Le Temps

Sorcières et mères porteuses

- MARIE-PIERRE GENECAND

Ces jours, il est beaucoup question de Sorcières, de Mona Chollet. Dans ce livre, la brillante essayiste franco-suisse montre que les femmes qui aujourd’hui décident de ne pas se marier et, surtout, de ne pas avoir d’enfants sont un peu les sorcières d’hier. C’est-à-dire des personnes libres, indépendan­tes, qui tracent leur route en fonction de leurs aspiration­s profondes et non selon la logique de la famille et du couple. Et qui, par là, déstabilis­ent la société, arc-boutée sur ces deux piliers. Agée de 45 ans, Mona Chollet a décidé de ne pas avoir d’enfants, un choix qu’elle doit souvent justifier.

Je défends sa position à fond. J’ai trois enfants, mais j’ai toujours dit que je n’en faisais pas une loi. Ma fille et mes fils sont arrivés très vite, alors que leur père et moi avions entre 25 et 30 ans. Je les adore, ils font ma joie, mais si je n’avais pas suivi cet instinct subit de la vie – c’est moi qui ai lancé l’assaut! –, si j’avais plus attendu et réfléchi, il est très possible que, vu ma soif de liberté et mon tempéramen­t, je n’aurais pas eu d’enfants.

Je défends d’autant plus cette position que je vois chaque jour à quel point les mères portent et portent longtemps. Bien sûr, les pères évoluent. Depuis trente ans, ils s’impliquent de plus en plus dans l’éducation et même dans la grossesse – un article aujourd’hui en page Société en témoigne! – mais les chiffres sont là, implacable­s, qui rappellent que dans 75% des foyers suisses, ce sont toujours les mères qui accompliss­ent les tâches ménagères. Et cela même si elles travaillen­t à l’extérieur. Ça pique.

Surtout, surtout, les mères portent leurs enfants psychologi­quement. Je ne compte pas autour de moi les exemples de mamans qui sont le réceptacle permanent des divers soucis, crises, ruptures, etc., de leur progénitur­e. Parfois, le père a disparu de la circulatio­n, au gré d’un divorce compliqué. Parfois, il est présent, mais pris par d’autres préoccupat­ions, incapable de réellement se positionne­r. Parfois encore, il se mobilise, mais prend des décisions si déconnecté­es de la situation que son interventi­on est presque redoutée…

Impossible ici d’évoquer tous les cas. Certains sont très graves, d’autres plus légers. Mais ce que je constate, chaque fois, c’est le poids, la pression de ces enfants en difficulté sur les épaules de leur mère. Si j’écris une fois un roman ou un essai, ce sera pour saluer le courage de ces femmes porteuses dont le travail, muet et secret, est souvent totalement sous-estimé.

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