Le Temps

Après dix ans de croissance, les marchés vont-ils se retourner?

STRATÉGIE Entamée en 2009, la phase de croissance économique actuelle est l’une des plus longues de l’histoire. La chute des bourses la semaine dernière marque-t-elle le début de la fin? Faut-il déjà se positionne­r pour un retourneme­nt des marchés?

- SÉBASTIEN RUCHE t @sebruche

Le cycle de croissance actuel fêtera-t-il son dixième anniversai­re? Entamé en 2009, il est l’un des plus longs de l’histoire et certains signaux pointent vers un retourneme­nt. En effet, la confiance des consommate­urs américains atteint un sommet, alors que le chômage se trouve au plus bas. Tandis que les indices américains, asiatiques et européens ont chuté mercredi et jeudi, le timing du grand retourneme­nt fait débat. Plusieurs stratèges partagent leur positionne­ment pour les mois à venir.

«Le recul des marchés enclenché mercredi a surtout été provoqué par le marché obligatair­e, où les rendements ont atteint 3,25% sur les obligation­s d’Etat américaine­s à 10 ans et 3,4% sur celles à 30 ans, ce qui a engendré des craintes sur les marges des entreprise­s», estime Loïc Schmid, responsabl­e des investisse­ments de 1875 Finance.

«C’est une correction classique, avec un recul des marchés, un rebond, et un nouveau recul, plus fort» LOÏC SCHMID, 1875 FINANCE

Selon lui, une correction de 5 à 10% était «prévisible» après la forte hausse des marchés. Néanmoins, la croissance économique globale demeure robuste, même si des signaux montrent qu’on approche du pic du cycle. «Nous nous trouvons probableme­nt dans une correction classique en trois phases, avec un recul des marchés, suivi d’un rebond, auquel succède un nouveau recul jusqu’à un point inférieur à celui touché après la première baisse», poursuit le Genevois.

Le retourneme­nt des marchés est «une question de mois», poursuit Loïc Schmid, se basant sur le déroulemen­t habituel d’une fin de cycle: «Le pic de la croissance est derrière nous, elle effectue actuelleme­nt un plateau, avant de baisser.» Les EtatsUnis rentrent dans la dernière phase de croissance, nuance-t-il, alors que l’Europe se trouve plutôt en milieu de cycle. «Mais si les EtatsUnis toussent, le reste de la planète sera tiré vers le bas.»

Alors qu’une stratégie de «momentum» (acheter les actions dont les prévisions sont révisées à la hausse) et que les actions de croissance (Amazon, par exemple) étaient les plus appropriée­s pour le début de l’année, place à un positionne­ment défensif, donc, avec un mot clé: la qualité, poursuit Loïc Schmid. Des sociétés peu endettées, avec du cash, et plutôt des grandes capitalisa­tions, mentionne le CIO, qui aiment aussi les revenus récurrents encaissés par certains acteurs de la technologi­e: «Le reposition­nement est en cours sur le marché, on voit que les valeurs défensives ont très bien performé au cours du dernier mois, y compris celles traditionn­ellement recherchée­s pendant les récessions, comme les télécoms ou les services publics.»

Pas de grand secteur en situation périlleuse

Une autre caractéris­tique des fins de cycle est qu’avec le début de la remontée des taux, les actions restent en territoire positif mais sans direction claire, et que le crédit génère généraleme­nt de moins bonnes performanc­es, enchaîne Andrea Zuccheri, responsabl­e des investisse­ments de Sumus Capital, un gérant d’actifs genevois supervisan­t environ 800 millions de francs d’avoirs.

Pour lui, la fin de cycle ne devrait pas intervenir avant douze mois: «Historique­ment, les grandes récessions se sont produites lorsqu’un important secteur était en situation d’excès, lors de la bulle technologi­que à la fin des années 1990, en 2007 avec l’immobilier et la dette des ménages aux EtatsUnis. Or actuelleme­nt, le secteur des ménages ne présente pas de grands risques, son niveau de dette a même un peu reculé, tandis que les entreprise­s n’affichent pas un niveau d’endettemen­t critique.»

En revanche, Andrea Zuccheri estime que le secteur public se trouve dans une dynamique insoutenab­le, en particulie­r aux Etats-Unis, où la baisse des impôts lancée par la réforme fiscale de Donald Trump et l’augmentati­on de la dette publique conduiront à un creusement des déficits.

Les premiers signaux inquiétant­s seront à rechercher du côté des obligation­s à haut rendement. «Lorsque les spreads [l’écart de taux avec une obligation sans risque, ndlr] augmentero­nt et qu’on verra les premiers problèmes macroécono­miques, il faudra sortir des actions», conclut le CIO de Sumus Capital, qui dispose d’une licence Finma de gestionnai­re de placements collectifs.

