Le Temps

David Olifson, la photograph­ie comme la mémoire d’une vie

Le photograph­e genevois expose en novembre à Genève des instants de vie saisis en Inde. Un travail de mémoire mêlé à une histoire personnell­e

- DAVID OLIFSON CHRISTIAN LECOMTE

En 1956, Nasser ordonne l’expulsion des juifs d’Egypte. «Mes grands-parents, mes parents, mes oncles et tantes sont partis en trois jours avec une seule valise autorisée par personne»

C'est une photo rare. Bouleversa­nte. Elle a été prise à Ahmedabad, dans le nord-ouest de l'Inde. Dernier instant en famille pour une jeune mariée. Déjà son futur époux attend dans une voiture remplie de bagages. Le père étreint sa fille. Elle est parée de bijoux, enfouit son visage dans son cou à lui. Le père grimace, pleure sans doute. C'est profondéme­nt intime, pas intrusif. David Olifson s'est immiscé en douceur avec son Leica, mythique boîtier qui offre l'avantage de passer partout, sans ostentatio­n mais avec acuité. Objectivit­é, a-t-on envie d'écrire. Scènes réalistes, fragments de vie, regards, gestes quotidiens figés.

David Olifson s'en est allé avec une amie sur les routes des Indes, hors des circuits balisés, dans le ventre du pays, au Madhya Pradesh. Sourire furtif d'un enfant dans une échoppe, jeune fille rêveuse dans un train à l'arrêt, un vieil homme et ses chèvres sur la route. Les yeux sont perçants, les lumières sont puissantes et crues, comme un lever de soleil qui brûle la terre sans faire dans la nuance. Trente-neuf images seront présentées à compter du 8 novembre à la Galerie Humanit'Art, rue du Diorama à Genève. Toutes prises en Inde sauf une captée devant le Bâtiment des forces motrices avec vue sur le Jet d'eau. Clin d'oeil à la ville où David Olifson est né et s'est construit deux vies: Key Account Manager chez Tamedia et photograph­e amateur devenu au fil de ses déplacemen­ts une sorte d'artiste à son corps et décors défendants.

Le déclic

En 2007, il est employé par la régie publicitai­re d'Edipresse et on lui demande d'accompagne­r deux rédacteurs en chef à Baselworld, la foire de l'horlogerie de Bâle. Il lui est demandé de suivre les rencontres avec les patrons horlogers, de prendre des notes et des clichés. Muni de son Reflex, il mitraille et le résultat épate. «On m'a dit que j'avais capté le caractère de chaque modèle, je trouvais de mon côté que je mettais un peu en scène le bling-bling mais ça semblait plaire», se souvient-il. Les images sont compilées dans un ouvrage tiré à 30 exemplaire­s puis offert aux grands horlogers.

Retour à Genève où David remise son Reflex et retrouve son bureau et ses pubs. Puis sa fille Salomé (15 ans aujourd'hui) le tance et ravive le souvenir qu'il fut un reporter d'images durant une semaine. Tous deux ont commencé à beaucoup voyager ensemble (Bali, Tanzanie, Japon, Thaïlande) et la petite voulait au retour voir les photos prises par son père reliées dans une sorte d'album, «comme de la BD avec des bulles, comme aussi un guide pour enfants». David est entré dans le jeu et a magnifié ainsi leurs périples à travers le monde pour en conserver des souvenirs précis. Quand il avait 9 ans, il a perdu son père emporté par un cancer. Rupture brutale et une mémoire enfuie. Depuis, il aime à garder des traces, ouvrir un album et le garnir de choses infimes mais essentiell­es.

Son histoire de famille n'est pas des plus simples. Grand-père originaire de Jérusalem, grand-mère d'Algérie. Tous deux vivaient en Egypte. Les parents de David se sont rencontrés au pied des Pyramides un dimanche de piquenique. En 1956, la crise du canal de Suez secoue la région. Conséquenc­e: Nasser ordonne l'expulsion des 75000 juifs d'Egypte. «Mes grands-parents, mes parents, mes 15 oncles et tantes sont partis en trois jours avec une seule valise autorisée par personne», relate David. La famille est éparpillée (Brésil, Etats-Unis, Angleterre, Espagne). Les parents de David rallient la Côte d'Azur par bateau. Son père devient architecte d'intérieur à MonteCarlo puis est recruté par la maison genevoise Galli, spécialisé­e dans la décoration d'intérieur.

Primé au Salon du livre

David, qui porte le nom de Peppi, prend plus tard celui de sa mère (Olifson) parce que sa future épouse trouve le second plus joli. Il grandit à la Servette, rue des Lilas, entouré de sa mère et de sa soeur. Il a réalisé un film sur sa famille «qui fait pleurer les gens qui aiment leur mère et même ceux qui ne l'aiment pas». Il raconte avec plaisir à sa fille cette histoire d'exode et d'arrivée dans un pays inconnu, une culture, un mode de vie et de pensée différents. Il confie: «Je suis allé en Israël avec Salomé et dans la continuité de nos albums d'images j'ai élaboré sur place une énigme dite du Trésor de Jérusalem, ce qui nous a fait découvrir plein de choses sous forme de jeu et à la fin, forcément, elle comprenait que le trésor c'était elle. Dépitée, elle m'a dit alors: j'ai fait tout ça pour ça!»

Une page s'est alors tournée. Salomé avait grandi et le papa, de son côté, avait définitive­ment attrapé le virus de la photograph­ie. Il a vendu tout son matériel pour acquérir un Leica, a pris des cours, a sillonné la Birmanie, a obtenu en 2017 dans le cadre du Salon du livre de Genève le premier prix du concours du Photograph­e voyageur (image de trois bonzes avec ombrelle vus du haut d'un temple). Il expose début novembre cette Inde où il marche lentement et se joint aux mouvements de la rue. C'est ainsi que les portes s'ouvrent, laissant furtivemen­t voir l'ultime étreinte entre un père et sa fille.

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