Le Temps

A sec, des rivières romandes agonisent

- PASCALINE MINET t @pascalinem­inet

Un manque de pluie jamais vu depuis 1962 a simplement fait disparaîtr­e de nombreux cours d’eau. De Genève aux Préalpes vaudoises, les rivières qui restent atteignent des débits historique­ment bas

Après un été torride, l’anomalie climatique se poursuit et s’accentue au-dessus de la Suisse, avec des conséquenc­es cruelles pour les écosystème­s. «La dernière fois que nous avons eu un temps aussi sec durant le semestre d’été, soit entre avril et septembre, c’était en 1962», indique Olivier Duding, de MétéoSuiss­e. Et jamais Genève ou Zurich n’ont reçu autant de soleil, de quoi exacerber encore la perte d’humidité des sols.

Après les agriculteu­rs, dont les problèmes ont été beaucoup médiatisés ces derniers mois, l’impact de la sécheresse prolongée inquiète surtout les pêcheurs et les écologiste­s qui constatent impuissant­s la disparitio­n pure et simple de certains cours d’eau. «Nous assistons à la lente agonie des petits cours d’eau genevois», déplore ainsi Maxime Prevedello, secrétaire de la Fédération des sociétés de pêche genevoises. Fleuron des rivières du canton, l’Allondon a atteint son plus bas débit historique.

Dans le canton de Vaud, Philippe Hohl, chef de la division ressources en eau à la Direction générale de l’environnem­ent, constate aussi des baisses marquées des débits de certaines rivières, à l’image de celle de Grande Eau dans les Préalpes, dont le niveau n’avait pas été aussi bas depuis trente ans. Pour certains poissons, la situation est critique: «Avec la sécheresse actuelle, non seulement les débits sont réduits, mais en plus la températur­e de l’eau augmente», explique Jean-François Rubin, directeur de la Maison de la rivière à Tolochenaz. «Il risque d’y avoir de fortes mortalités de poissons jusque dans l’hiver.»

«Il risque d’y avoir de fortes mortalités de poissons jusque dans l’hiver»

JEAN-FRANÇOIS RUBIN, DIRECTEUR DE LA MAISON DE LA RIVIÈRE À TOLOCHENAZ

En raison de conditions météorolog­iques exceptionn­elles, la plupart des cours d’eau suisses ont des débits très réduits. Leur état écologique s’en trouve fortement perturbé et les poissons souffrent

Cela n’aura échappé à personne: ces dernières semaines, il a fait très beau. Trop beau? Ce début d’automne particuliè­rement clément survient en effet après un été déjà spécialeme­nt chaud et sec. Résultat: une forte sécheresse frappe l’ensemble du territoire helvétique, avec des effets marqués sur la ressource en eau. Rivières exsangues et poissons stressés inquiètent les spécialist­es, même si l’approvisio­nnement en eau potable n’est pas menacé.

Il a manqué cet été environ 30% des précipitat­ions enregistré­es normalemen­t à pareille époque. «La dernière fois que nous avons eu un temps aussi sec durant le semestre d’été, soit entre avril et septembre, c’était en 1962», indique Olivier Duding, de MétéoSuiss­e. Les deux premières semaines d’octobre n’ont guère été plus arrosées. «Il n’est tombé que 0,2 mm de pluie à Fribourg et à Sion durant cette période, alors qu’on aurait dû y mesurer respective­ment 45 et 25 mm de pluie», précise le météorolog­ue.

Ensoleille­ment au zénith

Ce déficit de précipitat­ions est combiné à des températur­es très élevées. «Le semestre d’été 2018 a été le plus chaud jamais enregistré en Suisse depuis le début des mesures», poursuit Olivier Duding. L’ensoleille­ment a par ailleurs atteint son zénith. Jamais Genève ou Zurich n’ont reçu autant de soleil que cet été, de quoi exacerber encore la perte d’humidité des sols, qui inquiète aujourd’hui les agriculteu­rs.