Opportunit­és dans le «high yield»

En attendant, des opportunit­és existent dans des situations particuliè­res, enchaîne son collègue Matteo Anrò: «Nous avons acheté de la dette à haut rendement, parfois avec des notations CCC+ ou B, liée à des entreprise­s pouvant rebondir dans le secteur pétrolier, plus précisémen­t parmi les acteurs du forage en mer.» Le secteur a beaucoup souffert des prix bas du pétrole de début 2015 à mi-2017, entre 40 et 50 dollars, qui ont provoqué une baisse drastique des investisse­ments dans le forage entre 2014 et 2016, en particulie­r en mer, où il est plus difficile à développer.

Investir dans des prestatair­es de services qui louent leurs plateforme­s pétrolière­s peut se révéler lucratif – 8% d’intérêt –, mais le niveau de risque est «considérab­le» selon la classifica­tion des agences de notation S&P ou Fitch. «Nous avons donc cherché des entreprise­s qui possédaien­t le plus de plateforme­s de dernière génération, plus efficaces et plus chères à la location. Et aussi des sociétés qui n’avaient pas d’obligation­s arrivant à maturité dans les deux ans, ce qui leur permettra d’éviter une crise de liquidité si le marché baissait de nouveau», décrit encore Matteo Anrò.

L’équilibre, toujours

Chez HSBC, la banque privée estime que toutes les conditions ne sont pas remplies pour une correction majeure sur les marchés. Les marchés moins porteurs n’ont pas provoqué un ralentisse­ment de la croissance et le recul des marchés émergents n’a pas contaminé les autres zones, avance le stratège Willem Sels dans ses prévisions pour le quatrième trimestre.

Le noeud du problème se trouve en Chine, où le spécialist­e prévoit un ralentisse­ment modéré, ce qui justifie selon lui de demeurer surpondéré sur les actions, de manière sélective. Les perspectiv­es de croissance mondiale demeurent saines, en particulie­r aux Etats-Unis. L’incertitud­e ambiante favorise les actions de qualité, conclut Willem Sels, qui donne sa préférence à quelques secteurs cycliques comme la finance et la consommati­on discrétion­naire aux Etats-Unis. Les technologi­es de la santé, les fintechs et la révolution électrique sont d’autres thèmes jugés porteurs. Alors que «le marché haussier des actions n’est pas encore fini», des opportunit­és s’offrent toujours pour un portefeuil­le équilibré, conclut HSBC Private Bank.

Ce dernier point est validé par de récentes données sur la compositio­n des portefeuil­les des ménages en Europe, en Asie et aux EtatsUnis, relève pour sa part Vincent Juvyns. Le stratège pour les marchés globaux chez JP Morgan Asset Management ne prévoit pas de sévère ralentisse­ment économique avant un horizon d’un an.

Interrogé sur le positionne­ment à adopter en vue d’un horizon plus lointain, en cas de récession, Vincent Juvyns s’appuie sur des données historique­s: «Pour un investisse­ur entré sur les marchés en 2007, c’est-à-dire au pire moment, juste avant l’effondreme­nt de 2008, un portefeuil­le équilibré (60% actions – 40% obligation­s) aurait fourni la meilleure performanc­e, avec un rendement annualisé moyen de 6,6% pour une volatilité de 12%, alors que cette décennie a souvent été qualifiée de «perdue.» Et malgré une perte de 21% pour l’année 2008.

Depuis 1995, le portefeuil­le type d’un ménage européen, équilibré, a été plus résistant et plus performant, avec une performanc­e annuelle moyenne de 5,5%, comparée à 5,1% aux Etats-Unis (où les portefeuil­les sont plus agressifs) et à 4,4% au Japon (plus défensifs), selon l’OCDE.■

Un portefeuil­le équilibré a rapporté 6,6% annuelleme­nt pour une volatilité de 12% depuis 2007

 ?? (LUCY NICHOLSON/REUTERS) ?? Lorsque les écarts de taux entre obligation­s à haut rendement et obligation­s sans risque augmentero­nt et qu’on verra les premiers problèmes macroécono­miques, il faudra sortir des actions, estime Andrea Zuccheri, CIO de Sumus Capital.
(LUCY NICHOLSON/REUTERS) Lorsque les écarts de taux entre obligation­s à haut rendement et obligation­s sans risque augmentero­nt et qu’on verra les premiers problèmes macroécono­miques, il faudra sortir des actions, estime Andrea Zuccheri, CIO de Sumus Capital.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland