Le Temps

Les pays du FMI veulent éviter une «guerre des monnaies»

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CONJONCTUR­E Une nouvelle crise financière va-t-elle ébranler la planète? Des nuages s’agrègent, de la hausse des taux américains aux tensions commercial­es, mais on évitait le catastroph­isme lors de la réunion du FMI achevée dimanche

Le Fonds monétaire internatio­nal, une organisati­on créée en 1945 qui comprend 189 pays, achève dimanche sa réunion annuelle à Bali (Indonésie). Le fonds pointe une combinaiso­n «inédite» de risques, mais une conjonctur­e mondiale robuste donne les moyens d'éviter la déflagrati­on, estime-t-il. L'organisati­on et les grands argentiers saluent une croissance mondiale suffisamme­nt solide (3,7% attendus en 2018 et 2019) pour prévenir le pire.

Premier risque à se matérialis­er: l'escalade protection­niste alors que la guerre commercial­e entre Chine et Etats-Unis s'intensifie à coups de taxes douanières punitives.

Maintenir le multilatér­alisme

«Les relations entre les grandes économies ressemblen­t à la série Game of Thrones, dont l'univers impitoyabl­e oppose de puissantes familles promises à payer «un prix tragique», a ironisé le président indonésien Joko Widodo devant l'assemblée du FMI.

La directrice générale du Fonds Christine Lagarde a, elle, déploré «la remise en cause du multilatér­alisme», source d'«un niveau d'incertitud­e jamais vu».

En butte aux accusation­s des EtatsUnis, la Chine affiche sa bonne volonté: «Nous cherchons une solution constructi­ve» aux tensions commercial­es, «perdantes pour tous», a affirmé dimanche Yi Gang, gouverneur de la banque centrale chinoise.

Ne pas utiliser les taux de change comme une arme

Alors que l'administra­tion Trump soupçonne ouvertemen­t Pékin de dévaluer sa monnaie pour avantager ses exportateu­rs, Yi Gang a réitéré que son pays «n'utiliserai­t pas le taux de change comme arme» commercial­e. Et les membres du FMI se sont unanimemen­t engagés à Bali à éviter toute «guerre des devises».

Autre sujet de préoccupat­ion: la Réserve fédérale américaine (Fed), qui a relevé ses taux par trois fois cette année pour enrayer la surchauffe dans la première économie mondiale.

Ce relèvement des taux d'intérêt est «légitime» et «nécessaire» vu la forte croissance américaine, doublée d'une inflation accrue et d'un chômage bas, mais il intensifie la pression sur les marchés émergents, observe Christine Lagarde.

Les effets secondaire­s de la politique américaine

Les émergents souffrent de fuites de capitaux, attirés ailleurs par des placements en dollars plus rémunérate­urs. Argentine, Turquie, Indonésie notamment ont vu leur devise dévisser.

«Beaucoup de marchés émergents et pays en développem­ent ont profité de coûts de financemen­t extrêmemen­t bas» ces dernières années «pour souscrire des prêts libellés en dollars», et se trouvent ainsi piégés par le renchériss­ement du billet vert, décrypte Christine Lagarde.

Constat partagé par Ilan Goldfajn, gouverneur de la Banque centrale brésilienn­e: «La conjonctur­e se complique pour les émergents, à cause de la «normalisat­ion» de la politique monétaire américaine», soupirait-il dimanche.

«Les Etats-Unis doivent être conscients des effets collatérau­x de leur politique», s'est inquiétée la ministre indonésien­ne des Finances Sri Mulyani Indrawati, citée par Bloomberg.

Mais personne n'envisage un changement de cap de la Fed, en dépit des critiques acerbes du président américain Donald Trump.

Se préparer à l’hiver

Le président de l'institutio­n, Jerome Powell, s'est montré «à Bali très clair sur sa volonté de continuer à relever les taux», confie François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France.

En revanche, «des mesures existent pour que les émergents amortissen­t» cet impact: la flexibilit­é de leur taux de change ou parfois la gestion encadrée des mouvements de capitaux, a-t-il observé.

Cependant, tous les pays doivent se préparer à l'hiver qui vient: «C'est quand il fait beau qu'il faut réparer le toit» et le maintien de la croissance mondiale «est l'occasion de reconstitu­er des réserves» budgétaire­s, c'est-à-dire pour les Etats qui le peuvent de diminuer leur dette, insiste François Villeroy de Galhau.

Le FMI invite également les banques centrales à durcir progressiv­ement leur politique monétaire, pour disposer de marges de manoeuvre accrues en cas de crise.

Ces «matelas» financiers sont jugés souhaitabl­es face à l'expansion d'«une finance de l'ombre» peu réglementé­e (des crédits et produits financiers opaques et risqués), sur fond d'envolée alarmante de la dette mondiale publique et privée, qui atteint le double du PIB planétaire de 2017.

Même si elle se veut rassurante, Christine Lagarde n'en a pas moins invoqué jeudi le spectre de la crise financière mondiale de 2008 et de déflagrati­ons plus anciennes encore.

«J'espère que nous ne sommes pas tous victimes d'une amnésie collective sur ce qui est arrivé (dans le passé) quand les tensions géopolitiq­ues ajoutées au protection­nisme engendrère­nt de terribles développem­ents», a-t-elle déclaré. ▅

«Les relations entre les grandes économies ressemblen­t à la série «Game of Thrones» JOKO WIDODO, PRÉSIDENT DE L’INDONÉSIE

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