La bonne étoile de Julie Martin du Theil
Appelée à remplacer dans l’urgence Hanna-Elisabeth Müller à la Scala de Milan dans le rôle-titre de la «Finta giardiniera» de Mozart, la jeune soprano genevoise a réalisé un exploit et gagné la reconnaissance internationale. Une belle aventure
Tous les chanteurs en rêvent. Elle l’a vécu. Propulsée par la magie du destin sur le devant de la scène lyrique internationale, Julie Martin du Theil n’en revient toujours pas. «C’est un vrai conte de fées. J’ai traversé ces moments comme sur un nuage, même si j’étais aussi extrêmement tendue par le défi que représentait ce remplacement.»
Quel remplacement? Celui d’Hanna-Elisabeth Müller, prévue pour incarner le personnage de Sandrina. La soprano a essayé de résister à la maladie jusqu’au jour de la première représentation de la Finta giardiniera de Mozart, lundi passé à la Scala.
L’enjeu était de taille puisque le directeur, Alexander Pereira, a programmé l’ouvrage pour la première fois sur la grande scène italienne. Les médias étaient donc sur le feu pour saisir cette nouvelle production mise en scène par Frederic Wake-Walker et dirigée par Diego Fasolis.
En un jour, tout bascule pour la Genevoise. Elle atteint d’un coup la plus haute marche qu’un chanteur d’opéra puisse rêver d’occuper. «La Scala de Milan, dans le rôle-titre d’une production très attendue, lors de la première et devant les caméras de télévision et les micros des radios italiennes et mondiales, jamais je n’aurais pu l’imaginer! Sans parler de l’accueil du public et de l’invitation du directeur à collaborer à l’avenir…»
Des nerfs très solides
Qu’on ne s’y trompe pourtant pas, la belle aventure n’a pas été facile. Elle tient du parcours du combattant. La jeune femme a dû travailler d’arrache-pied et endurer un stress phénoménal concentré sur un temps record. Le hasard joueur, que chacun espère clément, lui a certes souri. Mais Julie Martin du Theil a aussi su lui répondre avec courage, détermination, endurance et ténacité. «J’ai un caractère positif et je n’ai pas peur du risque et des difficultés. Certains renoncent devant une telle pression. Il faut des nerfs très solides. Je reconnais que la situation était dangereuse parce que très rapide et très exposée. Mais j’y ai cru.» Et elle a bien fait.
Reprenons le fil du récit. «Dimanche matin, je suis à Berlin. Mon agent m’appelle pour me demander si je pourrais éventuellement chanter pour la première de la Scala, lundi soir, bien qu’Hanna-Elisabeth Müller espère pouvoir être assez en forme. J’ai déjà endossé ce rôle il y a un an et demi à Magdeburg, où je suis en troupe depuis 2010. Je dis donc oui. A 15h, on m’informe que je dois venir et qu’un avion est réservé pour moi à 19h. J’arrive tard à Milan. Le lundi matin, j’apprends que je suis engagée comme «cover», c’est-à-dire qu’il faut attendre sur place, comme doublure, par sécurité, selon la décision de la chanteuse. Je répète trois heures avec le pianiste pendant la matinée. A 15h, on me dit que la soliste ne chantera pas. Et la représentation est à 20h.» Le stress monte…
Le plus difficile? «Mozart. Avec Verdi ou Puccini, tout est donné, il n’y a qu’à chanter. Mais pour Mozart, c’est compliqué car il y a presque autant de versions que de théâtres, selon les coupures dans les récitatifs. Et je n’ai eu le temps, le matin, que d’annoter la partition dont je disposais. Je ne connais pas mes collègues ni ce qu’il faut faire sur scène. La solution choisie est donc le «play-back»: chanter sur scène, à vue côté cour, pendant qu’Hanna-Elisabeth Müller mime son rôle de façon muette.»
Confiance et «Jump in»
Mais l’histoire ne s’arrête pas là puisqu’il faut que Julie Martin du Theil aborde aussi la mise en scène en costumes pour les deux représentations suivantes. «C’était comme une deuxième prise de rôle, car j’ai dû continuer à apprendre à toute vitesse un travail qui se fait sur des semaines. Mais après la peur, je suis très heureuse d’y être arrivée.»
«C’est une opportunité incroyable, qui est aussi le fruit de la confiance qu’on m’a accordée depuis mes études à Lausanne. Eric Vigié m’y a proposé Zerline dans Don Giovanni. La Fondation Leenaards m’a octroyé une bourse qui m’a considérablement aidée. Karen Stone, la directrice de l’Opéra de Magdeburg, m’a programmée dans de nombreuses productions, ce qui m’a permis de mettre à mon répertoire une quarantaine de rôles. Et d’être appelée en «Jump in» (remplacement de dernière minute) par plusieurs scènes européennes. Avant le miracle de la Scala…»
Une bonne étoile, en quelque sorte? «Oui. Il y a deux mois, on m’a offert un collier avec comme inscription: la bonne étoile. Depuis je ne le quitte plus. J’ai dû l’enlever pour la télévision, mais je l’ai gardé caché dans mon costume.» Que ce porte-bonheur ramène bientôt Julie Martin du Theil dans sa ville natale de Genève, qui ne l’a encore jamais entendue sur la scène du Grand Théâtre.
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