Le groupe Helin sous enquête à Genève pour abus de confiance et gestion déloyale
L’argent de plusieurs héritières françaises a disparu dans le millefeuille de sociétés offshore d’un prince belge. Les plaignantes dénoncent une «légèreté coupable»
La justice genevoise a accéléré son enquête sur le groupe Helin, une nébuleuse de structures offshore basée entre Neuchâtel, Genève et les Emirats, qui proposait à ses clients des solutions sur mesure pour continuer à dissimuler leurs avoirs au fisc.
Selon nos informations, les animateurs du groupe, dont le prince belge Henri de Croÿ, sont accusés d’avoir égaré quelque 88 millions de francs appartenant à des héritières françaises. Ils ont été entendus à plusieurs reprises début octobre par la procureure genevoise Caroline Babel Casutt.
Abus de confiance et gestion déloyale
«Le Ministère public a ouvert une instruction pour abus de confiance et gestion déloyale en raison de l’impossibilité pour les plaignantes de récupérer leurs avoirs confiés en gestion aux représentants d’HELIN», précise par courriel son porte-parole, Henri Della Casa.
Selon lui, «le Ministère public cherche à déterminer la manière dont les avoirs des plaignantes ont été gérés et administrés, ainsi que les raisons et le bien-fondé de leur transfert ayant conduit au blocage actuel. Il s’agit également de comprendre le rôle des différents protagonistes.»
Contactée par Le Temps, l’avocate d’un des conseillers en investissements travaillant pour Helin, Lisa Locca, indique que son client est présumé innocent, qu’il collabore à l’enquête et qu’il n’a aucun lien avec l’escroquerie dénoncée par les plaignantes. Grégoire Rey, le défenseur du principal animateur du groupe Helin, Henri de Croÿ, n’a pas fait de commentaire.
De source proche des plaignantes, on ajoute que la justice s’intéresse à «ce qui faisait le business model de Helin». «Ses dirigeants proposaient des solutions peu compatibles avec la morale fiscale désormais universelle, indique cet interlocuteur, en faisant faire à l’argent plusieurs fois le tour du monde et en le mélangeant avec celui d’autres clients. L’idée, c’était: des solutions peuvent être trouvées pour échapper au fisc, puis faire réapparaître cet argent à la fin.»
L’argent des plaignantes françaises a été régularisé. Mais elles sont aujourd’hui dans l’incapacité d’accéder à leurs fonds – quelque 88 millions de francs, selon nos informations.
Helin avait en effet confié cet argent à un homme d’affaires russo-suisse, Aleksei Korotaev, ancien champion de plongeon. Il en aurait détourné une partie dans ses propres investissements, dont le rachat pour 4 millions d’euros d’actions du club de football hollandais de Roda. Selon le journal néerlandais De Telegraaf, la Cour d’appel de Dubaï vient de le condamner à restituer 18 millions de francs à Helin. Aleksei Korotaev n’a pas pu être joint par Le Temps pour cet article.
Tour de passe-passe
Selon un proche du dossier, l’argent confié par les clientes françaises à Helin a fait l’objet d’un tour de passe-passe compliqué. Au moins l’une des clientes a été reçue à Genève par la société financière Gadd Infinum SA et pensait que son argent serait géré là. En réalité, il était confié à une société baptisée PKP et contrôlée par Aleksei Korotaev.
Les fonds étaient ensuite mélangés dans un compte «omnibus» ouvert auprès d’ADS, une société des Emirats arabes unis, qui possédait à son tour un compte chez Abu Dhabi Bank. Sur les 88 millions disparus, 18 auraient été dépensés par Aleksei Korotaev, le reste serait bloqué quelque part sous forme de titres.
Résultat, «Helin aujourd’hui ne peut pas dire où est l’argent et qui en a la maîtrise», affirme une source proche du dossier. Et selon elle, les dirigeants de Helin – qui bénéficient de la présomption d’innocence – auraient au minimum fait preuve de «légèreté coupable» dans cette affaire.
Valse de signatures
Une importante documentation provenant de Helin et obtenue par l’hebdomadaire français L’Obs jette aussi le trouble sur les méthodes du groupe et l’opacité qui y régnait. L’un de ses anciens directeurs, François Dejardin, écrit ainsi dans un courrier destiné à la justice genevoise: «Pendant des années, on nous a demandé d’engager notre responsabilité en apposant nos signatures, en tant que directeur, administrateur, trustee…, sans jamais comprendre réellement la finalité, ni les conséquences de cette valse de signatures, nos questions restaient la plupart du temps sans réponse.»
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«Helin aujourd’hui ne peut pas dire où est l’argent et qui en a la maîtrise» UN PROCHE DU DOSSIER