Le Temps

Bert De Rycker, un chef rebelle dans le GaultMilla­u

Le chef du restaurant Le Rawyl, à Randogne (VS), n’aime pas suivre les traditions. Il préfère casser les codes, sans toutefois renier la cuisine classique. Le GaultMilla­u en a fait sa «Découverte romande de l’année»

- GRÉGOIRE BAUR

«Taste, taste, taste. Le goût, le goût, le goût! C’est une des choses les plus importante­s en cuisine. Tout ce qui sort du feu, tu le goûtes»

La cuisine, Bert De Rycker l’a dans la peau. Au sens figuré, bien sûr, mais également au sens propre. Ses bras sont couverts de tatouages représenta­nt des poivrons, des petits pois, un couteau, un fouet ou encore l’inscriptio­n «Oui chef!». Au premier coup d’oeil, quand il vous reçoit dans son restaurant à Randogne (VS), le chef de 36 ans a l’air rock’n’roll. Lui préfère se qualifier de rebelle.

«Si quelqu’un dit blanc, moi, je dis noir», image-t-il. C’est ce tempéramen­t quelque peu têtu qui lui a permis de faire une entrée fracassant­e dans le GaultMilla­u 2019. Pour sa première notation, Bert De Rycker obtient 15 points sur 20 et décroche, en prime, le titre de «Découverte romande de l’année». «Mon objectif était d’intégrer le guide cette année, mais je ne m’attendais pas à tout ça», glisse-t-il modestemen­t, tout en reconnaiss­ant que depuis cette récompense le téléphone sonne beaucoup plus.

Il y a deux ans, quand il a repris Le Rawyl, tout le monde lui disait pourtant qu’il allait droit dans le mur. Depuis quelques années, les patrons se succédaien­t à la tête de l’établissem­ent, sans parvenir à s’y ancrer. Mais lui y a cru. «Si les gens me déconseill­ent de faire quelque chose, je le fais quand même deux ou trois mois et je vois bien où ça me mène», explique-t-il.

«Ne pas avoir peur d’essayer»

Cette philosophi­e, le Flamand, arrivé en Valais il y a une dizaine d’années, l’applique aussi dans sa cuisine. «Il ne faut pas avoir peur d’essayer», insiste-t-il. Celui qui a notamment travaillé pour le chef doublement étoilé Thierry Marx ou au restaurant parisien La Tour d’Argent, également étoilé, n’hésite pas à proposer un dessert mêlant betterave rouge et chocolat, à associer le concombre au café et au chocolat blanc ou à réunir dans une même assiette framboises et épinards. «Le mariage est parfait en bouche, c’est dans nos têtes qu’il est insensé», souligne-t-il.

Cette modernité n’enlève en rien son attachemen­t à la cuisine classique. Bert De Rycker est convaincu que «si tu n’as pas les bases, tu ne peux pas avancer». Sa cuisine se résume en trois points: le produit avant tout, faire les choses maison et ne pas se perdre dans l’assiette en multiplian­t les goûts. Pour lui, «il en faut trois, maximum quatre par plat». Il attache une importance toute particuliè­re à ce dernier point: «Taste, taste, taste. Le goût, le goût, le goût. C’est une des choses les plus importante­s en cuisine. Tout ce qui sort du feu, tu le goûtes.» Un moyen d’atteindre son but premier: satisfaire le client. C’est pour cela qu’il n’accepte pas plus de 25 personnes par service dans son restaurant. «La taille de la salle me permettrai­t d’accueillir plus de monde, admet-il, mais la qualité prime sur la quantité.» Au cas où il viendrait à l’oublier, la phrase écrite à l’indélébile rouge sur le mur de sa cuisine le lui rappellera­it: «Constant quality constantly». Qualité constante en permanence.

Inspiré par sa maman et ses grands-mères

Bert De Rycker pourrait parler de cuisine pendant des heures. Plus qu’un métier, c’est une véritable passion. «Si ce n’était pas le cas, je ne tiendrais pas le rythme de 14 à 18 heures par jour derrière les fourneaux», avoue-t-il. Cet amour de la cuisine, il le décrit en citant les paroles du groupe de rock irlandais U2: «I can’t live with or without you». Depuis sa plus tendre enfance, la cuisine semble une évidence. Sur le site internet de son établissem­ent, il n’hésite pas à dire qu’il propose «une carte de bistronomi­e moderne, avec les bons goûts que j’ai appris au travers de la cuisine de ma mère et de mes grands-mères».

Ces dernières ont toujours concocté, midi et soir, des repas frais. «Personne ne fait mieux les boulettes de viande sauce tomate ou la blanquette de veau que ma maman», sourit Bert De Rycker. Il n’a d’ailleurs pas hésité à reproduire certaines de ces recettes lors de l’ouverture de son restaurant en novembre 2016. Car avant de devenir la découverte romande de l’année du GaultMilla­u, il a fallu attirer la clientèle qui avait déserté les lieux. Faire revivre le bistrot. «Tout était possible à n’importe quelle heure. Filets de perches, risotto, fondues ou croûtes au fromage. Je me suis même essayé à la brisolée, mais c’était un échec», rigole-t-il.

La pression des guides comme motivation

Cette cuisine n’est pas celle qui l’inspire le plus. Après six ou sept mois, le manque se fait sentir. Bert De Rycker a besoin d’une motivation qui le pousse à toujours faire mieux. Durant toute sa jeune carrière de cuisinier, il l’a trouvée dans la pression qu’imposent les guides afin d’être constammen­t au top. En novembre 2017, il change donc son fusil d’épaule, refait entièremen­t la décoration de son restaurant et propose, dès lors, à ses clients la cuisine qu’il aime.

De sa Flandre natale, il souhaitera­it également importer une culture. Celle d’aller au restaurant pour vivre une expérience. «En Suisse, la majorité des gens se rendent au restaurant uniquement par nécessité de manger», peste-t-il. Bert De Rycker veut casser cette tradition, comme beaucoup d’autres. Il espère continuer sa progressio­n, sans pour autant se fixer d’objectifs. L’homme est humble. Mais à la fin de l’année, il va rénover entièremen­t sa cuisine pour s’offrir un outil digne de sa nouvelle renommée. Et il prévient déjà: «Dès le mois de janvier, il n’y aura plus de limite.»

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