Bernard Pichon voyage partout, même sous terre
Le célèbre animateur de radio et de télé est devenu un globe-blogueur et un auteur prolifique. Il rentre du Japon, part en Namibie, et a publié entre les deux un ouvrage sur la Romandie souterraine
Il a une pensée tout d’abord pour Charles Aznavour, qui s’en est allé le 1er octobre. Bernard Pichon l’a reçu aux Oiseaux de nuit, émission mythique des années 70, qu’il animait le samedi. «Un soir, il est venu chanter et n’a jamais ôté ses lunettes noires, ce qui était inhabituel chez lui. Après l’émission, son agent m’a dit que l’un de ses fils était décédé le matin même. Charles avait néanmoins tenu à être présent.» Silence. Bernard fredonne Hier encore, petit air aznavourien un brin nostalgique puis parle «d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître… et même les moins de 40!».
Bernard Pichon fut journaliste, homme de radio et de télé. Un visage et avant tout une très belle voix. Il est aujourd’hui homme dans le monde. «Les voyages forment la vieillesse, dit-il. J’ai eu longtemps une vision intimiste de la Suisse romande, j’ai visité sa géographie émotionnelle et psychologique, j’élargis désormais mes horizons.» Il est devenu globe-blogueur, vient de rentrer de Nara, étrange ville nippone livrée aux cerfs et aux chevreuils, file bientôt en Namibie, a côtoyé la baleine à bosse au Groenland, a foulé le sommet des pyramides de Teotihuacan au Mexique, nous a montré Dettifoss en Islande, la cascade la plus puissante d’Europe. Il publie des vidéos sur son site, Pichonvoyageur.ch, et relate ses voyages dans Le Nouvelliste ou GHI.
Il ne peut s’empêcher parfois d’égratigner avec tact et humour un pays visité jugé peu regardant sur les libertés individuelles. De retour de Tunisie du temps de Ben Ali, il écrit ainsi: «Je suis allé dans un hammam dont le masseur était aussi musclé que le régime politique de son pays.» Il écrit des livres. Le dernier en date: Romandie souterraine (Editions Favre), où l’on apprend que près de 3800 km de tunnels et galeries percent le sous-sol suisse, plus que la distance entre Barcelone et Moscou.
Son enfance fut, confie-t-il, «chahutée». Parents très vite divorcés, sa mère avec qui il vit décède quand il a 10 ans. Il est élevé par sa grand-mère, rencontre des artistes grâce à un oncle et une tante qui réalisent des films d’animation. La Radio suisse romande cherche des voix enfantines pour ses pièces radiophoniques. Il auditionne, est sélectionné, ce qui lui fait dire qu’il est le plus ancien collaborateur de la radio romande «parce que j’ai commencé en 1955». Il gagnait 5 francs par après-midi.
Quand sa voix a mué, son exclusivité a cessé. Il a passé sa maturité, a commencé à étudier les sciences sociales, ne s’est pas éternisé parce que la télé cherchait de nouvelles têtes. La sienne était plutôt bien faite et l’ensemble du personnage très avenant. «J’ai animé une espèce de Salut les copains version suisse», se souvient-il. Les Oiseaux de nuit vont lui conférer une énorme notoriété. L’émission (chansons et conversations) est dans un premier temps diffusée tard dans la soirée, mais le public est nombreux, alors l’horaire est avancé et Bernard accède ce que l’on n’appelait pas encore le prime time.
«C’était plus simple qu’aujourd’hui, rappelle-t-il modestement. La concurrence était faible et le téléspectateur ne zappait pas. Nous n’avions pas un gros budget, ce qui n’empêchait pas de recevoir des stars car elles le faisaient bénévolement.» Ferré, Perret, Brassens, Birkin et Gainsbourg, Juliette Gréco, Delon, Barbara, Auberson, Lino Ventura, Henri Dès, Julien Clerc sont passés aux Oiseaux de nuit. Des aréopages
«Les voyages forment la vieillesse. J’ai eu longtemps une vision intimiste de la Suisse romande, j’élargis désormais mes horizons»
parfois surprenants, comme ce trio improbable face à l’animateur: Hugo Pratt, père de Corto Maltese, le philosophe Alain Finkielkraut et le très jeune Jean-Jacques Goldman. Ces rencontres sont consignées dans un ouvrage, Une valise de souvenirs, paru l’an passé. Il y parle de Gainsbourg, qu’il a vu aussi chez lui rue de Verneuil à Paris. «J’imaginais son intérieur disons… un peu en désordre, et pas du tout, j’ai fait face à un esthète très maniaque, replaçant un objet s’il avait bougé d’un seul centimètre.»
Et puis ce fut le monde de la nuit, les confidences des auditeurs, la fameuse Ligne de coeur, dont on lui confie le micro de 1990 à 1994. «Mon meilleur souvenir», insiste-t-il. Sa réussite a tenu au fait qu’il n’a pas pris la voix du psy ou du gourou mais celle du journaliste, «en tentant de faire usage du bon mot». Ce qui lui a valu d’être l’invité de l’Association suisse de psychiatrie, qui honora son écoute bienveillante et son empathie.
Cette Ligne de coeur a tracé, depuis, une ligne de vie qui le poursuit. Il raconte: «La semaine passée, dans le train, un homme vient à moi et me dit que je lui ai sauvé la vie. Il avait à l’époque 16 ans, ses parents étaient Témoins de Jéhovah, il vivait comme dans une secte. Il a appelé et le lendemain de notre conversation, il a quitté le domicile familial et s’est enfin senti libre.» Autre souvenir: «Je dédicaçais cette année au Livre sur les Quais, à Morges. Une femme s’approche, me prend la main, ne la relâche plus et hurle: «Je suis Yvonne!» Je ne savais bien entendu pas qui était cette Yvonne. Elle m’explique qu’elle a appelé en 1993 La ligne de coeur pour parler de son beau-frère qui se droguait et que notre échange l’a beaucoup aidée.»
▅