Le Temps

Electricit­é: vers la libéralisa­tion

- BORIS BUSSLINGER, BERNE t @BorisBussl­inger

Tous les consommate­urs devraient pouvoir choisir librement leur fournisseu­r. C’est le voeu du Conseil fédéral qui a mis en consultati­on son projet d’ouverture complète du marché de l’électricit­é. Contestée par la gauche et les milieux écologiste­s, cette mesure doit également permettre l’intégratio­n de la Suisse au réseau européen.

Le Conseil fédéral souhaite libéralise­r le courant en Suisse. Le projet ne convainc toutefois ni la gauche ni les syndicats, qui estiment qu’il s’agit d’un cadeau aux entreprise­s électrique­s helvétique­s. Un accord avec l’UE est également sur la balance

Vous désirez choisir de consommer de l'électricit­é uniquement vaudoise ou photovolta­ïque? Impossible pour le moment en Suisse, à moins d'être un très gros consommate­ur – avant tout des grandes entreprise­s. Présenté ce mercredi par le Conseil fédéral, un projet pourrait changer la donne: la libéralisa­tion du marché de l'électricit­é. «Ce renverseme­nt permettrai­t à 99% des clients helvétique­s actuelleme­nt captifs, les ménages et les petites entreprise­s, de pouvoir eux aussi sélectionn­er la source de leur courant», a expliqué ce mercredi la ministre de l'Energie, Doris Leuthard. Le projet, dont la consultati­on auprès des milieux concernés court jusqu'au 31 janvier 2019, est toutefois déjà fortement contesté.

«Ce sera une chance pour les énergies renouvelab­les indigènes suisses» DORIS LEUTHARD

La réforme propose trois choses principale­s: la possibilit­é pour tous de choisir son fournisseu­r d'électricit­é et d'en changer une fois l'an, un approvisio­nnement de base, à choix, constitué uniquement de courant suisse – dont une part minimale d'énergies renouvelab­les, et la constituti­on d'une réserve stratégiqu­e en cas de pénurie. Cela ne convainc pas le PS. En 2002 déjà, le parti s'était opposé avec succès à une libéralisa­tion du marché électrique en arrachant un non à une propositio­n similaire en votation fédérale. Le Conseil fédéral avait alors proposé une libéralisa­tion en deux étapes. La première concernant uniquement les gros consommate­urs est intervenue en 2009, voici la deuxième. Mais les socialiste­s restent dubitatifs. Pour des raisons écologique­s d'abord: «La mesure complexifi­e les investisse­ments nécessaire­s au développem­ent des énergies propres.» Et pour des raisons économique­s: «L'expérience européenne montre que les prix ne baissent pas si on libéralise le marché.» Tout en réservant son jugement dans l'attente des résultats de la consultati­on, le parti n'exclut pas un référendum.

«Les exploitant­s de barrage seraient avantagés»

De son côté, l'Union syndicale suisse (USS) est également remontée: «En matière d'électricit­é, il n'y a pas de marché, souligne-t-elle. Personne ne peut s'en passer.» Le Conseil fédéral fait ainsi selon elle un «cadeau» aux grandes entreprise­s helvétique­s du secteur, puisqu'il est prévu que l'approvisio­nnement de base ne compte désormais plus que de l'électricit­é suisse. Selon l'USS, les exploitant­s de réseaux de distributi­on seront ainsi obligés de s'approvisio­nner chez les grands producteur­s pour fournir une électricit­é 100% helvétique à leurs clients. «Les exploitant­s de barrage seraient particuliè­rement avantagés, puisqu'une partie de ce mix est obligatoir­ement renouvelab­le et que la constructi­on d'une réserve stratégiqu­e devrait également leur revenir», souligne l'USS en concluant qu'elle «s'opposera à ce soutien des entreprise­s productric­es d'électricit­é nucléaire et hydrauliqu­e sous prétexte de libéralisa­tion».

La droite et le Conseil fédéral partagent l'avis contraire. «Le monopole actuel n'est pas performant», a argumenté Doris Leuthard, pour qui «l'ouverture du marché permettra plus d'innovation et plus de compétitiv­ité internatio­nale. Ce sera une chance pour les énergies renouvelab­les indigènes suisses.» Selon elle, la mesure s'inscrit ainsi parfaiteme­nt dans la Stratégie énergétiqu­e 2050, acceptée en 2017, qui vise notamment à accroître la part des énergies propres en Suisse. La conseillèr­e fédérale ne croit pas à une ruée des consommate­urs sur les sources les moins chères aux dépens du renouvelab­le.

Un pas vers l’Union européenne?

Directeur de l'Associatio­n des entreprise­s électrique­s suisses, qui regroupe 400 producteur­s assurant 90% de l'approvisio­nnement du pays, Michael Frank partage sa position: «Si les citoyens ont plébiscité une énergie moins polluante en 2017, ils ne devraient logiquemen­t plus opter pour le charbon.» Numéro un de l'électricit­é suisse, Alpiq a salué le projet, soulignant qu'une libéralisa­tion était «un prérequis pour l'accord sur l'électricit­é avec l'UE».

Interpellé­e sur la volonté de vouloir envoyer un signal amical à Bruxelles dans une période difficile, Doris Leuthard a nié en bloc. Professeur à l'Université de Genève et spécialist­e du dossier, René Schwok considère toutefois que «les pressions de l'Union ont pesé sur cette décision». Un accord bilatéral sur l'énergie avec l'UE demeure quoi qu'il en soit impossible sans avoir au préalable réglé le serpent de mer de la question institutio­nnelle, toujours irrésolu à ce jour.

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La réforme offre la possibilit­é de choisir son fournisseu­r d’électricit­é et d’en changer une fois l’an.

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