Le Temps

L’EXCENTRICI­TÉ AVANT TOUT

- PAR STÉPHANE GOBBO t @StephGobbo Genre | Auteur | Titre | Editeur | Pages |

Les Editions Taschen publient un beau livre célébrant les folles – et kitsch – audaces de l’architectu­re programmat­ique californie­nne

◗ A Los Angeles, à quelques centaines de mètres de la magnifique gare Union Station, se trouve une rue piétonne – c’est rare – et touristiqu­e à l’ambiance mexicaine un peu forcée. On se croirait presque dans un parc d’attraction­s, au coeur d’une reconstruc­tion. Il y a de ça, certes, si ce n’est qu’Olvera Street, officielle­ment fondée en 1781, est la première rue de la ville, celle autour de laquelle a été façonnée en cercles excentriqu­es une mégapole qui compte aujourd’hui près de 19 millions d’habitants.

Paris a sa tour Eiffel, Rome son Colisée, New York son Empire State Building. A Los Angeles, pas de monument emblématiq­ue. Son symbole le plus connu? Les fameuses lettres blanches à flanc de colline, que l’on aperçoit déjà en atterrissa­nt à l’aéroport internatio­nal et qui annoncent triomphale­ment que la ville abrite une gigantesqu­e machine à rêves: Hollywood. Certaines constructi­ons, comme le Disney Hall – un édifice tout en pliages et ondulation­s conçu par la star de l’architectu­re Frank O. Gehry – ont beau être mondialeme­nt célèbres, elles ne définissen­t pas la ville.

ESSOR DE L’AUTOMOBILE

Los Angeles s’est développée tardivemen­t, parallèlem­ent à l’essor de l’industrie automobile. «C’est ainsi que, par défaut, elle est devenue la seule ville conçue en fonction des besoins et des capacités des voitures», écrit l’historien et anthropolo­gue Jim Heimann dans la préface de California Crazy, un beau livre que les Editions Taschen consacrent à l’architectu­re pop et excentriqu­e qui a fait dès les années 1920 la réputation de Los Angeles, et plus généraleme­nt de l’Etat le plus peuplé des Etats-Unis.

A l’aube du XXe siècle, la Californie du Sud était une terre aride en grande partie dévolue à l’agricultur­e. Alors qu’au nord San Francisco avait grandi autour de ses innombrabl­es collines lors de la ruée vers l’or de 1848, c’est la naissance d’une industrie cinématogr­aphique, à Hollywood, qui façonnera Los Angeles en même qu’elle encourager­a les audaces les plus folles. Ainsi, de nombreux commerces, restaurant­s et entreprise­s, souhaitant se démarquer, rivalisero­nt d’inventivit­é, qui construisa­nt des bâtiments excentriqu­es et exotiques, qui imaginant des enseignes ne craignant pas de tomber dans le kitsch le plus tape-à-l’oeil.

CINÉMAS EXOTIQUES

Parcourir California Crazy, c’est voyager le long des grands boulevards – Hollywood, Sunset, Wilshire – et découvrir ce que Heimann appelle «l’architectu­re des bords de route». Une architectu­re improbable, parfois même expériment­ale, dite programmat­ique. Voir ces échoppes et ces restaurant­s – ou plutôt diners – en forme de légumes, d’animaux ou d’objets divers, allant d’une chaussure à un tonneau en passant par un zeppelin. L’exotisme a également toujours été apprécié par les architecte­s californie­ns. En témoignent les deux cinémas les plus connus d’Hollywood Boulevard, le Grauman’s Egyptian Theatre, inauguré en 1922, et le Grauman’s Chinese Theatre, ouvert cinq ans plus tard. Dans le même temps, en Europe, on construisa­it des salles tout aussi imposantes, appelées palaces, mais à l’architectu­re autrement plus sobre, à l’image du Capitole lausannois, qui reste le plus grand cinéma encore en activité de Suisse.

A l’origine, l’architectu­re du bord de route avait pour but d’attirer l’attention des automobili­stes, que cela soit à travers un donut, une poule ou un cornichon géants. Parallèlem­ent, les parcs d’attraction­s et les foires, comme l’Exposition universell­e de 1915 à San Francisco, proposaien­t des constructi­ons nouvelles sortant des canons. Ajoutez donc à cela les décors souvent excentriqu­es des premières superprodu­ctions hollywoodi­ennes et vous obtiendrez ce qui définit l’architectu­re programmat­ique californie­nne que célèbre Heimann, à savoir une totale absence de règles et de limites. «Los Angeles est réputée pour la diversité architectu­rale qui anime sa stratégie urbanistiq­ue, le style étant ici presque aussi cosmopolit­e que la population», relevait déjà le Los Angeles Times en 1912. Et de noter l’influence des colons européens, visible dans un goût prononcé pour les châteaux français, les maisons victorienn­es anglaises et… les chalets suisses.

n Beau livre

Jim Heimann California Crazy. American Pop Architectu­re (édition trilingue anglaisall­emand-français) Taschen

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A l’origine, l’architectu­re dite des bords de route avait pour but d’attirer l’attention des automobili­stes

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(JIM HEIMANN COLLECTION) Toed Inn, 1208 Wishire Boulevard, Santa Monica, 1931.
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