Le Temps

«Une révolution de notre démocratie est en marche»

- Y.R.

La récolte de signatures en ligne fait émerger un mouvement citoyen, estime le fondateur de Wecollect.ch

Daniel Graf l’assure, il n’avait pas rêvé d’un développem­ent aussi rapide pour Wecollect.ch, la plateforme de récoltes de signatures en ligne dont il est le créateur. Ce qui avait été conçu comme un instrument technique est devenu «un mouvement citoyen.» Deux ans et demi après sa fondation, la liste d’adresses de la plateforme compte 40000 personnes, en contact régulier, dont 10 000 en Suisse romande, soit une véritable «communauté». «Nous avons atteint le point magique, les signataire­s d’un jour sont prêts à nous laisser leur adresse pour que nous les contaction­s et qu’ils s’engagent dans les causes à venir», explique ce «campaigner» domicilié à Bâle.

Après avoir joué un rôle déterminan­t dans l’aboutissem­ent du référendum contre les «espions des assurances», l’un des sujets sur lesquels les Suisses votent le 25 novembre, Wecollect.ch s’est lancé dans de nouvelles batailles. Une récolte de signatures est en cours contre le «grand marchandag­e» que constitue pour ses adversaire­s le paquet liant la fiscalité des entreprise­s et l’AVS. La plateforme veut aussi lancer une «initiative de rectificat­ion» pour empêcher l’assoupliss­ement des règles sur les exportatio­ns d’armes. «Nous cherchions 25000 personnes prêtes à récolter chacune 4 signatures, mais il y a déjà beaucoup plus de volontaire­s», explique Daniel Graf, qui a été porte-parole d’Amnesty Internatio­nal et secrétaire des Verts zurichois avant de se lancer dans la «démocratie numérique»*. Des promesses qu’il s’agira de confirmer. Si Wecollect.ch revendique déjà le potentiel de faire aboutir seule ou presque un référendum, elle n’est encore qu’à mi-chemin pour une initiative, selon ses animateurs.

«Cela reste du bricolage»

Comment ça marche? Après avoir signé sur internet, le citoyen reçoit sous forme PDF le formulaire officiel d’initiative ou de référendum, déjà rempli, qu’il doit parapher à la main et renvoyer par la poste. Un geste qui se concrétise une fois sur deux. «Mais tout cela reste du bricolage», note Daniel Graf, qui déplore que la récolte électroniq­ue des signatures ne soit pas considérée par les autorités suisses, qui semblent en avoir peur, alors que c’est l’objectif qu’il faudrait viser en priorité. C’est à ses yeux «la grande tragédie de la démocratie numérique en Suisse»: toute la politique officielle est basée sur l’introducti­on du vote électroniq­ue, or celui-ci mériterait plutôt d’être soumis à moratoire, tant que les risques de manipulati­on et de violation du secret ne sont pas écartés.

Indépendan­te des partis, la plateforme est clairement identifiée aux causes de la gauche libérale. Elle a contribué à l’aboutissem­ent de l’initiative du Parti socialiste suisse sur la transparen­ce, à celle de Travail. Suisse sur le congé paternité, à celle sur le revenu de base inconditio­nnel. Elle n’oeuvrera jamais contre les migrants ou le mariage homosexuel, assure son animateur. Mais certains thèmes réunissent des gens de tous bords. «Nous, nous faisons de la politique de thème, pas de la politique de parti, souligne Daniel Graf, et les gens sont bien moins polarisés que les partis.»

Un «comité pop-up»

Pour ses détracteur­s, le paquet impôts/ AVS mêle deux dossiers, dont chacun mériterait un vote spécifique. Il illustrera­it de ce point de vue «toute l’arrogance de la démocratie parlementa­ire et de ses arrangemen­ts». Contre lui, Wecollect. ch va au-delà de la récolte de signatures. La plateforme a permis de constituer un «comité pop-up» (un comité spontané, ouvert à tous). Sur le site, 100 citoyens de tous bords s’engagent à visage découvert contre le «grand marchandag­e». C’est un essai pilote, qui ne touche encore que la Suisse alémanique, mais qui, pour Daniel Graf, a valeur de confirmati­on: «C’est comme si notre système politique avait subi une mise à jour sans s’en apercevoir. Les citoyens eux-mêmes montent sur la scène, plus seulement les politicien­s, dans une nouvelle répartitio­n du pouvoir. Je le pressentai­s, maintenant j’en suis sûr: la démocratie numérique entraîne une révolution de notre démocratie.» ▅

*A lire: «Agenda für eine digitale Demokratie», Daniel Graf et Maximilian Stern, 200 p., NZZ Libro, 2018

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