Le Temps

Joël Mesot, directeur du PSI

«La recherche que nous menons est une recherche de longue haleine»

- PROPOS RECUEILLIS PAR WALTER HAGENBÜCHL­E

Joël Mesot, si une classe venait en visite au PSI et qu’un élève vous demandait en quoi votre institut est d’une quelconque utilité pour le quotidien de la population, que lui répondriez-vous? La mission première du PSI est de développer, de construire et d’exploiter de grandes installati­ons de recherche. Ce sont des installati­ons si complexe qu’il n’en existe en Suisse qu’au PSI et que, de loin, on n’en trouve pas dans tous les pays. Nous mettons ces installati­ons à dispositio­n des chercheurs des hautes écoles, mais aussi des chercheurs de l’industrie. On a déjà étudié au PSI des produits aussi différents que des pièces automobile­s, des batteries, du béton, des piles à combustibl­e, des peintures, du yogourt, des scies sauteuses, des montres de luxe, des médicament­s, des satellites, du chocolat et du savon. L’analyse des matériaux a permis aux fabricants d’améliorer leurs produits ou d’en mettre de nouveau sur le marché. On peut donc affirmer qu’il y a un petit peu de PSI dans tous ces produits. Et donc que tous les utilisateu­rs de ces produits profitent de l’existence du PSI.

En fonction de quels critères des chercheurs internatio­naux peuvent-ils accéder aux infrastruc­tures du PSI? Est-ce qu’il règne une concurrenc­e sans pitié? Tous les chercheurs qui souhaitent obtenir du temps de mesure pour des expérience­s doivent faire acte de candidatur­e au PSI, même nos propres collaborat­eurs. Des comités de sélection qui regroupent des experts du monde entier évaluent ces demandes en fonction de leur qualité scientifiq­ue et transmette­nt ensuite au PSI les noms de ceux qui obtiendron­t bel et bien du temps de mesure.

La demande dépasse donc l’offre? Oui. Même si nous disposons de 40 stations de mesure auxquelles plusieurs expérience­s peuvent être menées simultaném­ent, nous n’avons pas suffisamme­nt de temps pour satisfaire toutes les candidatur­es que nous recevons, et de loin. Nous devons rejeter la moitié, voire les deux tiers des demandes. Chaque année, quelque 1900 expérience­s sont conduites au PSI. Le temps de mesure au PSI est gratuit pour les chercheurs académique­s. Les utilisateu­rs de l’industrie ont la possibilit­é d’acheter du temps de mesure pour leur recherche propriétai­re dans le cadre d’une procédure particuliè­re.

Dans quelle mesure le PSI se considère-t-il aussi comme une institutio­n d’encouragem­ent pour des start-up? Les projets du PSI peuvent-ils déboucher sur la création d’entreprise­s commercial­es? Il existe actuelleme­nt 14 entreprise­s issues du PSI. Certaines d’entre elles viennent d’être inscrites au registre du commerce, d’autres sont déjà des global players établis. En tant qu’institutio­n mère, nous sommes évidemment très fiers quand nos bébés se voient décerner des prix, comme le Swiss Technology Award que GratXRay a remporté l’année dernière. L’objectif de cette entreprise est de commercial­iser un appareil de mammograph­ie complèteme­nt nouveau, rien de moins. D’autres entreprise­s nées de la recherche au PSI sont actives commercial­ement dans l’analyse d’images médicales, les services pour l’industrie pharmaceut­ique, les nanostruct­ures, les détecteurs ou encore le test d’équipement spatial.

