«Breitling a trop de potentiel pour douter»
HORLOGERIE Georges Kern, patron de la marque horlogère de Granges (SO), assure qu’il sera à Bâle en 2019 mais s’interroge pour 2020. Entré en fonction il y a un peu plus d’un an, il assure que Breitling possède tant de poches de croissance qu’il n’a jamai
Une véritable hémorragie. Chaque semaine ou presque, une nouvelle marque horlogère annonce qu’elle quitte la foire de Bâle. Après Swatch Group au milieu de l’été, Raymond Weil puis Corum ont fait défection cet automne. Des marques de taille modeste, certes, mais qui occupent des places de choix au rez-de-chaussée de la hall principale de Baselworld.
C’est aussi dans cet espace que se trouve Breitling. La marque rachetée l’an dernier par le fonds d’investissement CVC à la famille Schneider y détient un stand imposant, sur plusieurs étages. Le directeur général, Georges Kern, entré en fonction il y a un peu plus d’une année, assure qu’il y sera présent en 2019 mais qu’il s’agira d’une année «charnière».
Est-ce que vous participerez à la foire de Bâle en 2019? Oui. C’est une année un peu particulière, car notre stand sera resté en place. Baselworld 2019 sera donc substantiellement moins coûteux que lorsque Breitling devait tout démonter puis remonter; nous allons économiser un peu plus de 2 millions de francs.
On a l’impression que le stand Breitling sera passablement esseulé… Comme Swatch Group ne sera plus devant nous, j’aurai une vue extraordinaire! L’horizon sera complètement dégagé et je pourrai admirer les jardins que les organisateurs veulent mettre en place. Ce sera comme avoir une vue imprenable sur Central Park, génial! Quid de 2020? C’est la grande question. Je n’ai pas encore vu le nouveau concept qui sera mis en place pour 2020. Le problème stratégique reste le positionnement des foires en général: est-ce que nous avons aujourd’hui besoin d’une plateforme de vente ou d’une plateforme de communication. Et ceci dans un contexte de mobilité et de transparence du marché où tout est visible avec simplement une touche sur un écran. Et est-ce que Baselworld pourra devenir une vraie entité de service aux marques et non pas seulement un loueur de surfaces? Finalement, est ce que l’hôtellerie et la restauration de Bâle deviendront plus qualitatifs et compétitifs afin que les invités aient vraiment envie de venir?
Qu’attendez-vous exactement de ces foires et de ces salons horlogers? En fait, je crains que le concept des foires comme elles existent aujourd’hui ne soit dépassé. Un exemple: le 22 octobre, nous allons lancer une nouvelle collection à Londres et tester un nouveau format de présentation au public, à la presse et aux influenceurs. Sans rien dévoiler, je peux simplement vous encourager à étudier ce que fait, par exemple, l’industrie électronique. Une keynote d’Apple dure une heure et le monde entier est immédiatement au courant des nouveautés. Toute cette transparence existe grâce au numérique, à cette communication instantanée qui n’existait pas il y a quinze ans. Cela correspond aux besoins et aux habitudes d’aujourd’hui.
Le numérique suffit-il pour avoir accès aux clients? Bien sûr que non, mais cela va plus vite et c’est plus économique. Même si cela ne m’empêche pas de voir mes clients, bien au contraire. Vous savez, le monde a tellement changé que, dans la situation actuelle, les foires ont de la peine à répondre aux besoins commerciaux et à une communication moderne des marques. Si le concept devait évoluer vers une vraie plateforme de communication de courte durée et moins coûteuse, et si l’on y ajoutait une dimension commerciale, cela pourrait devenir intéressant. Mais, pour cela, il faudrait beaucoup de courage et un consensus entre les exposants. Et bien entendu, surmonter bien des ego…
Pour Baselworld, mission impossible? Je dirais simplement: bonne chance!
Vous êtes très actif sur Instagram, via votre compte personnel. Récemment, vous avez dépassé les 30 000 followers et vous avez écrit «je me suis laissé dire qu’avec 30’000 followers, on devenait un «réel» influenceur». Etes-vous un influenceur? Je joue probablement un certain rôle d’ambassadeur. De nombreux détaillants, collectionneurs ou consommateurs me suivent. Je remarque que, lorsque je poste une photo avec une montre, les détaillants utilisent ce post pour dire «regardez, la montre vient d’être postée par Monsieur Kern». Du coup, j’ai des détaillants qui me demandent de poster telle ou telle montre pour pousser tel ou tel produit… Mais je vous rassure, mon Instagram est personnel et je ne publie que ce qui me fait plaisir.
