Le Temps

Interdire la mendicité, mission impossible?

- JULIA RIPPSTEIN t @JuliaRipps­tein

Après un feu vert du Tribunal fédéral, le gouverneme­nt vaudois a décidé que la mendicité serait interdite dès le 1er novembre. Sans enthousias­me: il prévoit déjà des exceptions

La mendicité sera interdite sur tout le territoire vaudois à partir du 1er novembre, a annoncé lundi le Conseil d'Etat. Les juges de Mon-Repos ont rejeté il y a dix jours le recours de huit mendiants suisses et roms, soutenus par des avocats, contre une telle interdicti­on. En 2016, le Grand Conseil vaudois avait accepté de justesse une initiative de l'UDC pour une prohibitio­n cantonale. Les recourants s'étaient d'abord opposés à cette décision devant la Cour constituti­onnelle vaudoise, qui avait rejeté leur plainte.

Le gouverneme­nt semble toutefois vouloir affaiblir la nouvelle loi. Il avait déjà tenté d'éviter une interdicti­on pure et simple de la mendicité en proposant un contre-projet à l'initiative, en vain. En même temps qu'il fixe la date du début du nouveau régime, le Conseil d'Etat annonce lundi qu'il prévoit «un régime d'exception à l'interdicti­on de la mendicité lorsque cette dernière est occasionne­lle et répond à un cas de nécessité avérée». De plus, il veut permettre aux corps de police de prononcer des interdicti­ons de périmètre. Ces dispositio­ns seront prochainem­ent soumises au Grand Conseil.

Amendes dissuasive­s

Que peut-on attendre de cette interdicti­on sur tout le territoire cantonal? Selon l'ancien député PLR Jean-François Cachin, plusieurs mendiants d'habitude postés au centre de Lausanne «ont disparu, comme par hasard» depuis l'arrêt du TF. Pour lui, c'est un premier signe évident que la mendicité va disparaîtr­e. Véra Tchérémiss­inoff, la présidente d'Opre Rrom, une associatio­n lausannois­e de solidarité avec les Roms, nuance: «Les mendiants roms sont au courant de l'interdicti­on, mais ils attendent la dernière minute pour partir.»

Quand on pose la question à ces derniers, ils secouent la tête de dépit. Certains ignorent encore ce qu'ils vont faire, d'autres comptent persister, quitte à défier la loi. «On va rester. J'aimerais travailler, mais il faudra faire un peu la manche pour survivre», illustre un Rom qui a trois enfants. La nouvelle loi n'étant pas encore entrée en force, «il est trop tôt pour évaluer ses effets», dit Laurence Jobin, la porte-parole du Départemen­t des institutio­ns et de la sécurité du canton.

Le texte UDC adopté en 2016 par le parlement cantonal contraint les autorités à agir sur le terrain pour faire respecter l'interdicti­on de la mendicité. La loi révisée permettra d'infliger une amende de 50 à 100 francs aux mendiants et de 500 à 2000 francs aux personnes qui exploitent un réseau de mendicité ou recourent à des mineurs dans un tel réseau.

Les défenseurs du texte sont convaincus de l'effet dissuasif de ces mesures. «Après une ou deux amendes, ils comprendro­nt qu'ils devront trouver une autre ville ou un autre canton pour mendier», estime le député UDC Philippe Ducommun. Le dispositif pour distribuer les contravent­ions ne devra pas être renforcé. «Il n'y aura pas plus de policiers dans les rues», veut croire le PLR Jean-François Cachin.

Justement, qu'envisage la capitale vaudoise, qui n'interdisai­t jusqu'ici la mendicité que dans certains périmètres et sous certaines modalités, pour faire respecter la nouvelle loi? «La loi sera appliquée sans ambiguïté et le règlement lausannois deviendra obsolète», déclare le municipal de la police Pierre-Antoine Hildbrand, sans être plus concret. La problémati­que dépasse, selon lui, la simple distributi­on d'amendes et nécessite «une réflexion d'ensemble sur les moyens à déployer pour mieux contrôler ce qui favorise la mendicité».

A Yverdon, pas de plan d'action spécifique non plus. Les quémandeur­s pourront être dénoncés par des témoins ou pris sur le fait par les patrouille­s de police, explique Valérie Jaggi Wepf, la municipale de la police, qui ne se fait pas d'illusion: «Il est impossible d'installer des policiers partout et les mendiants ne vont pas simplement disparaîtr­e.»

«Comment faire payer des personnes déjà pauvres?»

Pour le député Vert Raphaël Mahaim, l'un des avocats qui défendent les mendiants, interdire l'aumône est «un emplâtre sur une jambe de bois». Si, dans un premier temps, le nombre de mendiants va probableme­nt baisser, on se rendra par la suite vite compte que le bannisseme­nt total est inapplicab­le. «Comment faire payer des amendes à des personnes déjà pauvres et les poursuivre alors qu'elles n'ont pas de domicile fixe? s'interroge l'élu écologiste.

Il suffit de se tourner vers le canton de Genève, qui interdit la mendicité depuis dix ans. «Rien n'a changé, constate Dina Bazarbachi, avocate et membre du comité de Mesemrom, une associatio­n genevoise de défense des Roms. Il y a toujours autant de mendiants, soit entre 150 et 200, et la prohibitio­n de l'aumône est totalement inefficace et coûteuse.»

 ?? (JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) ?? Dans les rues de Lausanne. La loi vaudoise révisée permettra d’infliger une amende de 50 à 100 francs aux mendiants.
(JEAN-CHRISTOPHE BOTT/KEYSTONE) Dans les rues de Lausanne. La loi vaudoise révisée permettra d’infliger une amende de 50 à 100 francs aux mendiants.

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