Le Temps

Le mythe de la superficia­lité américaine

- STÉPHANE BENOIT-GODET t @sbenoitgod­et

La société américaine est si souvent critiquée en Europe qu’il devient difficile de se rappeler pourquoi elle continue de nous fasciner. A San Francisco, nous avons croisé des dirigeants, des homeless et des artistes, des sportifs et des chercheurs, des jeunes, des vieux et des représenta­nts de tous les secteurs. Une chose ressort fortement de tous ces échanges. L’enthousias­me avec lequel on vous accueille même si vous êtes différent, le bon esprit qui entoure les nouvelles idées et la bienveilla­nce générale des lieux.

Les Américains sont souvent moqués pour leur superficia­lité. Ce n’est peut-être pas le bon mot: ici, on pense d’abord à ce qu’une rencontre pourrait avoir d’utile. De nombreux expatriés croisés ici continuent d’en témoigner. Passez une soirée ici et les gens voudront forcément vous vendre leur boîte ou leur CV. Dans une party, on y vient un tout petit peu pour passer du bon temps et surtout pour réseauter profession­nellement. Et c’est souvent ce qui pèse le plus à ceux qui ont un style de vie hérité du Vieux Continent.

La vie n’est pas toujours facile pour ceux qui viennent d’Europe pour étudier ou travailler ici. Les rencontres, qui s’effectuent majoritair­ement sur des apps, restent expéditive­s. Et, dans une ville où beaucoup ont l’impression qu’ils vont rater leur vie s’ils arrêtent de travailler, la misère sentimenta­le guette. Mais cette réalité ne concerne pas tout le monde. Les expatriés n’ont pas le même ressenti que ceux qui viennent d’ailleurs, mais cette fois pour d’autres raisons que la géographie.

Dans une ville où on a l’habitude de dire qu’il n’y a pas que des hommes et des femmes mais des dizaines de genres différents et des millions de manières de vivre sa vie, le champ des possibles paraît infini. Passer un moment à la Folsom Street Fair – le rendez-vous annuel des fétichiste­s du cuir qui paradent nus et expriment crûment leur orientatio­n sexuelle – rend humble par rapport à l’état de nos sociétés européenne­s.

La simple existence d’un tel environnem­ent où personne ne juge, où tout le monde se respecte et où aucun malaise ne survient pour celui qui vient juste regarder signifie que la liberté des minorités est acquise. La sophistica­tion de cette société américaine se voit aussi dans le fait de trouver des tampons hygiénique­s dans les toilettes hommes chez Google et Facebook. Pourquoi? Pour qu’un trans qui n’a pas terminé sa transition se sente à l’aise aussi dans cet endroit.

A l’évocation de telles situations, en général un Européen pouffe de rire, s’énerve ou rappelle que les Etats-Unis sont aussi le pays de Trump et des tueries de masse. Certes. Mais c’est aussi celui de la liberté et de l’ouverture d’esprit, ce que l’Europe n’a pas toujours.

Dans une «party», on vient un tout petit peu pour passer du bon temps et surtout pour réseauter

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