Parlons de Breitling. L’an dernier, «Le Temps» estimait que vous tourniez autour des 450 millions de francs de chiffre d’affaires par an pour 145 000 pièces vendues. Comment ont évolué les affaires? Je ne donnerai pas de chiffres, mais tout fonctionne très bien. Nous avons un peu de chance car, au milieu du processus de transformation que nous sommes en train d’appliquer à la marque, le marché nous pousse. Nous avons arrêté les parallélistes [ndlr: revendeur sur le marché gris], nous avons réduit la distribution, amélioré le produit… Tout cela coûte de l’argent, mais le marché est porteur.
«Je crains que le concept des foires comme elles existent aujourd’hui ne soit dépassé»
Vous étiez quasiment absent en Asie et vous y avez ouvert plusieurs points de vente ces derniers mois. C’est donc naturel qu’il y ait une certaine croissance… Oui, l’Asie se développe fortement et nous y vivons une très grosse croissance. Mais il est vrai que nous partions de niveaux très modestes. Il n’empêche: cela nous apporte beaucoup d’oxygène. Sur les autres marchés comme les Etats-Unis, l’Angleterre ou le Japon, nos pays traditionnels, cela fonctionne très bien aussi. Nous accélérons donc pour être prêt quand le marché ralentira à nouveau.
En une année, n’avez-vous jamais douté de votre réussite? Non. Breitling a trop de potentiel, trop de poches de croissance pour que l’on doute. Que cela soit dans le produit, le marketing, la distribution, l’équipe que l’on a mise en place… Rappelez-vous: nous n’étions pas en Asie, nous n’avions pas un seul modèle pour femme, nous ne faisions que des montres liées à l’aviation… C’est comme si nous étions un constructeur automobile qui ne faisait que des 4X4! Alors même si l’on découvre que l’une des poches de croissance ne fonctionne pas, nous pouvons toujours passer à la suivante.
Avez-vous tout de même commis des erreurs que vous regrettez? Oui, mais
je ne vous dirai pas lesquelles. Il s’agit d’erreurs émotionnelles, par rapport à la marque. J’ai fait venir des gens de toute l’industrie, de Chopard, de Jaeger-Lecoultre, d’Audemars Piguet… Et tout le monde vient avec un passé différent mais doit maintenant rentrer dans le corps et le coeur de Breitling. De fait, de temps en temps, dans l’exécution, il y a des choses que l’on aurait dû faire différemment, mais pas de grosses bêtises.
Certains affirment que les clients regrettent le vieux logo de Breitling. Etait-ce une erreur de couper les ailes de votre «B»? Non. C’est surtout une fausse information. Ce que nous avons fait, c’est simplement remettre à jour le logo «corporate» pour revenir à celui de nos origines. En effet nous produisons – avec beaucoup de succès – bien d’autres produits que des montres d’aviateur. Nos montres de plongée (par exemple, la SuperOcean Heritage) représentent près de 40% de notre chiffre d’affaires. Il faut donc un logo générique. En réalité, nous n’avons quasiment rien changé en termes de logos sur nos montres et maintenons bien entendu nos ailes sur les produits de sport et d’aviation moderne notamment. Bref, il y a un peu de confusion dans les débats à ce sujet.
Où en êtes-vous de l’intégration de la distribution? En début d’année, Breitling comptait 800 employés dont 400 en Suisse. Et aujourd’hui? Toujours pareil. Et pourtant, nous avons intégré les marchés allemand, hollandais, espagnol et une grande partie de l’Asie. Nous avons également ouvert une filiale à Dubaï et une autre à Miami pour couvrir les Caraïbes et les pays d’Amérique du Sud. Et, dans les semaines à venir, nous allons encore poursuivre ce mouvement. Je ne connais aucune marque qui, à ce niveau de chiffre d’affaires, ne contrôle pas sa distribution. Quand vous réalisez de gros investissements dans la marque, il faut avoir l’emprise directe sur les marchés.
Certains détaillants se plaignent du trop gros stock qu’ils sont en train d’accumuler. N’êtes-vous pas en train de trop miser sur le sell-in [ndlr: vente aux détaillants] plutôt que sur le sellout [ndlr: vente au client final]? Dans toutes les industries du monde, il y a des nouveautés qui remplacent des produits vieillissants pour assurer un bon développement de la marque. Breitling connaît une phase de transition et nous avons commencé à reprendre du stock qui ne se trouve plus dans la collection, notamment en Australie, en France et en Suisse. D’autres pays vont suivre et nous travaillons main dans la main avec nos partenaires.
▅