Macron-Mélenchon: deux Républiques françaises
On savait que le duel Mélenchon-Macron rythmerait le quinquennat. Mais mardi, les images ont résumé ce duel bien mieux que des discours. Le matin? Un Jean-Luc Mélenchon véhément, vent debout contre les policiers venus, sur mandat de la justice, perquisitionner son domicile et le siège de son parti, La France insoumise. Une confrontation violente, mise en scène, entre la République (lui et les élus de sa formation) et les forces de l’ordre supposées incarner ceux qui veulent la mettre à mal. Un ton révolutionnaire, oublieux des circonstances: une enquête préliminaire ouverte par le parquet sur l’emploi présumé d’assistants parlementaires fictifs et sur les comptes de la campagne présidentielle de l’actuel député de Marseille. Emplois fictifs? Comptes de campagne? Des faits pour lesquels, à l’autre bout du spectre politique français, Marine Le Pen et son Rassemblement national sont aussi poursuivis…
Tout autre spectacle mardi soir à 20 heures. Devant les caméras de l’Elysée, sans prompteur, avec ses feuilles annotées devant lui: Emmanuel Macron, ce si jeune président de la République. Une intervention solennelle, destinée à nier tout «changement de cap», mais sacrément difficile à comprendre. Le matin? Un remaniement gouvernemental sans surprise, avant tout destiné à resserrer les rangs de la majorité présidentielle. Pas de nouvelle recrue au secours d’un quinquennat bousculé. Bref: un «mouvement de personnel» digne d’un directeur des ressources humaines précautionneux dans une grande entreprise. Et pour conclure cette séquence? Un discours de crise, qui redit aux Français qu’ils demeurent «une nation unie par tant de fils». Un cours magistral républicain. Mélenchon ou la République d’en bas. Macron ou la République d’en haut.
L’enchaînement de ces deux séquences n’était pas prévu. Les policiers n’avaient pas anticipé, semble-t-il, la résistance farouche et médiatisée opposée par le leader de la gauche radicale, toujours prompt à utiliser les réseaux sociaux pour rameuter ses partisans et défrayer la chronique. La première vidéo postée par Jean-Luc Mélenchon, tôt le matin en direct de son domicile, ressemblait à celle d’un dirigeant en train de subir l’assaut de militaires résolus à l’embarquer. Ce qui lui vaut d’ailleurs de faire face à une nouvelle plainte, pour violence et outrages. N’empêche: l’affaire est révélatrice, tant le leader de FI surjoue la République populaire en danger. Le seul dissident face aux élites. Le candidat arrivé en quatrième position à l’élection présidentielle de mai 2017 a fait du combat son arme fatale. Il doit, pour exister, se montrer assiégé.
La vision d’Emmanuel Macron est aux antipodes. Sa République, finalement pas si disruptive et pas si moderne, n’est pas «jupitérienne», mais professorale. On connaît le goût du jeune chef de l’Etat pour l’enseignement, pour les lettres, et pour la complexité en général. Il a donc, mardi, refait le coup de l’explication de texte. Qu’est-ce que la République? Quels sont les dangers encourus? Comment va-t-il se battre pour la défendre?
Mélenchon est dans l’action spectaculaire, vite oublieuse de l’Etat de droit et de l’indépendance de la justice. Oublieuse, aussi, des autres poursuites conduites contre d’autres personnalités politiques, partis et formations: de François Fillon au MoDem de François Bayrou (allié choyé du président et formation cajolée par le remaniement) en passant par le Rassemblement national (ex-Front national). L’autre, Emmanuel Macron, est dans la théorie républicaine qu’il détaille à l’ancienne. Lumière un peu blafarde. Genre causerie dramatique au coin du feu. Macron tente d’incarner ce père de la République qu’il convient d’écouter parce que l’heure est grave. Mélenchon surjoue le fils révolté. Drôle de renversement vu leurs âges respectifs: 40 ans pour le premier; 67 ans pour le second qui, il n’y a pas si longtemps, le 7 septembre à Marseille, avait tenu à «saluer» le président, de passage sur le Vieux-Port.
Le pari d’Emmanuel Macron est la ténacité. Celui de Jean-Luc Mélenchon est l’immédiateté. Raison contre passion. Lucidité contre colère. Bien sûr, les deux hommes ne se résument pas qu’à ça. Mais mardi, par images interposées, ces deux Républiques se faisaient face. Or dans un pareil duel, et malgré les atouts que représentent son âge, sa compétence et sa volonté de réformer le pays, il n’est pas sûr du tout qu’Emmanuel Macron parvienne encore, sur ce mode paternel, à se faire entendre d’un pays aux passions – et aux réactions – toujours incandescentes.
■