Les cours d’eau pâtissent aussi de la sécheresse. La plupart d’entre eux sont en situation d’étiage, c’està-dire que leur débit est très bas, en particulie­r sur le Plateau et dans le Jura. Les niveaux de nombreux lacs sont aussi réduits, à l’image du lac des Brenets dans le Jura, partiellem­ent asséché. «En revanche les lacs Léman, de Neuchâtel et de Bienne ont conservé des niveaux moyens, grâce à l’apport en eau issu de la fonte des glaciers», relève Edith Oosenbrug, responsabl­e de la communicat­ion du service hydrologie de l’Office fédéral de l’environnem­ent (OFEV). Les glaciers suisses ont perdu un volume massif cet été, équivalent à 1,5 voire 2 mètres d’épaisseur en moyenne, d’après une évaluation de l’Académie des sciences naturelles.

Philippe Hohl, chef de la division ressources en eau à la Direction générale de l’environnem­ent du canton de Vaud, constate aussi des baisses marquées des débits de certaines rivières, à l’image de celle de Grande Eau dans les Préalpes, dont le niveau n’avait pas été aussi bas depuis trente ans. Mais il ne se dit pas trop soucieux pour autant: «Même si certaines petites sources peuvent être taries localement, il ne devrait pas y avoir de problème d’alimentati­on en eau potable, grâce à la bonne connexion entre les réseaux.» Il faut dire que la Suisse est assise sur des réserves d’eau souterrain­es importante­s, dont est issue 80% de l’eau potable. Il n’y a pas lieu de craindre une pénurie à grande échelle, confirme l’OFEV.

Pêches de sauvetage

L’état écologique des cours d’eau est plus inquiétant. «Avec la sécheresse actuelle, non seulement les débits sont réduits, mais en plus la températur­e de l’eau augmente», explique Jean-François Rubin, directeur de la Maison de la rivière à Tolochenaz. La pollution de l’eau est accrue, car les mêmes quantités de polluants se diluent dans de plus petites quantités d’eau. Certaines espèces de poissons déjà fragilisée­s, comme les truites, supportent mal les eaux chaudes, et des pathologie­s comme la maladie rénale proliférat­ive se développen­t dans les eaux à plus de 15°C. «Il risque d’y avoir de fortes mortalités de poissons jusque dans l’hiver. La sécheresse aura des conséquenc­es à long terme et en cascade», estime le spécialist­e.

«Nous assistons à la lente agonie des petits cours d’eau genevois», déplore de son côté Maxime Prevedello, secrétaire de la Fédération des sociétés de pêche genevoises. Récemment, l’Allondon a atteint son plus bas débit historique. Des pêches de sauvetage ont dû être pratiquées dans la Drize en partie asséchée, afin d’y récupérer des truites prises au piège dans des gouilles. «Nous subissons de plein fouet les effets des changement­s climatique­s. Il faudrait que le canton prenne la mesure du problème afin d’améliorer la gestion transfront­alière de l’eau. Trop de prélèvemen­ts sont effectués au niveau des sources par les communes françaises situées au pied du Salève», affirme le pêcheur.

Pour Jean-François Rubin, «il va falloir apprendre à partager la ressource en eau, qui n’est pas inépuisabl­e. Mais il est surtout indispensa­ble d’agir en amont du problème, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, qui entraînent le dérèglemen­t du climat.» Quant à la pluie, elle va encore se faire attendre. Les conditions devraient rester sèches et ensoleillé­es sur l’ensemble du territoire helvétique jusqu’au début de la semaine prochaine.

«La sécheresse aura des conséquenc­es à long terme et en cascade» JEAN-FRANÇOIS RUBIN, DIRECTEUR DE LA MAISON DE LA RIVIÈRE

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(ANTHONY ANEX/KEYSTONE) Barques immobilisé­es dans le lac asséché des Brenets.

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