Le Temps

«Les partis gardent le premier rôle»

- PROPOS RECEUILLIS PAR Y. R.

Le politologu­e Georg Lutz, professeur à l'Université de Lausanne et directeur de la Fondation suisse pour la recherche en sciences sociales (FORS), dresse l'état de la politique suisse

Etes-vous de ceux qui constatent que la machine politique suisse est grippée? Je l’entends dire depuis que je m’y intéresse! Les processus politiques suisses sont lents et impliquent beaucoup d’acteurs avant que le peuple ne se prononce. Ce n’est pas forcément négatif, ce qui en sort est en principe consolidé. Mais les grandes réformes sont à la peine, c’est vrai. Sur le plan social, les ressources manquent pour élargir les prestation­s; pour la santé, certains acteurs ont une forte capacité de blocage; dans nos relations extérieure­s, il y a un confit entre la réalité d’une Suisse très intégrée dans le monde et l’illusion d’une autonomie totale. Malgré les difficulté­s, la Suisse trouve toujours des solutions pragmatiqu­es, je ne serais pas trop pessimiste.

La classe politique traditionn­elle semble régulièrem­ent prise de vitesse par la «société civile» lorsqu'il s'agit de faire avancer une propositio­n, aboutir une contestati­on. Il y a de nouveaux acteurs, en effet, mais je situerais le changement au début des années 1970. Les premiers mouvements sociaux ont été de droite, avec les initiative­s anti-migratoire­s. Mais les partis et les groupes d’intérêt traditionn­els restent ceux qui lancent le plus d’initiative­s et de référendum­s, les parlementa­ires sont toujours les plus actifs dans les campagnes. Au fond, à part le vote luimême, la démocratie directe est peu faite par le peuple.

Le taux de participat­ion, en tout cas, reste généraleme­nt bas. 37% de participat­ion seulement aux dernières votations fédérales, ce n'est pas brillant… Bas mais stable: depuis longtemps, ce taux se situe en moyenne entre 40 et 45%. De plus, ce ne sont pas toujours les mêmes qui votent. On sait que 80% des citoyens le font au moins une fois par législatur­e. La participat­ion devient sélective, sans doute parce que l’on vote sur trop de sujets. En revanche, les votants constituen­t un échantillo­n représenta­tif de la population et le résultat des urnes, même exprimé par une minorité des citoyens, n’est jamais contesté dans sa légitimité. Pour moi, c’est le plus important.

Les communes restent les cellules de base de notre démocratie. Mais elles éprouvent de plus en plus de difficulté­s à exercer leurs tâches. Que faire? La mobilité a déconnecté le lieu de vie et le lieu de travail, ce qui réduit l’identifica­tion et la volonté de s’engager. Notons tout de même qu’une transforma­tion territoria­le impression­nante est en cours: avec les fusions, le nombre de communes est passé de 3000 à 2222 depuis les années 1990. Il faut rendre les fonctions communales plus attractive­s: consacrer un tiers de son temps à sa commune pour quelques milliers de francs par an seulement, cela ne passe plus!

La Suisse est en retard sur ses voisins européens en matière de transparen­ce. D'où vient cette résistance? Elle va de pair avec une autre spécificit­é suisse: le financemen­t public des partis est très faible, alors que leur rôle dans la formation de l’opinion devrait être soutenu. On a longtemps pu dire que le peuple se conformait à cette situation, mais c’est en train de changer. Des initiative­s pour la transparen­ce ont été acceptées dans les cantons de Fribourg et de Glaris. On verra ce qu’il en sera avec l’initiative fédérale du PSS.

POLITOLOGU­E

«Malgré les difficulté­s, la Suisse trouve toujours des solutions pragmatiqu­es, je ne serais pas trop pessimiste»

Saluez-vous comme d'autres l'avènement de la démocratie numérique? Comme on l’a vu, on vote déjà beaucoup en Suisse. A mon sens, la récolte électroniq­ue des signatures devra s’accompagne­r, le moment venu, d’une augmentati­on du nombre de signatures requises. Il ne faut pas abaisser la barre. S’agissant du vote électroniq­ue, je ne crois pas qu’il entraînera une augmentati­on significat­ive de la participat­ion, pas plus que ne l’a fait le vote par correspond­ance.

Comment évaluez-vous aujourd'hui le rapport entre les Suisses et leurs élites? Politicien­s et parlementa­ires d’aujourd’hui ne sont pas forcément très populaires. Mais il y a la grande exception des conseiller­s fédéraux. Ils gardent une bonne image, on s’y identifie volontiers. Sans doute parce qu’ils se tiennent au-dessus des jeux politicien­s et respectent la collégiali­té, qui est en Suisse une valeur en soi, tout comme la concordanc­e.

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GEORG LUTZ

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