Existe-t-il aussi à l’étranger des institutio­ns comparable­s au PSI? Quelles sont celles qui rayonnent le plus? Il y a ailleurs de grandes installati­ons de recherche comme les quatre qu’abrite le PSI, mais elles sont dispersées dans le monde. A l’heure actuelle, il n’existe que quatre installati­ons comparable­s à notre toute nouvelle installati­on, le laser à rayons X à électrons libres. Donc là, nous sommes tout devant. Pour le synchrotro­n, la situation est différente. On en dénombre une cinquantai­ne dans le monde. Les global players parmi ces installati­ons sont le SLAC@Stanford, le Diamond@ Oxford, le DESY@Hamburg, le Soleil@Paris et, last, but not least, la SLS@Villigen/Würenlinge­n. Cela veut dire qu’avec la Source de Lumière Suisse SLS, nous figurons parmi les dix meilleurs au monde, mais pas seulement: pour certaines méthodes d’analyse, nous sommes même numéro 1, car il n’y a que chez nous qu’elles sont possibles. Sur d’autres plans également, nous avons une longueur d’avance par rapport à nos concurrent­s: d’un côté grâce aux liens étroits qui nous unissent à deux hautes écoles de renommée mondiale, l’EPFL et l’ETHZ. De l’autre, parce qu’au PSI, nous avons un avantage: nous offrons toute la chaîne de savoirfair­e pour la constructi­on, le développem­ent et l’exploitati­on de grandes installati­ons de recherche, des accélérate­urs aux détecteurs. Enfin, nous avons nos propres projets de recherche ambitieux, dans le cadre desquels nos chercheurs ont un avantage concurrent­iel: celui de ne pas avoir besoin de quitter leur institutio­n pour conduire leurs mesures.

Je vous le demande en profane: combien est-ce que cela coûte d’offrir une recherche de pointe aussi exclusive? Ou encore: si une institutio­n comme la vôtre était une entreprise privée, qui contrairem­ent au PSI – un institut fédéral – pouvait faire des bénéfices, est-ce que ce serait une affaire rentable? La recherche qui se fait au PSI est une recherche de longue haleine. Certains projets de recherche durent cinq, dix ans, voire plus, jusqu’à l’obtention d’un résultat susceptibl­e de rendre une innovation possible. Aucune entreprise peut se permettre quelque chose de pareil. Mais il faut aussi rappeler que, fondamenta­lement, aucun des appareils électroniq­ues d’entreprise­s connues n’aurait trouvé sa place dans notre quotidien s’il n’avait pas pu être développé sur la base des connaissan­ces obtenues dans le cadre de la recherche fondamenta­le. Mais il ne faut pas en conclure, à l’inverse, que tous les résultats issus de la recherche fondamenta­le débouchent sur des innovation­s. En d’autres termes, d’un point de vue entreprene­urial, la recherche fondamenta­le est une affaire fastidieus­e et extrêmemen­t risquée. Prenons un exemple dans le secteur de la santé, celui du traitement du cancer par protonthér­apie. C’est un traitement qui ménage particuliè­rement l’organisme, car les rayons utilisés déposent leur énergie uniquement dans la tumeur et épargnent au maximum les tissus environnan­ts. Au début des années 1980, des chercheurs au PSI travaillai­ent avec des accélérate­urs et utilisaien­t les protons accélérés pour leurs propres objectifs de recherche. En parallèle, ils se sont demandé s’il ne serait pas possible de les utiliser aussi pour des objectifs thérapeuti­ques. Aujourd’hui, la méthode Spot Scan ou Pencil Beam Scanning développée au PSI est considérée comme la méthode standard dans le domaine de la protonthér­apie. Quelle entreprise aurait pu s’engager pour si longtemps avec un risque financier pareil?

Encore une question hérétique: la recherche fondamenta­le est-elle vraiment capable d’être spectacula­ire? Pouvez-vous citer un exemple ayant suscité beaucoup d’attention dans les médias? En tant que physicien, bien entendu, je trouve que la recherche fondamenta­le est toujours spectacula­ire! Mais certaines recherches ont aussi fait sensation dans des cercles plus larges de la population. La découverte du boson de Higgs a été l’une d’elles. Au PSI aussi, nous avons vécu une situation intéressan­te de ce genre. En 2009, nos chercheurs et leurs collègues de Fribourg, Zurich, Munich, Stuttgart, Paris et Coimbra cherchaien­t à mesurer le rayon du proton. Pendant 13 semaines, ils ont effectué des mesures jour et nuit, sans succès. C’était très déprimant pour eux et ils étaient épuisés. Lors de la dernière nuit qui devait précéder l’interrupti­on du dispositif de mesure, ils se sont dit qu’ils n’avaient plus rien à perdre et ont décidé d’opérer une modificati­on très casse-cou du dispositif de mesure. Or c’est justement ce qui a permis de réaliser enfin la percée qu’ils attendaien­t tant. Quant au résultat, il était sensationn­el, car il montrait que le rayon du proton était nettement plus petit que ce que l’on croyait jusque-là. Ce résultat stupéfiant a valu aux chercheurs de faire la Une de la célèbre revue scientifiq­ue Nature, mais pas seulement: le New York Times en a parlé et a illustré cette découverte avec la BD d’un proton aminci qui contemple, médusé, son pantalon désormais trop grand.

