Le Temps

WAVY GRAVY, LA NOSTALGIE DU FUTUR

- S.G.

Il fut un des activistes phares du mouvement anti-guerre du Vietnam; en 1969, il était sur la scène du festival de Woodstock. Wavy Gravy, 82 ans, est une légende hippie

◗ Partir à la rencontre de Wavy Gravy, c’est toute une aventure. Lorsqu’on arrive devant sa maison de Berkeley, où on se rend en empruntant le Bay Bridge qui relie San Francisco à Oakland, un panneau nous indique qu’il faut passer par une porte dérobée, sur le côté. On pénètre alors dans un jardin plus anarchique que zen, entouré de quelques cabanes. Sur le porche de l’une d’entre elles, un homme nous salue. «Vous cherchez Wavy? Je vous laisse faire, c’est plus amusant. Bienvenue sur l’île au trésor…»

C’est finalement à l’étage de la maison principale qu’on retrouve le natif de New York. Il regarde la télévision. Il nous propose de sortir, non sans nous avoir montré les rondins de bois qu’il utilise pour des collages psychédéli­ques évoquant les grandes figures du rock. Wavy Gravy a 82 ans, et ce jour-là, il semble fatigué. Mais lui parler reste une expérience unique. Car il demeure sans nul doute le hippie le plus connu de l’histoire de la contre-culture.

BATTU PAR LA POLICE

Il ne se souvient plus précisémen­t de son arrivée en Californie, «ça devait être vers 1962», mais aime rappeler qu’à New York, il était un adolescent beatnik, lisant ses poèmes à Greenwich Village, où il fut un temps le colocatair­e d’un certain Bob Dylan. Arrivé à San Francisco, il s’est lié avec les hérauts de la beat generation, organisée autour de Lawrence Ferlinghet­ti et de sa librairie City Lights. «Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Gregory Corso: j’étais plus jeune qu’eux, mais c’étaient de bons amis.» Lorsque, en 1967, débute le Summer of Love, Wavy Gravy s’appelle encore Hugh Romney. Là où d’autres s’intéressen­t essentiell­ement à la musique et au LSD, il est mû par une conscience politique et sociale. «Mon but était de stopper la guerre du Vietnam. Pendant un moment, je n’ai fait que ça, ce qui m’a valu d’être régulièrem­ent battu par la police», se souvient-il non sans fierté.

En août 1969, il assiste au Festival de Woodstock. Il n’est pas seulement spectateur, mais monte également sur scène, au nom de la Hog Farm, la communauté hippie qu’il a fondée quelques années auparavant. Tandis que Chip Monck introduit les artistes, il est chargé des annonces plus triviales, celles qui concernent l’infirmerie, les toilettes ou la nourriture. C’est deux semaines plus tard qu’il recevra son surnom. On lui demande de nous raconter cette histoire qu’il a déjà racontée mille fois, mais dont il ne se lasse pas.

BESOINS BASIQUES

«Juste après Woodstock, on est allés au Texas Pop Festival, organisé sur le circuit de course de Louisville. Il y avait une scène payante, où jouaient Janis Joplin et les autres stars, et une scène gratuite que l’on gérait. A force d’avoir été frappé par la police, j’avais mal au dos. J’étais couché dans un coin de la scène lorsqu’on a soudaineme­nt appris que B. B. King allait jouer. Je tente de me lever, il pose sa main sur mon épaule. «Etes-vous Wavy Gravy?» me demandet-il, je ne sais pas trop pourquoi. J’ai répondu que oui, et il m’a appuyé sur un de ses amplis. Il a pris sa guitare, Lucille, et a joué jusqu’au lever du soleil. C’était incroyable.» Depuis, Hugh est Wavy.

Hog Farm est la plus ancienne communauté hippie encore en activité. Elle possède un ranch au nord de Berkeley, où l’Américain reçoit chaque été 700 enfants à l’enseigne de Winnarainb­ow, un camp de cirque et des arts de la scène. Il a aussi créé la fondation Seva, qui lutte contre la cécité. «Grâce à une simple opération chirurgica­le, 80% des personnes qui sont aveugles peuvent retrouver la vue. Afin de financer la fondation, j’organise des concerts. Convaincre des groupes de rock de venir jouer gratuiteme­nt est plus facile lorsque vous êtes monté sur la scène de Woodstock», sourit-il.

Hippie, activiste et clown, c’est ainsi que se définit Wavy Gravy. Il a vécu l’émergence de la contre-culture de l’intérieur, a été le clown officiel du Grateful Dead, et garde des utopies nées à la fin des années 1960 ce mantra: «Peace, love and understand­ing» (paix, amour et compréhens­ion). Il insiste pour qu’on note aussi cette citation – «it’s my line», dit-il: «J’ai la nostalgie du futur.» S’il avoue que Donald Trump le rend très nerveux, il continue de penser que l’humour et la satire sont des armes puissantes. Il ne regarde pas en arrière et reste animé par la certitude qu’on peut rendre le monde meilleur et combattre les injustices. Et de nous chanter, en guise d’au revoir, une chanson qu’il a composée, Basic Human Needs. Elle commence comme ça: «Et ne serait-ce pas chouette si les gens que vous rencontrez avaient des chaussures à leurs pieds et quelque chose à manger? Et ne serait-ce pas bien si tous les êtres humains avaient un abri?»

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(LEA KLOOS/LE TEMPS) «Paix, amour et compréhens­ion», tel est le mantra de Wavy Gravy.

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