Après dix ans de croissance, les marchés vont-ils se retourner?
STRATÉGIE Entamée en 2009, la phase de croissance économique actuelle est l’une des plus longues de l’histoire. La chute des bourses la semaine dernière marque-t-elle le début de la fin? Faut-il déjà se positionner pour un retournement des marchés?
Le cycle de croissance actuel fêtera-t-il son dixième anniversaire? Entamé en 2009, il est l’un des plus longs de l’histoire et certains signaux pointent vers un retournement. En effet, la confiance des consommateurs américains atteint un sommet, alors que le chômage se trouve au plus bas. Tandis que les indices américains, asiatiques et européens ont chuté mercredi et jeudi, le timing du grand retournement fait débat. Plusieurs stratèges partagent leur positionnement pour les mois à venir.
«Le recul des marchés enclenché mercredi a surtout été provoqué par le marché obligataire, où les rendements ont atteint 3,25% sur les obligations d’Etat américaines à 10 ans et 3,4% sur celles à 30 ans, ce qui a engendré des craintes sur les marges des entreprises», estime Loïc Schmid, responsable des investissements de 1875 Finance.
«C’est une correction classique, avec un recul des marchés, un rebond, et un nouveau recul, plus fort» LOÏC SCHMID, 1875 FINANCE
Selon lui, une correction de 5 à 10% était «prévisible» après la forte hausse des marchés. Néanmoins, la croissance économique globale demeure robuste, même si des signaux montrent qu’on approche du pic du cycle. «Nous nous trouvons probablement dans une correction classique en trois phases, avec un recul des marchés, suivi d’un rebond, auquel succède un nouveau recul jusqu’à un point inférieur à celui touché après la première baisse», poursuit le Genevois.
Le retournement des marchés est «une question de mois», poursuit Loïc Schmid, se basant sur le déroulement habituel d’une fin de cycle: «Le pic de la croissance est derrière nous, elle effectue actuellement un plateau, avant de baisser.» Les EtatsUnis rentrent dans la dernière phase de croissance, nuance-t-il, alors que l’Europe se trouve plutôt en milieu de cycle. «Mais si les EtatsUnis toussent, le reste de la planète sera tiré vers le bas.»
Alors qu’une stratégie de «momentum» (acheter les actions dont les prévisions sont révisées à la hausse) et que les actions de croissance (Amazon, par exemple) étaient les plus appropriées pour le début de l’année, place à un positionnement défensif, donc, avec un mot clé: la qualité, poursuit Loïc Schmid. Des sociétés peu endettées, avec du cash, et plutôt des grandes capitalisations, mentionne le CIO, qui aiment aussi les revenus récurrents encaissés par certains acteurs de la technologie: «Le repositionnement est en cours sur le marché, on voit que les valeurs défensives ont très bien performé au cours du dernier mois, y compris celles traditionnellement recherchées pendant les récessions, comme les télécoms ou les services publics.»
Pas de grand secteur en situation périlleuse
Une autre caractéristique des fins de cycle est qu’avec le début de la remontée des taux, les actions restent en territoire positif mais sans direction claire, et que le crédit génère généralement de moins bonnes performances, enchaîne Andrea Zuccheri, responsable des investissements de Sumus Capital, un gérant d’actifs genevois supervisant environ 800 millions de francs d’avoirs.
Pour lui, la fin de cycle ne devrait pas intervenir avant douze mois: «Historiquement, les grandes récessions se sont produites lorsqu’un important secteur était en situation d’excès, lors de la bulle technologique à la fin des années 1990, en 2007 avec l’immobilier et la dette des ménages aux EtatsUnis. Or actuellement, le secteur des ménages ne présente pas de grands risques, son niveau de dette a même un peu reculé, tandis que les entreprises n’affichent pas un niveau d’endettement critique.»
En revanche, Andrea Zuccheri estime que le secteur public se trouve dans une dynamique insoutenable, en particulier aux Etats-Unis, où la baisse des impôts lancée par la réforme fiscale de Donald Trump et l’augmentation de la dette publique conduiront à un creusement des déficits.
