Le Temps

Chine: briser le silence

- FRÉDÉRIC KOLLER t @fredericko­ller

En l’espace d’une génération, l’image de la Chine s’est radicaleme­nt transformé­e. L’empire communiste, qui semblait condamné au lendemain du massacre de Tiananmen, en 1989, a fait place à la plus belle success-story de la globalisat­ion. D’archaïque, la Chine est devenue un modèle de modernisat­ion envié dans l’ensemble du monde en voie de développem­ent et désormais scruté avec anxiété par les anciennes puissances.

Ce succès économique, et l’élévation du niveau de vie qui l’a accompagné, est parvenu jusqu’à effacer la nature dictatoria­le du pouvoir aux yeux de nos chanceller­ies et à rendre inaudibles les critiques d’un parti-Etat pourtant resté inchangé. Son bilan parlait pour lui, les quelques dissidents n’apparaissa­nt que comme les scories d’un monde englouti. Cette nouvelle stature a permis à Pékin d’étouffer les voix discordant­es dans et hors du pays et de promouvoir son «rêve chinois» qui se veut le pendant de l’american dream. Face au poids économique de la Chine, qui ose encore critiquer Pékin?

Derrière cette façade, il y a pourtant une réalité difficile à nier: le Parti communiste est en train de renouer avec son passé totalitair­e. L’exemple le plus frappant de cette crispation est le sort réservé au Turkestan oriental, appelé Xinjiang en chinois. Depuis un peu plus d’un an, cette région dite autonome s’est transformé­e en une gigantesqu­e prison où sont appliquées toutes les recettes d’une dictature 4.0: caméras de vidéosurve­illance, traçage numérique, recours au big data et au prélèvemen­t ADN complètent l’appareil sécuritair­e classique. Jusqu’à un million de personnes (près de 10% de la population ouïgoure) seraient passées par des camps de concentrat­ion pour être rééduquées au nom de la lutte contre l’extrémisme islamiste.

C’est le mérite de quelques ONG, de l’ONU et de certains chercheurs – dont nous publions une tribune qui dresse l’état des lieux de cette répression – que de dénoncer cette dérive, de briser le silence. Car le Xinjiang est un laboratoir­e et l’expérience pourrait bien s’étendre à d’autres régions du pays.

Contrairem­ent à ce que l’on croit, le pouvoir chinois n’est pas insensible à la critique, encore moins à son image. S’il faut saluer les progrès de la Chine depuis un quart de siècle, renouer avec un esprit critique à l’égard de ses autorités est la meilleure marque de respect envers les Chinois eux-mêmes.

Le PC chinois renoue avec son passé totalitair­e

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