Le Temps

«L’info de qualité contribue à la paix»

La représenta­nte de la Fondation Hirondelle au Niger, Pauline Bend, est venue aux Geneva Peace Talks pour dire à quel point il est important de donner la parole aux sans-voix. Elle dirige à cet effet la radio Kalangou au Niger

- STÉPHANE BUSSARD t @BussardS

Le journalism­e de qualité comme contribute­ur à la paix. Pauline Bend y croit dur comme fer. Représenta­nte de la Fondation Hirondelle au Niger, elle dirige depuis trois ans le studio Kalangou, une radio dont le nom rappelle un petit tambour très utilisé dans le pays pour annoncer de grandes nouvelles. Camerounai­se, Pauline Bend a étudié en Belgique et à Paris. Elle est venue récemment aux Geneva Peace Talks au Palais des Nations pour expliquer sa méthode pour construire la paix. Devant une salle bondée, une grande fleur blanche accrochée à sa robe, elle évoque un proverbe africain qui sert d’emblée son propos: «Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continuero­nt de glorifier le chasseur.»

Il y a toujours des gens qu’on n’entend jamais et d’autres qu’on entend toujours

L’adage reflète pour elle la situation dans laquelle le studio Kalangou travaille. Il importe de donner la voix aux sans-voix, sans quoi on n’aura pas toute l’histoire et les préoccupat­ions d’une communauté. «Il importe de leur montrer qu’ils peuvent influer sur les prises de décision de leurs responsabl­es locaux. Sans cette prise en compte de ce qu’ils ont à dire, on crée des frustratio­ns à l’origine de plus grands conflits.» Ellemême sait à quel point il est bénéfique de pouvoir s’exprimer et dire ce qu’on a sur le coeur. Elle se souvient de son enfance, quand elle avait déclaré à ses parents, à 13 ans, qu’elle ne croyait plus en Dieu et qu’elle ne voulait plus aller à l’église. Ses parents lui avaient dit que tant qu’elle restait une bonne personne et qu’elle pouvait argumenter son choix, ils n’y voyaient aucun inconvénie­nt. Aujourd’hui, Pauline Bend voit une constante dans le paysage médiatique qu’il importe de battre en brèche: il y a toujours des gens qu’on n’entend jamais et d’autres qu’on entend toujours et qui refusent tout dialogue.

En cinq langues

Ce qu’elle raconte est vrai pour l’Afrique, mais on pourrait l’appliquer au monde entier et notamment en Europe, où le populisme fait florès auprès de franges de la population qui estiment être des laissés-pour-compte de la discussion générale. C’est ainsi que la radio Kalangou diffuse dans cinq langues parlées au Niger, le tamacheq, le fulfulde, le haoussa, le zarma et le français. «L’objectif de notre média est de fournir une informatio­n pertinente et fiable dans laquelle la population peut avoir confiance. Même à 1000 kilomètres de la capitale, Niamey.» Dans un pays où 80% de la population vit dans les campagnes et 70% est analphabèt­e, le défi est considérab­le. Chaque jour, la radio Kalangou diffuse des informatio­ns qui touchent potentiell­ement 65% de la population, soit 13 millions de personnes. Pour ce faire, elle s’appuie sur une trentaine de radios communauta­ires.

«S’assurer que les gens sont bien informés est un gage de paix et de stabilité, insiste Pauline Bend. Mais il est important de pratiquer un journalism­e de proximité qui soulève des problèmes touchant directemen­t la population.» Il faut parler de l’accès à l’eau, à la terre, de questions juridiques locales ou de la pression des multinatio­nales.

Le mariage des enfants

Auteure d’une thèse de doctorat qui analyse de façon critique la contributi­on de l’informatio­n et de la communicat­ion à la problémati­que du développem­ent et ayant travaillé un an dans la diplomatie pour le Cameroun, Pauline Bend a une vision holistique de ce qui permet d’asseoir la paix et de favoriser le développem­ent d’un pays. Le contexte du Niger, dont l’indice de développem­ent est parmi les plus bas du monde et où le taux de natalité bat des records, n’est cependant pas facile. Le pluralisme médiatique, au Niger, n’est qu’un leurre. Il est courant que des gens créent des médias pour nourrir leurs propres ambitions politiques.

Pauline Bend semble appliquer la devise de la Fondation Hirondelle, «La propagande tue, l’informatio­n apaise.» Le studio Kalangou aborde des sujets difficiles au Niger: le mariage des enfants. Une fille sur quatre est mariée avant l’âge de 15 ans. Boko Haram est un autre thème explosif, que la radio essaie de traiter sans jugement pour tenter de comprendre pourquoi certains individus vont jusqu’à supprimer des membres de leur propre famille.

A Niamey, d’où elle émet dans le pays entier, la radio Kalangou dispose d’une bonne dizaine de journalist­es et de traducteur­s. Après de vives inquiétude­s budgétaire­s l’an dernier, qui la menaçaient de fermeture, l’avenir semble pour l’heure assuré. Pour la solidité de l’informatio­n. Pour la paix.

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(MARK HENLEY/PANOS PICTURES) Pauline Bend: «Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continuero­nt de glorifier le chasseur.»

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