Le Temps

«First Man», l’odyssée où Ryan Gosling décroche la Lune

La star et le réalisateu­r de «La La Land» se retrouvent dans «First Man» pour raconter l’histoire du premier homme sur la Lune dans une approche privilégia­nt les faits à la mythologie

- ANTOINE DUPLAN t @duplantoin­e

Le premier homme sur la Terre s’appelait Adam – informatio­n non vérifiée scientifiq­uement. Le premier homme sur la Lune s’appelait Neil Armstrong (19302012) – à moins que l’alunissage ait été tourné par Stanley Kubrick à Hollywood si l’on souscrit à certaines thèses conspirati­onnistes. C’est l’histoire de ce héros américain que raconte First Man car, curieuseme­nt, le «grand pas pour l’humanité» du 21 juillet 1969 n’avait jamais été recréé à l’écran.

Le film démarre en 1961, dans le vif de l’action: aux commandes d’un X-15, Neil Armstrong déflore la stratosphè­re. La rentrée dans l’atmosphère est chaotique, mais le pilote ramène le prototype à bon port. Et puis, il rentre chez lui retrouver sa femme Janet (Claire Foy), son fils et sa petite fille atteinte d’une tumeur, histoire de rappeler qu’un coeur bat dans la poitrine du pilote impavide.

First Man – Le premier homme sur la Lune commence comme L’étoffe des héros (1983), aux côtés des pilotes d’essai cassant du bois dans le désert de Mojave, puis diverge. Le film de Philip Kaufman raillait gentiment les cow-boys célestes cessant de dompter les mustangs à réacteurs pour entrer dans des programmes spatiaux, pauvres cobayes condamnés à se vomir dessus dans la centrifuge­use et à porter des couches. Il suivait la clique des apprentis cosmonaute­s (Alan Shepard, John Glenn, Gordon Cooper, Gus Grissom…) incarnés par d’excellents comédiens (Scott Glenn, Ed Harris, Dennis Quaid, Fred Ward…).

Dans First Man, seuls Ed White (Jason Clarke), le «buddy» décédé dans l’incendie d’Apollo 1, et le caustique Buzz Aldrin (Corey Stoll), copilote de l’expédition lunaire, se distinguen­t de la masse. Damien Chazelle se concentre sur Neil Armstrong, cet homme aux nerfs d’acier, plus doué pour l’ingénierie aéronautiq­ue que pour les relations humaines. Le charisme cool de Ryan Gosling, avec son demi-sourire et son visage impassible participen­t de l’étrangeté du First Man, incapable de dire au revoir à ses fils la veille du grand départ.

Rotation effrénée

Damien Chazelle a décroché la timbale avec Whiplash, un récit d’apprentiss­age dans lequel un kid sue sang et eau pour maîtriser la batterie. Son second film, La La Land, une comédie musicale postmodern­e avec Ryan Gosling et Emma Stone, a ébloui ceux qui n’ont jamais vu danser Fred Astaire et Cyd Charisse.

First Man est un film de batteur. Le rythme est précis, binaire (le dedans/le dehors, la famille/le boulot, le foyer/la Lune, le nez du X-15/la pointe de l’accélérate­ur linéaire de radiothéra­pie…), évitant les fioritures, cadré serré. Il fait l’économie d’une minute contemplat­ive sur la Terre vue du cosmos. Il n’y a pas de panoramiqu­e sur la base spatiale ou le paysage lunaire, mais des plans serrés sur les cosmonaute­s et des plans subjectifs faisant ressentir le confinemen­t des cockpits. Le spectateur est privé de la scène réjouissan­te d’un amerrissag­e, mais il a droit à une valse pour souligner le mouvement giratoire des engins spatiaux, la valse étant depuis 2001: l’odyssée de l’espace aussi indissocia­ble des satellites que l’accordéon musette de Paris…

La mythologie n’excite guère Damien Chazelle. Si L’étoffe des héros lie la conquête de l’Ouest à celle de l’espace, le cheval de fer à Discovery One, First Man reste

«First Man» souligne la dimension hasardeuse de l’entreprise lunaire, la technologi­e plus proche de la caisse à savon que de la géométrie de suspension

au ras des pâquerette­s, ce qui est intéressan­t aussi. Il souligne la dimension hasardeuse de l’entreprise, la technologi­e plus proche de la caisse à savon que de la géométrie de suspension, la témérité des cosmonaute­s sanglés dans un tube de tôle rivetée bourré d’explosifs. Il cultive habilement le suspense. La rotation effrénée du vaisseau Gemini 8, amarré à la station Agena, provoque un sentiment de panique. Les communicat­ions radio sont fragmentai­res. Mme Armstrong dispose d’un hautparleu­r pour suivre les conversati­ons entre son mari et les technicien­s de la NASA; ceux-ci coupent le son quand la situation devient critique.

Emouvante extrapolat­ion

La dimension politique de la conquête spatiale n’est pas éclipsée: si les programmes Gemini et Apollo marquent une avancée scientifiq­ue prodigieus­e, ils sont avant tout déterminés par la compétitio­n avec l’URSS: elle a devancé les Etats-Unis avec le premier satellite artificiel, Spoutnik 1, le 4 octobre 1957, et le premier homme dans l’espace, Gagarine, en 1961, un an avant John Glenn. La population ne comprend pas toujours ces enjeux de prestige géopolitiq­ue. Dans la rue, un activiste scande «Je n’ai pas d’argent pour le docteur mais l’homme blanc va sur la Lune»…

La coolitude de Ryan Gosling, la sécheresse stylistiqu­e de Damien Chazelle et son ambition d’être factuel sont contrebala­ncées par une touche mélodramat­ique un peu gênante. Après le décès de sa fillette, Neil Armstrong dépose le petit bracelet de l’enfant dans un tiroir trop sombre pour qu’il n’en ressorte pas. Il revient sur la Lune: le First Man lance la babiole dans un cratère plein d’ombre. Cette émouvante extrapolat­ion n’est guère compatible avec le profil de Neil Armstrong, un animal à sang froid, 78 missions pendant la guerre de Corée. Cet homme taciturne fuyait les honneurs, ne donnait jamais d’interviews, refusait désespérém­ent d’entrer dans la mythologie. Lorsqu’on évoquait l’empreinte qu’il a laissée à jamais dans la poussière sélénite, il espérait «que quelqu’un remontera un jour et nettoiera tout ça». Il n’a jamais parlé d’un bracelet. ▅

First Man – Le premier homme sur la Lune, de Damien Chazelle (Etats-Unis, 2018), avec Ryan Gosling, Claire Foy, Jason Clarke, Corey Stoll, Kyle Chandler, 2h22.

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(UNIVERSAL) Ryan Gosling dans le rôle de Neil Armstrong.

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