Joël Mesot, directeur du PSI
«La recherche que nous menons est une recherche de longue haleine»
Joël Mesot, si une classe venait en visite au PSI et qu’un élève vous demandait en quoi votre institut est d’une quelconque utilité pour le quotidien de la population, que lui répondriez-vous? La mission première du PSI est de développer, de construire et d’exploiter de grandes installations de recherche. Ce sont des installations si complexe qu’il n’en existe en Suisse qu’au PSI et que, de loin, on n’en trouve pas dans tous les pays. Nous mettons ces installations à disposition des chercheurs des hautes écoles, mais aussi des chercheurs de l’industrie. On a déjà étudié au PSI des produits aussi différents que des pièces automobiles, des batteries, du béton, des piles à combustible, des peintures, du yogourt, des scies sauteuses, des montres de luxe, des médicaments, des satellites, du chocolat et du savon. L’analyse des matériaux a permis aux fabricants d’améliorer leurs produits ou d’en mettre de nouveau sur le marché. On peut donc affirmer qu’il y a un petit peu de PSI dans tous ces produits. Et donc que tous les utilisateurs de ces produits profitent de l’existence du PSI.
En fonction de quels critères des chercheurs internationaux peuvent-ils accéder aux infrastructures du PSI? Est-ce qu’il règne une concurrence sans pitié? Tous les chercheurs qui souhaitent obtenir du temps de mesure pour des expériences doivent faire acte de candidature au PSI, même nos propres collaborateurs. Des comités de sélection qui regroupent des experts du monde entier évaluent ces demandes en fonction de leur qualité scientifique et transmettent ensuite au PSI les noms de ceux qui obtiendront bel et bien du temps de mesure.
La demande dépasse donc l’offre? Oui. Même si nous disposons de 40 stations de mesure auxquelles plusieurs expériences peuvent être menées simultanément, nous n’avons pas suffisamment de temps pour satisfaire toutes les candidatures que nous recevons, et de loin. Nous devons rejeter la moitié, voire les deux tiers des demandes. Chaque année, quelque 1900 expériences sont conduites au PSI. Le temps de mesure au PSI est gratuit pour les chercheurs académiques. Les utilisateurs de l’industrie ont la possibilité d’acheter du temps de mesure pour leur recherche propriétaire dans le cadre d’une procédure particulière.
Dans quelle mesure le PSI se considère-t-il aussi comme une institution d’encouragement pour des start-up? Les projets du PSI peuvent-ils déboucher sur la création d’entreprises commerciales? Il existe actuellement 14 entreprises issues du PSI. Certaines d’entre elles viennent d’être inscrites au registre du commerce, d’autres sont déjà des global players établis. En tant qu’institution mère, nous sommes évidemment très fiers quand nos bébés se voient décerner des prix, comme le Swiss Technology Award que GratXRay a remporté l’année dernière. L’objectif de cette entreprise est de commercialiser un appareil de mammographie complètement nouveau, rien de moins. D’autres entreprises nées de la recherche au PSI sont actives commercialement dans l’analyse d’images médicales, les services pour l’industrie pharmaceutique, les nanostructures, les détecteurs ou encore le test d’équipement spatial.
Existe-t-il aussi à l’étranger des institutions comparables au PSI? Quelles sont celles qui rayonnent le plus? Il y a ailleurs de grandes installations de recherche comme les quatre qu’abrite le PSI, mais elles sont dispersées dans le monde. A l’heure actuelle, il n’existe que quatre installations comparables à notre toute nouvelle installation, le laser à rayons X à électrons libres. Donc là, nous sommes tout devant. Pour le synchrotron, la situation est différente. On en dénombre une cinquantaine dans le monde. Les global players parmi ces installations sont le SLAC@Stanford, le Diamond@ Oxford, le DESY@Hamburg, le Soleil@Paris et, last, but not least, la SLS@Villigen/Würenlingen. Cela veut dire qu’avec la Source de Lumière Suisse SLS, nous figurons parmi les dix meilleurs au monde, mais pas seulement: pour certaines méthodes d’analyse, nous sommes même numéro 1, car il n’y a que chez nous qu’elles sont possibles. Sur d’autres plans également, nous avons une longueur d’avance par rapport à nos concurrents: d’un côté grâce aux liens étroits qui nous unissent à deux hautes écoles de renommée mondiale, l’EPFL et l’ETHZ. De l’autre, parce qu’au PSI, nous avons un avantage: nous offrons toute la chaîne de savoirfaire pour la construction, le développement et l’exploitation de grandes installations de recherche, des accélérateurs aux détecteurs. Enfin, nous avons nos propres projets de recherche ambitieux, dans le cadre desquels nos chercheurs ont un avantage concurrentiel: celui de ne pas avoir besoin de quitter leur institution pour conduire leurs mesures.
Je vous le demande en profane: combien est-ce que cela coûte d’offrir une recherche de pointe aussi exclusive? Ou encore: si une institution comme la vôtre était une entreprise privée, qui contrairement au PSI – un institut fédéral – pouvait faire des bénéfices, est-ce que ce serait une affaire rentable? La recherche qui se fait au PSI est une recherche de longue haleine. Certains projets de recherche durent cinq, dix ans, voire plus, jusqu’à l’obtention d’un résultat susceptible de rendre une innovation possible. Aucune entreprise peut se permettre quelque chose de pareil. Mais il faut aussi rappeler que, fondamentalement, aucun des appareils électroniques d’entreprises connues n’aurait trouvé sa place dans notre quotidien s’il n’avait pas pu être développé sur la base des connaissances obtenues dans le cadre de la recherche fondamentale. Mais il ne faut pas en conclure, à l’inverse, que tous les résultats issus de la recherche fondamentale débouchent sur des innovations. En d’autres termes, d’un point de vue entrepreneurial, la recherche fondamentale est une affaire fastidieuse et extrêmement risquée. Prenons un exemple dans le secteur de la santé, celui du traitement du cancer par protonthérapie. C’est un traitement qui ménage particulièrement l’organisme, car les rayons utilisés déposent leur énergie uniquement dans la tumeur et épargnent au maximum les tissus environnants. Au début des années 1980, des chercheurs au PSI travaillaient avec des accélérateurs et utilisaient les protons accélérés pour leurs propres objectifs de recherche. En parallèle, ils se sont demandé s’il ne serait pas possible de les utiliser aussi pour des objectifs thérapeutiques. Aujourd’hui, la méthode Spot Scan ou Pencil Beam Scanning développée au PSI est considérée comme la méthode standard dans le domaine de la protonthérapie. Quelle entreprise aurait pu s’engager pour si longtemps avec un risque financier pareil?
