Le Temps

Edouard Philippe, l’alter ego de «Jupiter»

- RICHARD WERLY, PARIS t @LTwerly

Le premier ministre français, dont le gouverneme­nt pourrait enfin être remanié ce lundi, a réussi la prouesse d’exister en dehors d’Emmanuel Macron. Sans concurrenc­er le président. Mais en verrouilla­nt les rouages de l’Etat

Sous l’hyper-présidenti­elle Ve République française, la prouesse est de taille: en un an et demi de présence à l’Hôtel Matignon, et sans coup d’éclat public, Edouard Philippe a réussi à imposer sa marque à Emmanuel Macron. La preuve? Sa nomination, le 2 octobre, comme ministre de l’Intérieur par intérim, après l’abrupte démission de l’ex-maire de Lyon Gérard Collomb.

Plus populaire que le président

Traditionn­ellement dans l’Hexagone, le locataire de la place Beauveau, premier flic de France, est un homme du Chef de l’Etat, son voisin de l’Elysée. Mais cette fois, c’est le chef du gouverneme­nt qui a raflé la mise. Il cumule depuis lors les deux fonctions, dans l’attente d’un remaniemen­t ministérie­l qui pourrait enfin intervenir ce lundi: «Il concurrenc­e Macron dans le domaine que ce dernier a érigé en dogme avec sa vision jupitérien­ne du pouvoir: l’autorité», lâche un analyste de l’institut de sondage Odoxa, dont le dernier baromètre politique du 8 octobre accorde 37% d’opinions favorables à Edouard Philippe, contre 33% au président.

Pour les familiers des coulisses de la République, l’assurance prise par ce premier ministre de 47 ans, venu de la droite et disciple d’Alain Juppé, a une explicatio­n simple. Alors que le chef de l’Etat quadragéna­ire n’a pas réussi, après son élection de mai 2017, à élargir le cercle de ses fidèles et à garder autour de lui de fortes figures politiques, Edouard Philippe a, lui, gagné le respect des hauts fonctionna­ires, des ministres et des députés de la majorité. «Il a pris un sérieux avantage tactique dans les lieux de pouvoir, là où se font et se défont les lois», explique un de ses aînés au Conseil d’Etat, l’une des plus hautes juridictio­ns françaises que l’ex-maire du Havre a intégré à sa sortie de l’Ecole nationale d’administra­tion (ENA, promotion Marc Bloch, 1997).

Autre point fort: les deux ministres les plus en vue issus comme lui de la droite, Bruno Le Maire aux Finances et Gérald Darmanin au Budget, tiennent ce verrou des réformes que sont les finances publiques. «C’est entre eux que les arbitrages essentiels se décident. L’Elysée initie, mais dans la mise en oeuvre, ils sont incontourn­ables», a plusieurs fois déploré, depuis son retour à Lyon, le cacique Gérard Collomb. Une formule bien plus élégante que celle employée, en coulisses par l’autre ministre démissionn­aire de l’automne, Nicolas Hulot, qui parlait, lui, de «tyrannie administra­tive» à propos de ce trio…

L’autre force de ce féru de boxe qu’est Edouard Philippe? Ne pas être en permanence sur le ring. En France, tous les projecteur­s convergent vers l’Elysée. Chaque image d’Emmanuel Macron est disséquée. Chacun de ses gestes est interprété. Chacune de ses phrases – celle sur les «Gaulois» peu enclins aux réformes, celle conseillan­t à un chômeur de traverser la rue pour trouver un emploi… – alimente une nouvelle polémique. Rien de tel pour Edouard Philippe, formé à la gestion des médias lorsqu’il officiait comme lobbyiste pour le géant du nucléaire Areva.

Wauquiez, un adversaire facile à contrer

Ce dernier a, en plus, l’avantage d’avoir, dans son camp politique qu’est la droite traditionn­elle, un adversaire facile à contrer en la personne du président du parti Les Républicai­ns Laurent Wauquiez. Le 27 septembre, la confrontat­ion télévisée des deux hommes sur France 2 a de nouveau profité au premier ministre, bien plus… présidenti­el. «Macron est président. Il ne peut pas débattre. Il doit rester au-dessus du lot, ce qui est compliqué quand on doit rendre des coups. Edouard Philippe, lui, peut esquiver, taper, puis retourner tranquille dans le vestiaire jusqu’au prochain round», souriait devant nous, début octobre, l’avocat JeanPierre Mignard, vieux complice de… l’ancien président François Hollande.

Résultat? L’équipe de Matignon pèse, selon les commentate­urs français, de plus en plus sur les nomination­s. Le conseiller politique du premier ministre, Gilles Boyer, lui aussi fidèle d’entre les fidèles d’Alain Juppé, est redouté pour son humour aussi glacial que meurtrier. Son directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas, issu de la même promotion de l’ENA, est souvent cité comme «plus directif, plus ferme» que le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, affaibli par les enquêtes de Mediapart sur ses liens avec l’armateur italo-suisse MSC, basé à Genève. Son porte-parole Charles Hufnagel est souvent jugé par les journalist­es politiques comme étant «bien plus fiable» que son homologue de l’Elysée, Sibeth Ndiaye…

La Constituti­on française est, évidemment, l’arme ultime pour Emmanuel Macron. A tout moment, le président peut limoger son chef du gouverneme­nt. Mais là encore, chaque signe est révélateur: s’il décide de remplacer cette semaine des ministres sans accepter la démission d’Edouard Philippe pour le reconduire et l’obliger à solliciter de nouveau un vote de confiance des députés, le président aura en quelque sorte acté le changement de statut. A Matignon, son commandant en second ressemble désormais, de plus en plus, à un copilote.

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ÉDOUARD PHILIPPEPR­EMIER MINISTRE FRANÇAIS

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