Le Temps

UN ÉTÉ 67, SURVOL AU-DESS D’UN NID DE HIPPIES

- PAR STÉPHANE GOBBO, SAN FRANCISCO t @StephGobbo

Il y a cinquante et un ans, San Francisco vivait son «Summer of Love», point culminant d’une révolution musicale et intellectu­elle sans précédent. L’héritage hippie peut se résumer en deux mots: penser autrement

◗ Avant le reste du monde, San Francisco avait ses épiceries bios, ses coopérativ­es alimentair­es, ses espaces dédiés au yoga. «Tout ça, c’est un héritage direct des années hippies», affirme Joel Selvin. L’ancien chroniqueu­r du San Francisco Chronicle a publié de nombreux livres sur l’histoire de la contre-culture et la scène musicale de la ville. «Est-ce qu’on sent encore l’héritage du Summer of Love? Si ce n’était pas le cas, vous ne me poseriez pas la question. Les gens ont en tête l’archétype des filles dansant pieds nus dans les parcs, mais c’était bien plus que ça. Sans hippies, pas de yoga.»

Le Summer of Love est né d’une heureuse conjonctio­n de facteurs. Sous l’influence partielle de la beat generation, la fin des années 1960 a vu l’émergence d’un vaste mouvement contestata­ire, en faveur des droits civiques et de la libération de la femme, contre la ségrégatio­n et la guerre du Vietnam. En parallèle se développai­t une scène musicale qui, sous l’influence du LSD, allait réinventer le rock en l’amenant vers des territoire­s psychédéli­ques. Ses hérauts s’appelaient Jefferson Airplane et Grateful Dead, The Charlatans et Quicksilve­r Messenger Service. Au sein de Big Brother and the Holding Company se distinguai­t une fougueuse chanteuse du nom de Janis Joplin.

«ACID TEST»

S’il fallait officielle­ment dater l’émergence de la contre-culture, on retiendrai­t le 27 novembre 1967. Ce jour-là, sous l’impulsion de l’écrivain Ken Kesey – qui s’était fait connaître cinq ans plus tôt avec Vol au-dessus d’un nid de coucou – et du collectif The Merry Pranksters, qui comptaient parmi ses membres notoires Neal Cassady (le Dean Moriarty du Sur la route de Jack Kerouac), se tient le premier d’une série d’acid tests. Le LSD n’est pas encore interdit en Californie, il le sera une année plus tard, et il est alors utilisé pour éveiller les conscience­s, libérer les esprits, favoriser la créativité. Phil Lesh, Bob Weir et Jerry Garcia sont de la partie. Ils composent alors sous le nom de The Warlocks et deviendron­t peu après le Grateful Dead.

«Au début, ces gens se comportaie­nt comme des évangélist­es, porteurs d’une nouvelle utopie, raconte Joel Selvin. Ils avaient un sens très fort de la communauté. Marty Balin, le chanteur du Jefferson Airplane [décédé le 27 septembre dernier, deux jours après cette rencontre, ndlr], me racontait qu’il lançait des poignées d’acide sur les premiers rangs lors des concerts.» A cette époque, Peter McQuaid est élève au collège. Le directeur exécutif du Haight Art Center, espace d’exposition ouvert il y a quinze mois sur Haight Street, épicentre du Summer of Love, se souvient «d’une force puissante qui rejetait la société. De toutes les causes défendues par les hippies, c’est vraiment la lutte contre la guerre du Vietnam qui a réuni tout le monde.»

Autre date clé, le 14 janvier 1967. Le terrain de polo du Golden Gate Park, le plus vaste espace vert de la ville, accueille le Human Be-In, un gigantesqu­e rassemblem­ent à la fois musical et intellectu­el, où en marge des concerts est célébrée la poésie beat – Allen Ginsberg et Timothy Leary sont présents. Sur scène, le saxophonis­te jazz rejoint le Jefferson Airplane. Quelques mois plus tard, il sera l’attraction du premier Montreux Jazz Festival. L’événement marque le début de ce qui deviendra le Summer of Love. Mais alors que les premiers hippies étaient animés par une envie de rendre le monde meilleur en proposant d’autres schémas sociétaux, le Haight attire de plus en de jeunes que seul le slogan «sexe, drogue et rock’n’roll» fait rêver. Le quartier devient moins sûr, les viols et les vols n’y sont pas rares, les drogues dures font leur apparition.

RUÉE VERS L’OR

En juin 1967, le Monterey Pop Festival marquera la fin du Summer of Love. Déjà. Cette célébratio­n musicale est aujourd’hui considérée comme le moment qui verra la musique devenir une industrie. Peter McQuaid, qui dirigera plus tard la société Grateful Dead Production­s, explique que le festival a attiré les gros labels de Los Angeles, qui soudaineme­nt se sont rendu compte qu’il se passait quelque chose au nord de la Californie. «Les artistes sont devenus connus, et ça a été la fin.» Joel Selvin évoque une ruée vers l’or: «Les cadres de Columbia, Elektra et Warner sont tous venus. Les premiers artistes du mouvement psychédéli­que étaient des groupes avec des idées. C’était encore le cas de Creedence Clearwater Revival. Ensuite, tout a changé.» Autrement dit, le business l’a emporté.

La plupart des personnes ayant vécu cette époque musicaleme­nt et intellectu­ellement stimulante sont par contre restées fidèles à leurs idéaux. A Berkeley, on rencontre John et Helen Meyer, qui sont tombés amoureux, ça ne s’invente pas, durant le Summer of Love. Helen avait emménagé avec une amie et elle se demandait qui était leur voisin, «ce drôle de type qui pouvait parler en profondeur de différents sujets». John travaillai­t dans un magasin hi-fi. Un jour, il propose à Helen de venir écouter le Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band des

 ?? (LEA KLOOS/ LE TEMPS) ?? Au plus fort du «Summer of Love» de 1967, le quartier de Haight-Ashbury abritait quelque 15 000 hippies. Sa rue principale a su conserver son âme alternativ­e.
(LEA KLOOS/ LE TEMPS) Au plus fort du «Summer of Love» de 1967, le quartier de Haight-Ashbury abritait quelque 15 000 hippies. Sa rue principale a su conserver son âme alternativ­e.
 ?? (LEA KLOOS/ LE TEMPS) ?? John et Helen Meyer se sont rencontrés durant le «Summer of Love». Ils sont à la tête de la société Meyer Sound, basée à Berkeley.
(LEA KLOOS/ LE TEMPS) John et Helen Meyer se sont rencontrés durant le «Summer of Love». Ils sont à la tête de la société Meyer Sound, basée à Berkeley.

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