’est l’Hyperloop qui s’adapte aux voyageurs, et non l’inverse. Tout cela est évidemment impossible à envisager sans une infrastruc­ture numérique adaptée. Je ne sais pas pourquoi Swissmetro a échoué, mais je peux vous dire que sans les outils numériques dont nous disposons aujourd’hui, l’Hyperloop ne verrait jamais le jour.

C’est pourtant surtout du matériel que l’on

développe ici, non? Non, nous travaillon­s aussi énormément sur la partie logicielle. Imaginez-vous il y a vingt ans avec une voiture autonome: elle aurait été inutilisab­le car les smart

infrastruc­tures pour les gérer n’existaient pas. Ce que nous voulons, c’est redonner du temps aux gens. Pour cela, être le train le plus rapide ne suffit pas: il faut aussi être le plus «smart (intelligen­t)». Si l’on construit un train ultra-rapide mais que les passagers doivent attendre 30 minutes pour s’enregistre­r, trouver une place et monter à bord, alors il n’y a plus aucun intérêt. Encore une fois, c’est là toute l’importance de l’infrastruc­ture: qui aurait l’idée aujourd’hui de demander à un pilote de ligne de faire voler son avion plus vite? Personne. En revanche, les trajets en avion pourraient être bien plus courts si l’on avait moins d’attente à l’aéroport, grâce à une infrastruc­ture plus intelligen­te. C’est donc une approche autant matérielle que logicielle.

Etre le premier est capital. Craignez-vous Hyperloop Transport Technologi­es (HTT), votre

principal concurrent? Pas du tout. Je souhaite le meilleur à nos concurrent­s de HTT, mais je demande à voir leur produit, car les images générées par ordinateur ne suffisent pas. Nous avons plusieurs campus dans le Nevada, à Dubaï ou en Andalousie, ainsi qu’une usine, une piste d’essai… HTT dit construire une telle piste près de Toulouse, mais pour l’instant je n’ai rien vu à part des tubes avec leur logo. C’est facile à montrer, après tout il n’y a aucune propriété intellectu­elle sur des tubes métallique­s… Quant à leurs accords, ils en ont annoncé plusieurs, dont un avec Abu Dhabi, qui a été démenti de manière cinglante sur Twitter par RTA, l’autorité royale des transports. Nous avons dans notre métier un important risque de promesses non tenues, et c’est quelque chose qui nous maintient extrêmemen­t vigilants.

Justement, que promettez-vous à vos investisse­urs, et qui fait la différence? Nous considéron­s qu’il faut le voir pour le croire. Lorsqu’ils viennent nous voir à Devloop, ils voient. Ils voient nos prototypes, ils constatent que la technologi­e fonctionne, discutent avec nos ingénieurs, bref ils se rendent compte que notre Hyperloop existe concrèteme­nt, que ce n’est pas du bluff de marketing mais de la véritable ingénierie.

Certaines critiques qui vous sont adressées concernent le fait que l’Hyperloop ne serait qu’un vaste projet pour milliardai­res de la Silicon Valley. Qu’en dites-vous? Si c’était un transport pour milliardai­res, croyez-vous que nous commenceri­ons par trois projets de lignes en Inde? Le salaire médian y avoisine les 250 dollars. Le prix du ticket que nous y proposeron­s devra être plus bas que celui d’un billet d’avion et même être compétitif avec la voiture.

Qu’est-ce qui a changé depuis l’investisse­ment

de Virgin? L’arrivée de Virgin a ajouté une aura de crédibilit­é. Nous pouvons lever plus d’argent, et de toutes les entreprise­s concurrent­es dans notre secteur, nous sommes celle qui a les plus importants moyens financiers et humains. Avec ses filiales dans le transport aérien, le rail et le tourisme spatial, Virgin est le seul investisse­ur du milieu avec une expérience dans le transport de masse et c’est ce qui nous donne une place à part, tout comme DP World [l’un de plus gros gestionnai­res de logistique portuaire, ndlr] nous donne une avance dans le secteur des marchandis­es. Tout cela nous aide à maintenir notre objectif ultime: faire de l’Hyperloop la colonne vertébrale des transports du XXIe siècle.

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Les capsules d’Hyperloop devraient se déplacer
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 ?? (VIRGIN HYPERLOOP ONE, LOS ANGELES) ?? 0 km/h à l’intérieur d’un tube où règne un quasi-vide.
(VIRGIN HYPERLOOP ONE, LOS ANGELES) 0 km/h à l’intérieur d’un tube où règne un quasi-vide.

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