Encore une question hérétique: la recherche fondamentale est-elle vraiment capable d’être spectaculaire? Pouvez-vous citer un exemple ayant suscité beaucoup d’attention dans les médias? En tant que physicien, bien entendu, je trouve que la recherche fondamentale est toujours spectaculaire! Mais certaines recherches ont aussi fait sensation dans des cercles plus larges de la population. La découverte du boson de Higgs a été l’une d’elles. Au PSI aussi, nous avons vécu une situation intéressante de ce genre. En 2009, nos chercheurs et leurs collègues de Fribourg, Zurich, Munich, Stuttgart, Paris et Coimbra cherchaient à mesurer le rayon du proton. Pendant 13 semaines, ils ont effectué des mesures jour et nuit, sans succès. C’était très déprimant pour eux et ils étaient épuisés. Lors de la dernière nuit qui devait précéder l’interruption du dispositif de mesure, ils se sont dit qu’ils n’avaient plus rien à perdre et ont décidé d’opérer une modification très casse-cou du dispositif de mesure. Or c’est justement ce qui a permis de réaliser enfin la percée qu’ils attendaient tant. Quant au résultat, il était sensationnel, car il montrait que le rayon du proton était nettement plus petit que ce que l’on croyait jusque-là. Ce résultat stupéfiant a valu aux chercheurs de faire la Une de la célèbre revue scientifique Nature, mais pas seulement: le New York Times en a parlé et a illustré cette découverte avec la BD d’un proton aminci qui contemple, médusé, son pantalon désormais trop grand.
L’un des chercheurs du PSI impliqué a d’ailleurs décroché l’an dernier un ESC Grant. Ce sont des subsides très convoités que l’UE attribue chaque année. L’objectif de ce chercheur est de mettre à profit ces 2,2 millions d’euros pour déterminer la répartition du magnétisme dans le proton. Trente ans, c’est sans conteste un bel anniversaire et une raison légitime de passer en revue avec fierté tout ce qui a été atteint. C’est d’ailleurs le propos de ce supplément et de la cérémonie d’anniversaire. Mais pour conserver l’innovation et le rayonnement de toutes ces entreprises, le PSI doit aussi diriger son regard vers l’avenir. A quoi faut-il s’attendre pour les prochaines années? Avec le numérique et d’autres mutations technologiques, dans quelle mesure le travail change-t-il? Chez nous, le numérique est déjà un mot clé important. Prenons la Source de Lumière Suisse dont nous avons déjà parlé. Si nous voulons que dans dix ans elle figure toujours parmi les meilleures du monde, nous devons prendre maintenant certaines mesures. D’ici 2024, nous allons complètement transformer l’équipement de l’installation. Cela implique d’autres notions qui font le buzz, come industrie 4.0, intelligence artificielle ou Internet des objets. Elles deviennent toutes réalité dans ce projet qui a été intégré dans la Feuille de route suisse pour les infrastructures de recherche du Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation. D’un autre côté, nous avons dernièrement contribué avec notre recherche à ce que l’avènement du numérique ne soit pas synonyme de perte en termes de qualité et de sécurité. Les producteurs connus développent peut-être leurs puces informatiques dans leur pays, mais ces dernières sont probablement produites ailleurs. Alors, comment savoir si la puce inclut vraiment tout ce qu’on a commandé? Et comment s’assurer qu’elle n’inclut pas quelque chose qu’on n’a pas commandé? Pour le savoir, il faudrait pouvoir la scruter à l’intérieur. Jusqu’ici, cela supposait de la détruire et, chaque fois qu’on le faisait, de perdre aussi une partie des informations. L’an dernier, nous avons utilisé pour la première fois un nouvel appareil à la SLS afin de scruter l’intérieur d’une portion de puce informatique, sans avoir à la détruire. Nous parlons ici de structures de câbles électriques d’une largeur de 45 nanomètres et de transistors d’une hauteur de 34 nanomètres. Nous sommes donc dans l’ordre du millionième de millimètre. Une fois que nous aurons fait évoluer cette méthode de sorte qu’elle permette d’étudier des micropuces entières moyennant un temps de mesure acceptable, ce sera certainement intéressant pour l’industrie à bien des points de vue.
S’il ne vous restait que trois voeux pour l’avenir du PSI, Joël Mesot, quels seraient-ils? Hmm, je les formulerais sous forme de toast: puisse le PSI continuer à réunir des collaboratrices et collaborateurs aussi talentueux et motivés qu’aujourd’hui, puisse-t-t-il oeuvrer à des projets de recherche intéressants permettant de développer des solutions durables pour le bien de la société et puisse-t-il toujours évoluer dans un environnement politique qui soit conscient de l’importance de la recherche de pointe et qui la soutienne.
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«En tant que physicien, bien entendu, je trouve que la recherche fondamentale est toujours spectaculaire!»