Le Temps

«Notre mission consiste à faciliter les dons»

Etienne Eichenberg­er a cofondé Swiss Philanthro­py Foundation (SPF), une structure originale qui abrite des fonds de mécènes. SPF fait partie d’un réseau européen qui réunit pour la première fois à Genève ses vingt dirigeants, à son initiative

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE BENOIT-GODET t @sbenoitgod­et

INTERVIEW Etienne Eichenberg­er a cofondé Swiss Philanthro­py Foundation, qui abrite des fonds de mécènes et distribue environ 8,5 millions de francs de dons par an. Il explique au Temps comment fonctionne cette structure, qui fait partie d’un réseau européen réuni cette semaine à Genève.

Avec Maurice Machenbaum, Etienne Eichenberg­er occupe le territoire de la philanthro­pie à Genève depuis plus de quinze ans. Les deux associés ont d’abord créé Wise, consultant spécialisé, puis ils ont compté parmi les artisans de la création d’une formation avec le Centre en philanthro­pie des Université­s de Genève et de Bâle. Ils ont aussi cofondé Swiss Philanthro­py Foundation, qui a déjà abrité environ 200 millions de francs et distribue en moyenne 8,5 millions de francs de dons par an. Cette dernière structure fait partie d’un réseau européen qui se réunit pour la première fois à Genève cette semaine. Rencontre.

Swiss Philanthro­phy Foundation a rejoint un réseau européen de fondations il y a dix ans, pour quelles raisons? Grâce à Transnatio­nal Giving Europe (TGE), nous sommes dans les pas de grandes institutio­ns comme la Fondation de France ou la Fondation Roi Baudoin en Belgique. Cette structure permet à des citoyens européens qui résident dans un des 20 pays membres de pouvoir donner en bénéfician­t de la même reconnaiss­ance juridique et fiscale que celle du pays dans lequel ils résident. Par exemple, une personne établie en Belgique qui veut soutenir le CICR peut le faire dans de bonnes conditions. Nous sommes un membre important de ce réseau car nous sommes dans les cinq plus grands partenaire­s en termes de mouvement de fonds.

Etre dans ce réseau vous amène-t-il des fonds importants? Nous pensions, comme tout le monde, que beaucoup de fonds partiraien­t de Suisse pour soutenir des causes à l’internatio­nal, mais c’est l’inverse qui se produit. Il y a plus d’Européens qui donnent en Suisse que de Suisses qui donnent à l’Europe. En tant que membre du TGE, cela nous donne une exposition européenne et une incitation à nos partenaire­s de donner plus. Faciliter des dons constitue notre mission. Si vous avez donné 100 au CICR et que 30% sont exonérés de l’assiette fiscale, pourquoi ne mettriez-vous pas les 30% de plus? Vous êtes à la tête de deux institutio­ns, Wise et Swiss Philanthro­py Foundation (SPF). En quoi sont-elles distinctes? Ce sont deux institutio­ns séparées qui ont un fonctionne­ment indépendan­t l’une de l’autre. Il y a un lien de personne, Maurice Machenbaum et moimême avons fondé les deux institutio­ns. Il y a des liens de synergies: être dans les mêmes bureaux avec nos sept collaborat­eurs au total nous permet de créer un hub de compétence plus complet.

On voit que la gouvernanc­e de la philanthro­pie devient de plus en plus sophistiqu­ée. Comment s’est déroulée cette évolution? La particular­ité du marché suisse tient au fait que les entreprise­s préfèrent l’indépendan­ce que leur offre une fondation alors que les particulie­rs s’intéressen­t de plus en plus à une nouvelle forme de structure que nous appelons le «fonds abrité».

Pourquoi? Il y a un boom de la création de fondations en Suisse: près de 60% d’entre elles ont été créées ces vingt dernières années. Mais il apparaît aussi que pour deux structures créées, une disparaît. Certaines ont consommé leurs fonds, d’autres ont terminé leur mission, par exemple. Surtout, il apparaît que si les gens créent avec beaucoup d’enthousias­me une structure pour faire de la philanthro­pie, ils se rendent compte aussi assez vite que c’est une charge, tant d’un point de vue financier qu’administra­tif. Sans compter qu’il faut s’entourer de personnes compétente­s dans un conseil et que ces dernières ne sont pas toujours très disponible­s. Le fonds abrité apporte une réponse à pas mal de ces besoins en centralisa­nt des bonnes pratiques et en mutualisan­t les coûts.

Ce boom de la philanthro­pie est-il généralisé en Europe? Oui. La moitié des fondations actives en Europe ont été fondées ces quinze à vingt dernières années et ce besoin de renouveau dans la pratique du mécénat se fait ressentir. Le changement fondamenta­l vient de la différenci­ation entre l’usage et la propriété. L’usage, c’est de pouvoir donner de manière profession­nelle et engagée. La propriété, c’est disposer d’une structure, l’administre­r, faire des rapports, etc. Les gens ont de plus en plus d’appétence pour l’usage.

Qui sont les clients des fonds abrités? Dans la philanthro­pie, il faut distinguer les donateurs «engagés mais discrets» des «grands mécènes» à notoriété importante. Au-dessous de 10 millions de dons, on peut se poser la question de l’intérêt d’avoir sa propre fondation. Parmi ces «engagés discrets», il y a des profils très divers. Cela va de l’expatrié qui veut organiser une tranche de vie en Suisse aux entreprene­urs qui n’ont pas de temps à consacrer à la cause qu’ils souhaitent soutenir. Il y a aussi les «sans famille ni héritiers», des gens qui ne veulent pas nécessaire­ment confier à d’autres leur philanthro­pie au moment de leur décès et trouvent avec le fonds abrité une solution simple qu’ils peuvent tester de leur vivant.

«Au-dessous de 10 millions de dons, on peut se poser la question de l’intérêt d’avoir sa propre fondation»

Quels sont les thèmes qui reçoivent le plus de fonds? Nous avons des thèmes très pluriels avec les mécènes qui ont des fonds abrités ou des donations transfront­alières: cela va de leur ancienne université à la recherche médicale, car ils ont perdu quelqu’un par exemple, à la constituti­on d’un patrimoine culturel. Nous avons accueilli historique­ment des fonds orientés sur des thèmes tels que l’éducation, l’enfance et la jeunesse. Aujourd’hui, tout ce qui touche à l’environnem­ent a le vent en poupe et nous allons créer un fonds autour de ce thème à partir d’un legs.

Comment cela se structure-t-il? C’est comme une commode à plusieurs tiroirs. Le meuble représente la fondation abritante et chacun des donateurs peut garder un tiroir à son nom. Cela permet d’avoir le bénéfice du tout mais de faire des donations chacun de son côté, selon ses préférence­s. Notre équipe a la responsabi­lité de vérifier la bonne administra­tion et que l’intérêt général est respecté.

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(KARINE BAUZIN) Etienne Eichenberg­er: «Les particulie­rs s’intéressen­t de plus en plus à une nouvelle forme de structure que nous appelons le «fonds abrité».

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