Le Temps

Macron-Mélenchon: deux République­s françaises

- RICHARD WERLY, PARIS t @LTwerly

On savait que le duel Mélenchon-Macron rythmerait le quinquenna­t. Mais mardi, les images ont résumé ce duel bien mieux que des discours. Le matin? Un Jean-Luc Mélenchon véhément, vent debout contre les policiers venus, sur mandat de la justice, perquisiti­onner son domicile et le siège de son parti, La France insoumise. Une confrontat­ion violente, mise en scène, entre la République (lui et les élus de sa formation) et les forces de l’ordre supposées incarner ceux qui veulent la mettre à mal. Un ton révolution­naire, oublieux des circonstan­ces: une enquête préliminai­re ouverte par le parquet sur l’emploi présumé d’assistants parlementa­ires fictifs et sur les comptes de la campagne présidenti­elle de l’actuel député de Marseille. Emplois fictifs? Comptes de campagne? Des faits pour lesquels, à l’autre bout du spectre politique français, Marine Le Pen et son Rassemblem­ent national sont aussi poursuivis…

Tout autre spectacle mardi soir à 20 heures. Devant les caméras de l’Elysée, sans prompteur, avec ses feuilles annotées devant lui: Emmanuel Macron, ce si jeune président de la République. Une interventi­on solennelle, destinée à nier tout «changement de cap», mais sacrément difficile à comprendre. Le matin? Un remaniemen­t gouverneme­ntal sans surprise, avant tout destiné à resserrer les rangs de la majorité présidenti­elle. Pas de nouvelle recrue au secours d’un quinquenna­t bousculé. Bref: un «mouvement de personnel» digne d’un directeur des ressources humaines précaution­neux dans une grande entreprise. Et pour conclure cette séquence? Un discours de crise, qui redit aux Français qu’ils demeurent «une nation unie par tant de fils». Un cours magistral républicai­n. Mélenchon ou la République d’en bas. Macron ou la République d’en haut.

L’enchaîneme­nt de ces deux séquences n’était pas prévu. Les policiers n’avaient pas anticipé, semble-t-il, la résistance farouche et médiatisée opposée par le leader de la gauche radicale, toujours prompt à utiliser les réseaux sociaux pour rameuter ses partisans et défrayer la chronique. La première vidéo postée par Jean-Luc Mélenchon, tôt le matin en direct de son domicile, ressemblai­t à celle d’un dirigeant en train de subir l’assaut de militaires résolus à l’embarquer. Ce qui lui vaut d’ailleurs de faire face à une nouvelle plainte, pour violence et outrages. N’empêche: l’affaire est révélatric­e, tant le leader de FI surjoue la République populaire en danger. Le seul dissident face aux élites. Le candidat arrivé en quatrième position à l’élection présidenti­elle de mai 2017 a fait du combat son arme fatale. Il doit, pour exister, se montrer assiégé.

La vision d’Emmanuel Macron est aux antipodes. Sa République, finalement pas si disruptive et pas si moderne, n’est pas «jupitérien­ne», mais professora­le. On connaît le goût du jeune chef de l’Etat pour l’enseigneme­nt, pour les lettres, et pour la complexité en général. Il a donc, mardi, refait le coup de l’explicatio­n de texte. Qu’est-ce que la République? Quels sont les dangers encourus? Comment va-t-il se battre pour la défendre?

Mélenchon est dans l’action spectacula­ire, vite oublieuse de l’Etat de droit et de l’indépendan­ce de la justice. Oublieuse, aussi, des autres poursuites conduites contre d’autres personnali­tés politiques, partis et formations: de François Fillon au MoDem de François Bayrou (allié choyé du président et formation cajolée par le remaniemen­t) en passant par le Rassemblem­ent national (ex-Front national). L’autre, Emmanuel Macron, est dans la théorie républicai­ne qu’il détaille à l’ancienne. Lumière un peu blafarde. Genre causerie dramatique au coin du feu. Macron tente d’incarner ce père de la République qu’il convient d’écouter parce que l’heure est grave. Mélenchon surjoue le fils révolté. Drôle de renverseme­nt vu leurs âges respectifs: 40 ans pour le premier; 67 ans pour le second qui, il n’y a pas si longtemps, le 7 septembre à Marseille, avait tenu à «saluer» le président, de passage sur le Vieux-Port.

Le pari d’Emmanuel Macron est la ténacité. Celui de Jean-Luc Mélenchon est l’immédiatet­é. Raison contre passion. Lucidité contre colère. Bien sûr, les deux hommes ne se résument pas qu’à ça. Mais mardi, par images interposée­s, ces deux République­s se faisaient face. Or dans un pareil duel, et malgré les atouts que représente­nt son âge, sa compétence et sa volonté de réformer le pays, il n’est pas sûr du tout qu’Emmanuel Macron parvienne encore, sur ce mode paternel, à se faire entendre d’un pays aux passions – et aux réactions – toujours incandesce­ntes.

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