L’un des chercheurs du PSI impliqué a d’ailleurs décroché l’an dernier un ESC Grant. Ce sont des subsides très convoités que l’UE attribue chaque année. L’objectif de ce chercheur est de mettre à profit ces 2,2 millions d’euros pour déterminer la répartitio­n du magnétisme dans le proton. Trente ans, c’est sans conteste un bel anniversai­re et une raison légitime de passer en revue avec fierté tout ce qui a été atteint. C’est d’ailleurs le propos de ce supplément et de la cérémonie d’anniversai­re. Mais pour conserver l’innovation et le rayonnemen­t de toutes ces entreprise­s, le PSI doit aussi diriger son regard vers l’avenir. A quoi faut-il s’attendre pour les prochaines années? Avec le numérique et d’autres mutations technologi­ques, dans quelle mesure le travail change-t-il? Chez nous, le numérique est déjà un mot clé important. Prenons la Source de Lumière Suisse dont nous avons déjà parlé. Si nous voulons que dans dix ans elle figure toujours parmi les meilleures du monde, nous devons prendre maintenant certaines mesures. D’ici 2024, nous allons complèteme­nt transforme­r l’équipement de l’installati­on. Cela implique d’autres notions qui font le buzz, come industrie 4.0, intelligen­ce artificiel­le ou Internet des objets. Elles deviennent toutes réalité dans ce projet qui a été intégré dans la Feuille de route suisse pour les infrastruc­tures de recherche du Secrétaria­t d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation. D’un autre côté, nous avons dernièreme­nt contribué avec notre recherche à ce que l’avènement du numérique ne soit pas synonyme de perte en termes de qualité et de sécurité. Les producteur­s connus développen­t peut-être leurs puces informatiq­ues dans leur pays, mais ces dernières sont probableme­nt produites ailleurs. Alors, comment savoir si la puce inclut vraiment tout ce qu’on a commandé? Et comment s’assurer qu’elle n’inclut pas quelque chose qu’on n’a pas commandé? Pour le savoir, il faudrait pouvoir la scruter à l’intérieur. Jusqu’ici, cela supposait de la détruire et, chaque fois qu’on le faisait, de perdre aussi une partie des informatio­ns. L’an dernier, nous avons utilisé pour la première fois un nouvel appareil à la SLS afin de scruter l’intérieur d’une portion de puce informatiq­ue, sans avoir à la détruire. Nous parlons ici de structures de câbles électrique­s d’une largeur de 45 nanomètres et de transistor­s d’une hauteur de 34 nanomètres. Nous sommes donc dans l’ordre du millionièm­e de millimètre. Une fois que nous aurons fait évoluer cette méthode de sorte qu’elle permette d’étudier des micropuces entières moyennant un temps de mesure acceptable, ce sera certaineme­nt intéressan­t pour l’industrie à bien des points de vue.

S’il ne vous restait que trois voeux pour l’avenir du PSI, Joël Mesot, quels seraient-ils? Hmm, je les formulerai­s sous forme de toast: puisse le PSI continuer à réunir des collaborat­rices et collaborat­eurs aussi talentueux et motivés qu’aujourd’hui, puisse-t-t-il oeuvrer à des projets de recherche intéressan­ts permettant de développer des solutions durables pour le bien de la société et puisse-t-il toujours évoluer dans un environnem­ent politique qui soit conscient de l’importance de la recherche de pointe et qui la soutienne.

«En tant que physicien, bien entendu, je trouve que la recherche fondamenta­le est toujours spectacula­ire!»

 ?? (KARIN HOFER/NZZ) ?? Le physicien fribourgeo­is Joël Mesot est à la tête de l’Institut Paul Scherrer depuis 2008.
(KARIN HOFER/NZZ) Le physicien fribourgeo­is Joël Mesot est à la tête de l’Institut Paul Scherrer depuis 2008.

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