Les premiers signaux inquiétants seront à rechercher du côté des obligations à haut rendement. «Lorsque les spreads [l’écart de taux avec une obligation sans risque, ndlr] augmenteront et qu’on verra les premiers problèmes macroéconomiques, il faudra sortir des actions», conclut le CIO de Sumus Capital, qui dispose d’une licence Finma de gestionnaire de placements collectifs.
Opportunités dans le «high yield»
En attendant, des opportunités existent dans des situations particulières, enchaîne son collègue Matteo Anrò: «Nous avons acheté de la dette à haut rendement, parfois avec des notations CCC+ ou B, liée à des entreprises pouvant rebondir dans le secteur pétrolier, plus précisément parmi les acteurs du forage en mer.» Le secteur a beaucoup souffert des prix bas du pétrole de début 2015 à mi-2017, entre 40 et 50 dollars, qui ont provoqué une baisse drastique des investissements dans le forage entre 2014 et 2016, en particulier en mer, où il est plus difficile à développer.
Investir dans des prestataires de services qui louent leurs plateformes pétrolières peut se révéler lucratif – 8% d’intérêt –, mais le niveau de risque est «considérable» selon la classification des agences de notation S&P ou Fitch. «Nous avons donc cherché des entreprises qui possédaient le plus de plateformes de dernière génération, plus efficaces et plus chères à la location. Et aussi des sociétés qui n’avaient pas d’obligations arrivant à maturité dans les deux ans, ce qui leur permettra d’éviter une crise de liquidité si le marché baissait de nouveau», décrit encore Matteo Anrò.
L’équilibre, toujours
Chez HSBC, la banque privée estime que toutes les conditions ne sont pas remplies pour une correction majeure sur les marchés. Les marchés moins porteurs n’ont pas provoqué un ralentissement de la croissance et le recul des marchés émergents n’a pas contaminé les autres zones, avance le stratège Willem Sels dans ses prévisions pour le quatrième trimestre.
Le noeud du problème se trouve en Chine, où le spécialiste prévoit un ralentissement modéré, ce qui justifie selon lui de demeurer surpondéré sur les actions, de manière sélective. Les perspectives de croissance mondiale demeurent saines, en particulier aux Etats-Unis. L’incertitude ambiante favorise les actions de qualité, conclut Willem Sels, qui donne sa préférence à quelques secteurs cycliques comme la finance et la consommation discrétionnaire aux Etats-Unis. Les technologies de la santé, les fintechs et la révolution électrique sont d’autres thèmes jugés porteurs. Alors que «le marché haussier des actions n’est pas encore fini», des opportunités s’offrent toujours pour un portefeuille équilibré, conclut HSBC Private Bank.
Ce dernier point est validé par de récentes données sur la composition des portefeuilles des ménages en Europe, en Asie et aux EtatsUnis, relève pour sa part Vincent Juvyns. Le stratège pour les marchés globaux chez JP Morgan Asset Management ne prévoit pas de sévère ralentissement économique avant un horizon d’un an.
Interrogé sur le positionnement à adopter en vue d’un horizon plus lointain, en cas de récession, Vincent Juvyns s’appuie sur des données historiques: «Pour un investisseur entré sur les marchés en 2007, c’est-à-dire au pire moment, juste avant l’effondrement de 2008, un portefeuille équilibré (60% actions – 40% obligations) aurait fourni la meilleure performance, avec un rendement annualisé moyen de 6,6% pour une volatilité de 12%, alors que cette décennie a souvent été qualifiée de «perdue.» Et malgré une perte de 21% pour l’année 2008.
Depuis 1995, le portefeuille type d’un ménage européen, équilibré, a été plus résistant et plus performant, avec une performance annuelle moyenne de 5,5%, comparée à 5,1% aux Etats-Unis (où les portefeuilles sont plus agressifs) et à 4,4% au Japon (plus défensifs), selon l’OCDE.■
Un portefeuille équilibré a rapporté 6,6% annuellement pour une volatilité de 12% depuis 2007