La migration, à prendre au sérieux
«Contrairement à ce que certains disent, nous ne sommes pas aujourd’hui confrontés à une vague d’immigration. Le sujet de l’immigration ne devrait donc pas inquiéter la population française», expliquait récemment le président de la République française, Emmanuel Macron. Cette déclaration est révélatrice de l’état d’esprit régnant non seulement chez notre voisin français mais également dans certains pays d’Europe, y compris en Suisse. La crédibilité de la politique migratoire est en jeu. Celle-ci est liée à des risques évidents si des solutions ne sont pas rapidement trouvées.
L’Union européenne (UE) et la Suisse accordent une protection à celles et ceux qui en ont besoin conformément à la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Or, une grande majorité des migrants qui arrivent sur les côtes espagnoles, par exemple, provient de pays d’Afrique de l’Ouest (Guinée, Mali, Côte d’Ivoire. Gambie, Sénégal, etc.) et du Maroc. Ceux-ci fuient la misère de leur pays. Il s’agit de migrants économiques qui ne risquent aucune persécution étatique en cas de retour dans leur pays.
Si la population suisse peut parfaitement comprendre que les Syriennes et Syriens trouvent refuge en Suisse alors que la guerre ravage leur pays, l’incompréhension surgit lorsqu’il est impossible de renvoyer des ressortissants d’Afrique du Nord, notamment Algériens, ou des radicalisés vers le Moyen-Orient. Soit parce que leur pays d’origine ne coopère pas (Algérie, Afghanistan, Erythrée, etc.), soit parce que notre système protège celles et ceux qui mettent en danger notre pays. Dans un autre domaine, des ONG critiquent les renvois Dublin vers l’Italie. Les conditions dans ce pays ne seraient soi-disant pas réunies pour les recevoir dignement. En Italie? Comment expliquer qu’un renvoi dans ce pays entraînerait une violation des droits de l’homme?
Face à ces décisions qui restent lettre morte ou à ces appréciations juridiques plus que discutables, comment blâmer nos compatriotes qui vont chercher les réponses à des questions complexes vers les extrêmes? Dans ces conditions, ce sont des solutions à court terme et ne traitant pas le fond du problème qui l’emportent, comme l’interdiction faite aux navires d’ONG d’accoster en Italie. Bien que contestable humainement, le fait est que les arrivées de migrants en Italie ont fortement diminué, voire presque complètement cessé au départ de la Libye. Les migrants restés bloqués en Afrique vont chercher une autre voie pour se rendre en Europe. Ainsi, ce genre de mesure, certes très populaire, ne constitue qu’une aspirine contre le mal de tête. Elle soulage mais ne fait pas disparaître le mal profond.
La migration démontre que les grands défis de notre temps ne peuvent être résolus de manière isolée, mais uniquement au niveau européen
Il s’agit de ne pas baisser la garde. Il faut agir premièrement en amont, afin de combattre toute forme de pauvreté en renforçant les économies des pays dont vient le plus grand nombre de migrants. Ainsi, le conseiller fédéral Ignazio Cassis a mille fois raison de réorienter les actions de la Direction du développement et de la coopération (DDC) vers une plus grande sensibilité à la migration. Pourquoi ne pas faire d’une pierre deux coups: aider les pays à se développer en ciblant ceux qui sont à l’origine de la migration? Hormis l’aide au développement, les investissements du secteur privé doivent être encouragés. Ainsi, l’initiative du conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann de voyager en Côte d’Ivoire et au Nigeria avec une délégation économique constitue également une possibilité de renforcer le développement économique des pays d’origine des migrants, sans intervention de l’Etat si ce n’est par une incitation politique.
Il faut également agir en aval en exigeant encore plus d’efforts du Conseil fédéral, afin que les pays d’origine reprennent leurs propres ressortissants. Il n’existe pour l’heure pas encore de réelle volonté politique. La lutte contre les migrants économiques ne doit cependant pas se faire au détriment des réfugiés qui nécessitent une protection selon la Convention de Genève de 1951. Il est essentiel que la Suisse préserve sa tradition humanitaire.
Il convient cependant de ne pas rejeter d’un revers de main toute solution innovatrice. Ainsi, l’UE étudie actuellement la possibilité de créer des plateformes de débarquement dans des pays tiers. En résumé, la migration est un phénomène qui a modifié notre société et qui va continuer à le faire dans les prochaines années. Les craintes des Suissesses et des Suisses ne doivent pas être sous-estimées. La migration démontre clairement que les grands défis de notre temps ne peuvent être résolus de manière isolée, mais uniquement au niveau européen. Ainsi, dans la limite de la neutralité, la Suisse devrait coopérer plus activement dans ces domaines avec les Etats européens, notamment avec ses voisins.
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